Entretien avec Alain Wexler, créateur et directeur de publication de la Revue Verso

Depuis sa fondation en 1977, la revue de poésie Verso conserve une authenticité et une originalité qui ne s’usent pas et que renouvelle Alain Wexler, au fil de ses prologues et thématiques directement inspirés par les textes qui lui sont envoyés : Question d’angle (140), Bois profonds comme la mer ( 190), Le chant du monde (193), L’air, les mots (195), Espace-temps pour le tout dernier numéro.

Il compose ainsi chaque numéro avec minutie, exigence et générosité, un tour de main singulier de poèmes et de lignes tissées pour réunir, pour que se rencontrent les poètes.

Verso, c’est une longue histoire, celle avant tout d’un homme passionné, et cette histoire s’imprime dans les pages de la revue, lui donnant un souffle incomparable.

Alain Wexler, tu es le maître d’œuvre, le créateur de la Revue de Poésie Verso. Dans un tout premier temps, pourrais-tu nous dire ce qui t’a motivé à créer cette revue, sous quelles impulsions, dans quels objectifs ?
C’est Claude Seyve, un ami, qui en a eu l’idée en 1977. Il y avait des éditeurs à Lyon mais pas de revue de poésie. Le but est resté le même aujourd’hui : publier des jeunes poètes ou moins jeunes. Créer des événements, par exemple à Theizé en Beaujolais où, plusieurs années de suite, des auteurs et des lecteurs de poésie ont pu se rencontrer. Ce fut grandiose. Le lieu s’était déplacé à Villefranche, dans sa grande bibliothèque, à l’initiative d’un élu de la municipalité, mais ce dernier, n’ayant pas été réélu, les rencontres cessèrent. Cependant les lectures que j’organise depuis 2004 à la salle Bourgelat à Lyon en sont la suite.
Plus largement, est-ce que tu serais d’accord pour nous raconter l’histoire de cette revue, ses débuts et son évolution aujourd’hui, "les grands moments" et peut-être les difficultés rencontrées ?
En 1984, Claude Seyve abandonna la direction de la revue. Moi-même, à cette époque-là, j’en étais le trésorier. Ce qui facilitait la gestion matérielle, technique surtout, puisque dès le début nous imprimâmes la revue nous-mêmes. D’abord en typo avec du matériel Freinet, une presse à épreuve, puis pour gagner du temps, avec une presse offset Rotaprint d’occasion. Chaque feuille était ensuite reproduite avec un clicheur offset Copyrapid Agfa. Le film obtenu posé sur une plaque  alu passait dans un bain de développement puis entre deux rouleaux. La mise en pression entre ces deux derniers suffisait à décalquer le texte sur la plaque. J’ai travaillé ainsi pendant plus de 20 ans. Le matériel Freinet fut abandonné assez vite grâce à une machine à écrire à boule Olivetti, celle de Joseph Beaude. En 1984 je fis l’acquisition d’une presse Multilith d’occasion. Une vraie presse, pas une toque ! Que j’ai gardée 19 ans. Cette année-là, la revue devint un collectif. La publication des jeunes poètes  ne fut plus une priorité. Il y eut de nombreux n° spéciaux, tous très intéressants, j’insiste là-dessus. Le comité de rédaction comprenait : Patrick Ravella, Patrick Dubost, Christian Degoutte, Andréa Iacovella, Cyrile Louis,  Isabelle Pinçon, Serge Rivron, Maryse Dru, Claude Seyve, Joseph Beaude, Serge Rivron et moi-même. Je dois ajouter Gabriel Vartore-Neoumivakine et Christian Moncel. Ces nouveaux choix nous firent perdre beaucoup d’abonnés. Le groupe éclata. En 1984, 180 abonnés. En 1995, 60 abonnés. Me retrouvant seul aux commandes, je revins à l’orientation des premiers jours de la revue : publier les jeunes poètes. Jeune n’est pas à prendre à la lettre. Quelqu’un qui n’a encore rien publié. J’expliquais ou du moins j’essayais de le faire, la perte des abonnés, à cause des  n° spéciaux. Si ceux-ci sont trop nombreux, le délai de publication des auteurs s’allonge considérablement, ce qui use la confiance dans la revue. Si une revue est subventionnée, cela n’a pas trop d’importance mais Verso ne l’est pas. Elle n’en a pas besoin. Je la fabrique de A à Z. Ceci est important car le jour où l’on perd une subvention, c’est un gouffre qui s’ouvre sous vos pieds.
J’ai pu néanmoins obtenir des petites subventions pour le Salon de la Revue. La table coûte cher mais le bénéfice moral et financier que l’on en tire fait oublier ce détail !

Le chaos, texte de Manolis Bibilis, lu par Alain Wexler. filmé par Yasmina Ben Ahmed.

Tu assures donc intégralement la conception de la revue, l’impression, la reliure, la maquette, la diffusion, Il s’agit là d’un engagement important. Pourrais-tu nous parler concrètement de l’ampleur de ce travail ?
J’y fais allusion ci-dessus ; il faut penser à tout. Le papier d’abord, l’encre, les produits de nettoyage, les plaques offset, les films car en 2004 je passai à l’informatique pour la reproduction des textes. Le fichier informatique grâce à l’imprimante post script 3 devient un film placé sur la plaque avant l’insolation. La machine s’appelle un chassis. 6 lampes UV au fond. On fait pivoter le plateau du côté des lampes. 3 min d’insolation. La plaque est ensuite révélée dans un bain qui a les propriétés de la soude caustique. Gants obligatoires ! La plaque est enduite de gomme arabique ou produit équivalent, sinon elle s’oxyde ! Puis l’impression. Là, je mets la casquette du conducteur d’offset. C’est le travail le plus complexe mais passionnant. 6 types de pression à vérifier en permanence. Compte-fil obligatoire. Cela nous ramène à la gravure. La même année, je fis l’acquisition d’une presse Hamada 500 CDA. Sortie à chaîne, poudreuse, barres antistatiques. C’est une machine fidèle. 20 ans de services. Je la bichonne ! Elle le mérite.

Revue Verso, n°186, septembre 2021, http://revueverso.blogspot.com/2021/

Qu’est-ce qui détermine les choix de la thématique, et l’orientation des contenus de la Revue : le choix des poèmes, les notes de lecture, les entretiens, les chroniques.... Et puis l’attention aux poètes qui ne sont pas encore édités, de même que la découverte de jeunes lecteurs ?
Le thème apparent n’est qu’un thème débusqué après l’assemblage des textes reçus par la poste et rangés dans des enveloppes soigneusement datées, donc en attente. Ce serait une idée commune aux auteurs. Ce qui demande une lecture très attentive de tous les textes rassemblés. Ceci est possible parce que je ne fais pas d’appel de textes. On m’en envoie assez, même beaucoup. Je pense que les auteurs qui sont aux prises avec un réel partagé peuvent faire des analyses communes, ce qui expliquerait ces thèmes sortis d’un chapeau ! Quelques précisions toutefois : je pars du principe que nous sommes aux prises avec un réel changeant, les organes médiatiques sont là pour le répercuter, qu’il s’agisse d’événements sociaux, culturels, internationaux etc. Ou toute autre chose. Cela reste dans la mémoire des gens et à plus forte raison chez des gens qui écrivent des textes de création. Cela peut laisser des traces dans leur écriture au même moment ou presque. J’écrivais dans mon introduction au n° 67 : « Que des textes répondent à des critères établis d'avance n'est pas sans rappeler ces combinaisons dues au hasard, qui, elles aussi répondent à des règles ».
Notre langage crée le jeu. Bien qu'il y ait un départ et une arrivée, le CENTRE est partout. A la source des mots. » Voilà de quoi disserter ! L’espace est immense, on ne peut que s’y perdre !
Je reçois quantité de livres de styles différents. Je n’ai que l’embarras du choix !
Les Entretiens m’ont été conseillés. Peu de temps après, au Salon de la Revue, aux Blancs Manteaux, j’en informe Christophe Dauphin qui me présente alors à quelques mètres de lui Carole Mesrobian, enchantée par ma demande. Tout dialogue apporte de la connaissance, à plus forte raison entre un auteur et un autre, je ne mets pas d’étiquette. C’est comme la visite d’un lieu aux multiples trésors, il faut qu’on nous les montre sinon nous ne les verrons pas. A plus forte raison s’il s’agit de livres. Cela excite la curiosité. Par exemple Ian Monk explique la sextine inventée par Arnaud Daniel au 12 ème siècle ! A lire dans le n° 197. Annie Hupé ne l’ignorait pas puisqu’elle était l’auteure de la sextine présente page 58 dans le n° 196 de Verso !
Le cinéma, c’est Jacques Sicard qui me proposa cette chronique. Il la tint pendant très longtemps… Je ne demande rien, on m’offre tout sur un plateau. C’est presque vrai. La fréquentation des salons fait le reste ; les amis. Les auteurs publiés jouent un rôle également. L’association lyonnaise Poésie Rencontre en a joué un aussi et de taille ! Gratte-Monde à Saint Martin d’Hères. Quant à la Cave Littéraire à Villefontaine, elle fut présente dès les débuts de la revue. Elle nous fit rencontrer Bernard Noël à plusieurs reprises. Le Salon de la Revue est un de ces lieux magiques où les distances sont abolies. Vous rencontrez des roumains, des grecs, des russes et j’en passe. Paris c’est aussi cela, un grand salon !

Revue Verso n°197, Juin 2024, http://revueverso.blogspot.com/2024/

La relation que tu entretiens avec les lecteurs de la revue me semble importante, ne serait-ce que par les soirées de lectures poétiques que tu organises et qui sont régulièrement et massivement fréquentées. Comment s’articulent le projet de la revue et les relations que tu entretiens avec les lecteurs. Comment les lecteurs te parlent-ils de la revue, et quelles fonctions semble-t-elle avoir pour eux ?
Cette relation semble se préciser depuis peu de temps, par exemple : Gabriel Zimmermann, Samuel Martin-Boche, Vincent Boumard, Hélène Massip qui récemment ont montré l’intérêt qu’ils prenaient pour certaines orientations dans Verso. Cela fait principalement référence à l’humanisme. Vaste sujet ! J’avoue toutefois ma solitude devant tous les choix à faire dans la revue. La qualité du texte prime, mais quel jugement dans ce domaine peut prétendre à l’objectivité ? Tout dépend de la culture personnelle, du hasard des rencontres, des voyages que l’on a faits, de sa propre expérience de création. La Grèce, la Bretagne, l’Italie. Les peintres du quatrocento.  Les dessins de la Minotauromachie de Picasso que l’on peut voir aux Pays Bas dans un musée perdu au fond d’un parc ! Premier jet de Guernica. Cela compte énormément pour moi. Mes voyages à vélo n’y sont pas pour rien ! Dont celui que je fis aux Pays Bas. Mon panthéisme fait le reste… L’art roman, Pascal, Spinoza, Rousseau, Kant, Bachelard, les présocratiques surtout ! A ce sujet, une remarque : on m’a reproché lors d’une soirée de lecture à Paris, d’avoir publié un tel ou une telle et on me conseillait de me référer à une sorte d’ « agence » où je trouverai des auteurs de bonne qualité. Est-il besoin de faire des commentaires ?
La revue semble ravir pas mal de lecteurs, notamment pour la diversité des styles. Autant de dédales où ils aiment se perdre. Ou se retrouver. Car pour se retrouver il a fallu se perdre ! C’est de cette façon que je fonctionne.
Je tiens encore à préciser le rôle immense que joue la revue des revues que Christian Degoutte a nommée En salade. Elle ouvre un champ illimité sur la vie des revues et des auteurs qu’elles publient. Cela crée des relations, des découvertes. C’est en se frottant aux autres que l’on fait des progrès, la connaissance avance de cette manière. Certains abonnés lorsqu’ils reçoivent la revue vont directement à la Revue des Revues !
Tu as fait allusion aux numéros spéciaux. Tu pourrais nous en présenter quelques-uns.
Un numéro en Eté 1988 sur la Poésie allemande marqué par l’après-guerre : 40 ans de poésie en Allemagne de l’ouest avec 15 auteurs. Nous n’avions pas repris la numérotation de Verso. C’était le n° 14 de Matières. Ce changement de titre ne durera pas. Il fut nécessaire suite à la fusion de Verso avec Alimentation Générale en 1984. Présentation et traduction de Roger Sauter.
Vahé Godel n° 68. Entretien avec André Miguel et Jean-Marie Le Sidaner. Tous les sujets sont abordés dans ce n° y compris le drame arménien. La question de l’écriture aussi, parce que celle de Vahé Godel se situe entre prose et poésie et que cela se mêle.
Oxford Poetry n° 71,  proposé par William Leaf. Traductions de Sally Purcell. Réalisation de Andrea Iacovella.  Illustrations de William Leaf.
Poésie allemande au Tournant n° 72 : poèmes choisis et traduits par Raoul Bécousse. Les textes sont pour la plus grande partie d’auteurs de la RDA. Ce tournant, c’est la réunification. L’enthousiasme fut vite refroidi à cause des choix économiques de la RFA mais cela n’est un secret pour personne.
Le cochon, n° 73 : une collection d’auteurs impensable. Dessins de GEZA KRIEG. N° fondamentalement érotique.
Tarzan, n° 77. Distribution étonnante dont à ma grande surprise je fais partie. Je l’avais oublié. Je placerai ce texte qui chahute dans mon prochain livre. Il n’y sera pas dépaysé ! Allons au bois, c’est son titre et ici le chat devient une forêt...
Mise au poing n° 80, inspiré par la boxe. Un numéro qui frappe !
La poésie chilienne contemporaine présentée par Adriana Castillo de Berchenko, n° 83. Ce n° a vu le jour au cours d’un repas entre amis à Santiago.
Verso reçoit le Collège de Physiologie Subjective Appliquée. C’est le n° 84. C’est un pastiche des sociétés savantes. Je l’ai imprimé en 1996. Numéro désopilant !
Il y eut ensuite un numéro sur la poésie marocaine et un autre sur  la poésie algérienne avec des photos de Josette Vial. Ce numéro fut agencé par Arezki  Metref que j’avais rencontré à Rodez lors des journées de poésie en mai. Il est encore disponible
Rendez-vous sur le blog de la revue : http://revueverso.blogspot.fr

Présentation de l’auteur




Nohad Salameh, Jardin sans terre

On ne peut parler du dernier recueil de Nohad Salameh sans parler du « double livre identitaire » qui s’intitule Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis (Ed. du Cygne, 2024).

Cette autobiographie de l’adolescence levantine de la poète éclaire son cheminement poétique. Dans ces deux villes dévastées par les bouleversements politiques, est ancrée sa mémoire nourrie de trois religions, langues, et cultures, chiite, juive et chrétienne, qui protegeaient paisiblement leur passé gréco-romain avant la violence des années 1970. De cette enfance baignée d’Orientalisme, suivie par un père archéologue, formée dans des écoles catholiques, vient une écriture charnelle, sensuelle, érotique à l’image des légendes et des temples millénaires que la jeune fille côtoyait depuis sa naissance. Appelant ses souvenirs « des tirelires à images . . . thésaurisant des instants particuliers et indéfinis, » la poète s’embarqua dans le voyage des mots qui pourraient réparer l’histoire, la grande, et la sienne.

 Un jardin sans terre est menacé d’une double disparition : par la couche de sable qui assourdit les sens, et par la qualité évanescente du sable, symbole d’un terroir en voie de disparition, surface instable par excellence, même si, formant une sandale, son aridité se double « de mûres violacées / plus tendres que plages d’exil » (23). La première partie de Jardin sans terre, « Sandales de sable, » invite ainsi à un voyage rééquilibrateur/déséquilibrant dans le sommeil envoûté des songes et des souvenirs. Les quatre parties suivantes du recueil représentent l’entrée dans le sommeil, puis les songes « de plein jour » et le « pays-miroir, » languide recensement de sensations et de fulgurances, puis c’est le retour vers l’aube, dans la cinquième partie intitulée « derrière un rideau de sommeil. »

Nohad Salameh, Saïda/Sidon et Baalbek/Heliopolis, Ed. du Cygne, 2024.

Nous sommes entrainés dans une réalité où les contrepoints et la souffrance de l’exil font basculer la réalité : « Doublés d’oracles / nous pressentons le désert / posé en nous par quelle main dévastatrice / avec un poids de fracture / et de métropoles dévastées » (25). Toutefois cet exil se compense d’amour : « Revenantes des royaumes d’outre-jour / où les voyages naissent dans le sommeil / elles possèdent des jardins sans terre / où l‘on salue à mille mains / l’aube dorée des amants » (23). Peu à peu revient « l’émerveillement de maintes nuances » (45), puis les conversations « avec des aïeux / qui lapent doucement la mort » tandis que la voyageuse « sera condamnée à se nourrir de roses de neige / et à boire l’eau des jardins sans terre » (61). D’images magnifiques en émouvantes évocations de son enfance levantine, la poète donne libre cours à un lyrisme qui abolit les frontières avant de révéler que son sommeil est « un pays proche/lointain / où l’on s’abreuve au lait frais de la mémoire / lorsque se rallument les lampes du songe / et que l’Endormie / se blottit entre deux ciels de langueur » (85). Souffrance et extase sont les deux pôles de cette poésie lancinante.

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Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, Viatire, Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or

À la recherche des écritures aux pensées libres s’interrogeant sur l’art, l’être humain, la vie, les éditions Phloème ne forment pas une simple maison mais une caravane d’édition, itinérante, glanant des fleurs précieuses pour en faire leur miel au fil des itinéraires tracés, préférant butiner la sauvagerie des pensées à la domestication des idées, traversant ainsi le désert bien pensant de la culture de masse pour mieux cueillir, dans ses marges, quelques essences rares, dans une véritable « quête de livres de vie, qui portent la sève depuis les racines les plus profondes pour la délivrer aux bourgeons tendus vers la lumière »…

Ce double mouvement de collecte puis de déploiement, leur éditrice, poète et metteur en scène, Lara Dopff le porte à son incandescence en croisant sa propre écriture avec le chercheur, enseignant et essayiste, Yves Ouallet, par le tissage à deux voix, à travers la collection Fugue de vie, d’un dialogue dont ils semblent jusque dans la forme du livre naquis comme les deux tessons d’un même symbole, l’avers et le revers d’une même monnaie rendue à notre civilisation mortifère, pour mieux célébrer la possibilité d’autant de lignes de fuite, de fugues et de voyages en des terres de vies heureuses partagées telles les fables, les contes ou les légendes dont tous deux s’avèrent à la fois les prophètes amusés et les porte-paroles sans faconde, préférant la potentialité d’une existence libre, libérée et libératrice aux mythes eux-mêmes dont ils réinventent la tradition…

Ainsi parlait Larathoustra se lit donc en miroir à Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, « Janus bifrons », double visage d’une même poésie de voyage puisant, au féminin comme au masculin, aux sources livresques de mythologies sacrées pour dessiner un espace commun entre ces deux voix toutes tournées vers la célébration pourtant de la vie à l’état « sauvage », dans la prise de risque de l’engagement comme dans l’érotisme de la rencontre amoureuse, dont ils se révèlent les chantres, que l’on invoque le masque d’une nouvelle prophétesse nietzschéenne (Lara/Zarathoustra) ou l’armure d’un nouveau chevalier de la Table Ronde (Yves/Yvan/et pourquoi pas Yvain, le Chevalier au Lion ?)…

Lara Dopff, Ainsi parlait Larathoustra, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.




Yves Ouallet, Ainsi vivait Yvan Bouche d’or, éditions Phloème, 76 pages, 13 euros.

 




Les figures se mêlent, se mélangent, s’embrassent, s’embrasent, l’écriture de l’un(e) devient la lecture de l’autre, la lecture de l’autre devient l’écriture de l’un(e), et ainsi de suite, comme des bouts mis bout à bout de ce Phloème qui unit leur aventure selon la formule caractéristique : « Le phloème est l’écorce qui porte la sève, comme le liber est l’écorce qui donne le livre, libre » et dont le mot « poème » au cœur de celui de « phloème » demeure le sésame, comme une porte ouverte sur les métamorphoses de la vie, des vies successives, telles les diverses étapes d’une expérience chamanique : « Sous chaque phloème je devinais des poèmes. »

De ces mêmes postulats émergent les singularités des écrits-duels, duo virtuose où la sensibilité à fleur de peau qui innerve les Carnets de L’arbre de nerfs s’avérant le récit d’un corps féminin dans son rapport à soi, à l’autre, au monde, croise la sensitivité à fleur d’âme d’un autre corps masculin qui relie les essais sur l’entrelacement de L’écriture et la vie dans les relations de La Pensée errante, une forme moderne de « spiritualité » dont l’errance demeure une clé de leur pratique partagée.




Un des derniers opus de ce grand voyage par la poète Lara Dopff reprend à son compte cette dimension de l’« erreur » à l’« errer » pour mieux réinventer ce rapport masculin/féminin à travers une réécriture du mythe fondateur de la poésie amoureuse même, celui d’Orphée et Eurydice : « la multitude des scribes l’avait épuisé. / il s’était laissé aller à l’errer / à l’errance, errer en errance. / il avait suivi sa piste, par bribes. / trois pas, si proches de son épiderme. / il la savait, vivante. / il avait entendu, ses notes. / trois pas, chaque nuit. / trois à chaque nuit. » De la « peau » pistée, retrouvée au-delà des frontières de la vie et de la mort, à la « peau » aimée aux aguets des cinq sens, c’est en définitive tout ce « primat » esthétique/éthique qui fait de la créativité des éditions Phloème une poésie résolument « première » !

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Autour des éditions Aux cailloux des Chemins : Matthieu Lorin, Dominique Boudou et Thierry Roquet.

J'avais été enchanté par le premier livre de Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages paru aux éditions Sous le Sceau du Tabellion. Il nous donne cette fois L'éboulement du temps qui procède du même principe qu’Un corps qu'on dépeuple paru aux éditions Exopotamie l'année dernière, sorte d'autobiographie où le rapport au corps est toujours présent. 

L'éboulement du temps serait donc un exercice de mémoire dans lequel les images avancent leur énigme pour ne rien dire trop frontalement. Le livre s'ouvre sur la naissance : Au commencement, il y a les eaux qui glissent le long de ma peau et la retroussent, comme on remonte les jupes d'une fille avant de s'enfuir en courant. Puis les poumons qui se déchirent.

Nul ne se souvient consciemment de sa naissance et Matthieu Lorin en invente des réminiscences afin de dire autre chose : un être social déjà en difficulté. On se penche au-dessus de moi mais je ne les reconnais pas : je n'ai jusque là fréquenté que les dieux et eux ont des cicatrices d'acné et des haleines de tisseurs de mensonges.

Cette petite enfance passée au crible particulier de Matthieu Lorin s'énonce  avec une causticité à peine masquée : Alors c'est ainsi que l'on vit : un mal de dents à arracher les vipères du trou où elles se terrent, des jambes qui ne nous obéissent pas, un corps protégé par une maison au crépi jauni.

Et toujours, même en grandissant, ce regard méfiant voire négatif sur tout ce qui entoure : On rencontre des personnes à qui l'on ne fait pas confiance, d'autres pour qui nous déracinerions nos rancunes à mains nues. Non sans une touche d'humour : J'apprends en percutant le monde. Je le jetterais volontiers au feu mais n'ai déjà plus le droit de m'en approcher. Regard porté sur soi également sans complaisance : J'ai six ans et des pensées qui ne débordent pas : ici, le lait ne reste jamais trop longtemps sur le feu.

Matthieu Lorin, L'Eboulement du temps, éditions Aux Cailloux des Chemins, 2023, 84 pages, 12 €.

On souffre avec cet enfant à propos duquel l'adulte qu'il est devenu relate : je n'ai pas le dixième d'un siècle et il faut déjà me comporter comme une croix de granit.

Dans cette chronologie, on trouvera des réflexions (pensées de la mère ?) : Tu n'étais peut-être pas mon préféré mais tu avais avec toi cette volonté de n'être rien, de ne pas vouloir faire plier le regard des autres. C'est l'expression d'une douleur et d'une solitude qui hante ces lignes, On se barricade avec ce que l'on trouve : l'amour, un morceau de tissu, le silence ou des mutilations.

C'est une personne en marge de la réalité qui se confie : On demande ses projets à l'adulte que je deviens alors que je ne connais ni mon groupe sanguin ni les dates de péremption. Ce qui occasionne un dire poétique particulier : Je me terre dans le creux de mes nerfs, espérant des mondes concaves où il est possible de s'abriter des visages gris.

Et après un déménagement, sans doute pour des études : On me dit qu'il s'agira de mes meilleures années, oubliant que les dents jaunissent et que je connais déjà Nizan. Clin d’œil à celui qui, dans Aden Arabie, écrivait : « J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie. »

Même des événements importants sont énoncés froidement : On me pose la question : nous voilà mariés. Et plus loin, avec cette désespérance sourde qui trame le livre : nous voilà prêts à ranger notre existence dans une centaine de mètres carrés pour y dilapider nos rêves d'infortunés. Pourtant, une lueur semble se faire avec la naissance d'un enfant : Un visage sort de ce ventre. Il a la forme d'un bouquet de tendresse et son ombre projette des arabesques sur le mur encore blanc. Au final du livre cette conclusion douce-amère :

J'ai laissé mes souvenirs devant la porte d'entrée car il pleuvait fort et ils étaient détrempés.

Je les ai essorés comme on tord une serviette de plage. Seulement trois gouttes de mélancolie sont tombées, sur mon pied gauche.

Ploc, ploc, ploc.

Et ce fut tout.

Un très beau livre.

Premier titre 2024 de la Collection "Nuits indormies" Matthieu Lorin lit un extrait de L’Eboulement du temps.

 

∗∗∗

Avec Dominique Boudou, c'est une tout autre forme de prose qui se déploie. Le titre, Choses revues dans Bordeaux et ailleurs, parle de lui-même. D'ailleurs, les poèmes portent majoritairement le nom de lieux (rues, places, quais...) et une trentaine s'intitulent (Off). Le premier (Off), donne, poétiquement là aussi, une sorte de grille de lecture : J'ai toujours aimé marcher dans la ville. Quelques signes du hasard imposent parfois un itinéraire qui brouille les chemins. Il existe une durée où le corps cesse de s'appartenir. Et l'esprit à la traîne en suit les flottements, au gré des vents et des oiseaux.

C'est donc bien le hasard qui guidera les pas de l'auteur et ceux du lecteur dans cette déambulation principalement girondine. Au-delà de la simple description, les petits pavés d'écriture proposent un regard révélateur de l'état d'esprit du poète, souvent comme une douce rêverie :

 

Rue Vital-Carles, 1

La lumière est douce sur les hauts murs des grands hôtels. Les jardins ont des bruissements de gaufres sèches. Quelqu'un peut-être tourne en rond. Le tram qui monte n'en couvre pas les langueurs. Il a les siennes avec son œil borgne et son silence. […]

 

Dans un de ces (Off), l'auteur cite Nuno Júdice  : La mélancolie enseigne que le trait définit tout, depuis l'émotion du visage jusqu'à la montagne au soleil couchant. 

Dominique Boudou, Choses revues dans Bordeaux et ailleurs, éditions Aux Cailloux des Chemins, 2021, 112 pages, 12 €.

Et de poursuivre : Bordeaux n'est pas une ville mais un trait qui s'étire dans mon corps quand la lumière faiblit.

La réalité, évoquée par quelques détails et événements banals, est parfois saisie sur le vif. Ainsi de ce cours Victor Hugo, que j'ai beaucoup fréquenté il y a longtemps (et les quartiers Saint-Paul et Saint-Michel) :

Cours Victor Hugo, 3

Trois hommes aux chiens font le guet autour de la porte de Bourgogne. Une berline aux vitres teintées, longue comme un corbillard, immobilise la circulation. Thrombose du paysage. Quelques passants rabattent sur leur corps un pan de manteau qui n'existe pas. Une mère avec landau se précipite vers un étal de fruits. Une trottinette s'échappe vers la rue des Faures. Ne reste plus qu'un papillon sur un monticule de goyaves. Il n'a pas peur d'un mauvais film. Il sait depuis toujours que la réalité n'est jamais si fragile.

 

Les menus détails relevés sont toujours prétexte à réflexion, non pas dans une forme de dissertation mais par touches poétiques et suggestives.

Place Saint-Sernin, 5

Un chien qui saute en l'air dans un rayon de soleil et cherche à saisir son ombre. Sous les yeux d'un enfant incrédule. L'instant va si vite. A-t-il vraiment eu lieu ? L'image ne sera pas retenue comme elle a surgi. La mémoire en retouchera les lignes de fuite. Les contours du chien et les aplats du soleil sur l'herbe couchée manqueront de vérité. Le réel est toujours un corps improbable. Presque liquide.

 

Il me faut dire un mot de ces pages (Off) qui nous emmènent loin parfois de Bordeaux, par exemple à Alcalá de Henares, lieu de naissance de Miguel de Cervantès : Un avion entre deux nuages cherche un couloir parmi les vents contraires. Don Quichotte, amoureux des immensités chimériques, irait jusqu'en Patagonie. Et Sancho Panza l'attendrait au bout d'une piste avec des chevaux de trait. Pour lui remettre les pieds sur terre.

Dominique Boudou, tel Don Quichotte, n'a pas tout à fait les pieds sur terre et c'est tant mieux car ainsi, il nous fait le cadeau de ces belles pages. Rien n'est vraiment abouti dans le monde. L'espace et le temps, les êtres et les choses sont incomplets même quand rien ne leur manque. J'aime que les listes, écrites à la va-vite sur un coin de table ou longuement réfléchies, en expriment l'empêchement. Pari réussi et plus encore. Cette promenade Avec quelques fantômes de rencontre, pour le plaisir du texte enchanteront ceux qui connaissent Bordeaux aussi bien que les amoureux de la langue.

Dominique Boudou présente son ouvrage Choses revues dans Bordeaux et ailleurs aux éditions Aux Cailloux des Chemins. Librairie Mollat.

∗∗∗

On définit fréquemment la poésie du quotidien comme narrative et réaliste, simple, ne recherchant pas les effets de style. Parmi ses représentants, citons Georges Louis Godeau et François de Cornière. Une de ses fonctions serait de trouver une réconciliation avec le monde et avec soi-même.

Thierry Roquet s'inscrit dans cette mouvance qui, partant de soi, de l'intime et de l'observation du proche, peut toucher tout un chacun, par une expérience similaire, ou par cette magie qui la rend commune : le rapport du lecteur au texte.

 

on me demande si j'ai de l'ambition
si j'ai vraiment envie de m'investir ici
si j'ai confiance en moi
ma mise en scène est bâclée
et mes yeux passent de l'un à l'autre
[…] j'aimerais pouvoir me détendre
raconter une bonne blague
leur avouer que je m'en fous complètement
de leur offre de la santé de leur entreprise
de notre prétendu projet d'avenir commun

Thierry Roquet, D’ordinaires cascades, éditions Aux cailloux des chemins, 2024, 92 pages, 12 €.

 

L'auteur se tient au plus près — pour reprendre le titre d'un livre d'un autre poète du quotidien, Roger Lahu — de la réalité et son écriture également, dans une sobriété qui ne voudrait retenir que l'essentiel, y compris dans cet auto-portrait en creux :

 

Je n'ai pas d'armes chez moi
ni fusil d'assaut
ni sabre laser
ni 22 long rifle
ni rien de tout ceci
je me contente (à dessein)
de quelques babioles non létales
d'une vieille télé
de quelques bières
d'un ordinateur qui tourne
dix-huit heures sur vingt-quatre
et
de bons livres d'écrivains
qui n'ont pas grand chose
ni armes
ni rien de tout ceci
et
c'est déjà pas mal
pour sentir la mesure
d'un cœur qui bat
d'un cœur qui encore bat
la mesure

 

L'humour est présent, façon de dénoncer les travers et désagréments de notre société, comme dans le poèmes Enquête téléphonique : Pensez-vous / qu'il y a de la luzerne dans l'espace ? / Je peux comprendre que vous n'ayez pas / le temps de me répondre. […] Je vais donc poser ma question différemment. / La rendre plus globale. / Pensez-vous qu'il y aura assez de luzerne / pour tous les ânes de l'espace ? Humour qui, mine de rien, pointe des choses plus graves, jusque dans l'auto-dérision dont l'auteur sait faire preuve.

 

Je sais ce que vous allez penser
que c'est assez ridicule
C'est pourtant la vérité
Je devais avoir quoi 16 ou 17 ans
oui j'ai envisagé d'en finir
ne trouvant plus aucune autre issue
avant de finalement me rétracter
parce qu'il y avait un film
avec James Dean à la télé
La fureur de vivre
Je ne l'avais encore jamais vu

 

Il y a une manière américaine dans ces poèmes narratifs. Quoi de plus normal de trouver en exergue du livre une citation de Charles Bukowski : « Comprends-moi. Je ne vis pas dans le monde ordinaire. J'ai ma folie. Je vis dans d'autres dimensions, et je n'ai pas de temps pour les choses sans âme. ». Thierry Roquet raconte pourtant l'ordinaire, mais de celui-ci il tire de l'extraordinaire : Buster Keaton sourit enfin / sur le poster et le poisson dans l'aquarium / a changé de couleur       Je ne dors pas / Ce qu'il faut retenir c'est sa respiration

S'il fallait résumer ce livre par quelques vers, je choisirais les suivants : c'est un poème de soi qui / ressemble à la poussière des jours c'est / en fin de compte un poème / sur une solitude terre promise je crois

 

Seizième titre de la collection "Nuits indormies" : D’ordinaires cascades de Thierry Roquet, lecture par l'auteur. 

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur

Présentation de l’auteur




Patrick Hellin, À feu coulant

A l’établi s’exsude...

A l’établi s’exsude la résine
l’âpre bourgeon du matin

silencieux sous l’écorce
un sang trop jeune encore

pour vivre d’ombres

sur des labours d’automne
Le grain vert nuit à la meule

les reins se brisent
à boulanger une avoine si pauvre

Mais ton regard est là
qui se lie à mes prairies

On s’exagère...

On s’exagère le précis

lorsque le flou préside à la vague

et que le ferme s’égare dans le souple

des rameaux pâles s’élèvent dans l’opaque
Miettes d’immuable 
cueillies aux avrils fraudeurs.

 

La terre brûle...

La terre brûle en amont
ta main cherche la cendre
noue la fumée
mais la gerbe est frivole

Les brumes fleurissent tard
lorsque les poussières sommeillent

En ta garenne rêvée et ses friches agrestes

 L’éclipse délie...

L'éclipse délie l’emmuré
Les serrures cèdent

Et l’ancien vertige

À nouveau l’arrime

Il fait nuit comme en plein jour.

La pierre à midi...

Comment interroger la pierre à midi
lorsque la lumière dissimule la lumière

On happe des contours
présume des profils

L’espérance est la foi en ce peu
Le rameau sauvage

Bien plus tard
au déclin

être enfin découvert
vu pour être invisible
tranquille en sa tanière

Illisible en sa lettre.

Présentation de l’auteur




Erica Payet, Du mal avec la terre et autres poèmes

1)

Du mal avec la terre

On a du mal à sonder la profondeur de la terre, la densité de l’humus fragile, friable comme
nos vies, malmené comme nos âmes.

On a du mal à décrire la couleur de la terre, rouge, exsangue, riche, brillante, d’argile ou de
bruyère, serrée entre mer et désert, parcourue de racines, comme le temps qui nous enveloppe
et nous dévaste.

On hésite à prendre la terre à pleine mains, nos ongles saillants comme un râteau mou,
comme une fourche chaude. Nos gants nous font croire à la terre propre, à une hygiène
étrange. Sa souillure a du mal à nous atteindre.

La terre nous recouvre, mais on a du mal à l’accepter. Nous vivons sous la terre, creusons son
corps à grands coups mécaniques. La terre chaude annule le soleil et produit le tout-blanc, le
lisse aveuglé, les animaux défendus des cauchemars blafards.

Le terrain de nos vies est l’espace d’une terre / notre terre dans l’espace. On atterrit toujours
d’un vol dispendieux, avide de retrouver la terre à tout prix.

On s’en prend à la terre, puis on l’achète, en terreau, en terroir, en terrain. On a du mal avec
nos pieds fichés dans la terre sale, nos sabots crottés de sale terre. On la troue, on la tue, on
s’y traîne, on la draine, on la drague. On vomit du terril.

Fi de l’horizon ! Imaginons le temps filant de bas en haut, surgissant de la terre profonde, où
l’arbre est l’avenir. Nous foulons le présent en chaussures, sans laisser la boue s’infiltrer entre
nos doigts de pieds.

2)

La patience

C’est ne pas prendre garde au temps écoulé. Le temps déjà vécu, l’air que ma peau a traversé.
C’est voir chaque jour les mêmes reliefs, les mêmes textures, poser chaque pied l’un après
l’autre sur la route devant chez moi et continuer malgré tout. Me résoudre à l’implacable
répétition de l’existence.

C’est fermer doucement les yeux sur ce qui vient après, résister aux feux brillants de ce qui
n’est pas encore, même si je les vois rouge derrière mes paupières. Accepter l’immobile
stabilité ; cajoler mon anticipation, qui réside là, sous le ventre. Inspirer le moment et
reconnaître que le moment suivant existera, à l’expiration, demain.

C’est chérir chaque mouvement, chaque réveil, chaque sanglot. Fermer mon imagination à la
dystopie qui tente mes angoisses. Renoncer à me représenter les bonheurs à venir, ces poisons
du présent.

C’est avancer solide comme l’homme embotté qui marche à longs pas dans l’eau : il génère
un courant qui engouffre les algues dans son sillage. Marcher vers l’horizon sans prétendre le
rejoindre.

3)

Le devenir joyau incohérent, foisonnement d’appels à la lune, de cris lunaires et d’ascenseurs
psalmodiés qui filent et déglinguent le plausible, aveuglés, traumatisés. Le rayonnement
traverse l’eau du lac chaud, bouillonnant, dans les profondeurs duquel on se transforme en
bijou-trésor démoniaque et jaloux, dont le chant nocturne se mêle à la remontée de velours
hydraulique en sifflet sourd mais possible.

Emerger du sommeil fatigué, meurtri, palpitant du voyage et sans rebond. Les genoux
remontés dans le ventre, le langage qui défile, déstructuré mais débordant, volontaire. Des
nuages, des nuages. Retiennent l’eau que l’on porte en soi, et quand elle est libérée, c’est
partout. Le soleil clignote derrière les briques de verre dépoli, malmené par les nuages
véloces. L’heure est à l’action, aussi l’ordre revient, forcé, forcément. Damnation nécessaire
du faire, de l’accomplir. Engrenage qui porte la vie, l’autre vie, éveillée, celle que l’on
partage avec les autres gens. L’autre face de la lune et du soleil que nous sommes à la fois.
L’altérité qui nous guide, nous espace, nous temporise. Mais le paradoxal revient toujours,
cyclique, tourbillonnant, impérieux.

Crac le train part, les couloirs se font longs, gémissants, l’angoisse souffle dans un bus de
visages de tous bords. Tous les temps s’entrechoquent, le dehors est dedans, car l’incendie
prend le large et le plan s’agrandit, se fait route, se fait rail. Embranchements compliqués de
béton sale, vite la rampe, la rampe. Mais nos valises. Nos sacs. Nos objets débordent aux
entournures, sous un escalier, oubliés. Le temps nous fait défaut, on ne peut que perdre à
présent, perdre ce qui est à soi, se perdre, manquer le transport, se noyer dans le mouvement
incessant des souterrains d’une grande ville qu’on ne comprend pas—que l’on comprend,
mais qui nous devance, nous dévaste.

Dans l’apogée d’une sirène l’interrupteur saute et le silence se fait. Les draps bleus chauds
dans le demi-jour enveloppant calment un cœur stressé, un corps tendu encore de sa course
lente. Un lent pépiement d’oiseau dehors et tout revient : l’océan calme derrière la clôture du
jardin, les bruits doux comme des vagues des voitures dans la rue devant. Nous sommes en
rez-de-chaussée, il n’y a qu’un plan, nous sommes sur la terre, et mes pieds, quand ils
quitteront le lit, se poseront sur du rassurant. De l’air, de l’air ! Du soleil sur mes joues. Du
réel dans ma tête.

4)               

La cire perdue

D’abord, je te modèlerai à ma guise. Je chaufferai de la cire entre mes paumes pour en faire
ton visage. Ton visage à température humaine. Ta peau, malléable, crédible.

Puis je t’étoufferai sous la terre. Ton visage, je le recouvrirai minutieusement. Il se perdra en
négatif, prisonnier de l’argile, immobilisé au sein de la terre réfractaire.

Ensuite viendra la chaleur, qui t’anéantira. Tes joues chaufferont. Ton teint de cire coulera,
comme le mascara d’une femme qui pleure. Tu te videras de ta substance molle, ton sourire
se liquéfiera, se tordra sous la brûlure. Tout glissera. Ne demeurera que la terre (comme
toujours), en creux. Planté de piques, partout transpercé, tu ne seras que béquilles. Ton âme,
évaporée. Ton vide sera complet.

Je coulerai alors en bronze ton visage : ta deuxième brûlure. Ta substance vraie s’infiltrera
brûlante dans tes interstices, entérinera tous tes défauts. Ton front et tes paupières, tes larmes
en bas-relief, ne seront que métal en fusion.

Puis nous te laisserons seul une nuit durant, pour laisser la tempête retirer sa furie. Le rouge
passer au noir. Le magma bouillonnant devenir son propre inverse. Quand le bronze dur et
sonnant aura pris ses fonctions, alors pour exister tu devras passer à tabac. Je frapperai ta
carapace avec force et précision jusqu’à ce qu’elle se fende et s’ouvre, je martèlerai la terre
sèche et brûlée de ton corset, au point de la réduire en fragments de poussière condamnés au
rebut.

Presqu’à la fin, je scierai tes prothèses. Des roues d’étincelles dorées te libèreront de ton
carcan. Il ne faudra pas alors commettre d’erreur, et distinguer, dans cet amas de ferraille, ce
qui est toi et ce qui relève de ton échafaudage constitutif.

Au terme de cet ingrat labeur, enfin je polirai ta peau, je gommerai tes défauts. Ma caresse
vigoureuse ennoblira le bronze, élèvera ton être. Je me dévouerai entièrement à la surface de
ton corps et tu resplendiras entre mes mains. Les poils de mon pinceau, l’extrémité de mon
ciseau, la flammèche de mes outils, tu auras tout subi. L’oxydation de ta patine, même, je
l’aurai contrôlée. Un jour je te finirai.

5)

Depuis la terrasse en caillebottis, comme un plateau d’échecs, en bois grisé par le temps—des
années de pluie, de soleil salé—, derrière le bijou turquoise de la piscine ridée, je vois
s’animer au vent d’avril les feuilles monumentales des palmiers. Ils ont grandi là, exilés,
plantés il y a longtemps—mais pas si longtemps : une génération ou deux. Ils poussent vite.
Ils impressionnent.

Je ne vois rien au-delà, depuis mon enclos de palme. Qu’y a-t-il derrière ? Notre héritage
culturel ? Des cultures de sel, de vent et de coquillages. Des piquets, plantés dans la terre qui
n’oublie pas. Des pierres molles, bouffées du salpêtre. Ce calcaire qui s’effrite, nous lâche,
défait les visages des statues du cimetière.

Je ne vois rien au-delà du grand travelling du ciel derrière les doigts crochus des yuccas, qu’il
est prévu que l’on arrache, car leur enracinement puissant, à eux, est à abolir. Je n’entends
que le souffle rond que fait le vent lorsqu’il se précipite entre les millions d’aiguilles des pins.
Et la sonnaille de la cloche, Marie-Henry, qui, depuis son gros clocher carré, nous livre une
volée digne et ponctuelle.

Présentation de l’auteur




Nohad Salameh, Quatre poèmes inédits

1

Tes mots se lèvent la nuit
comme les grandes verdures
à l’aube d’une mémoire intouchable
et tu te sens éternel
semblable à la caresse du feuillage.

Terrible envie de conserver sous ta peau
ce monde - rameur en filigrane
au plus souterrain de la chair !

Un Mage de verre respire en toi
blotti dans l’encrier de ton souffle :
il arbore ton visage futur
et se prolonge par tes syllabes. 

 

2

Tu demeures l’orphelin royal
qui chaparde les romances
dans les jardins de tristesse.

A l’aide d’une canne d’aveugle
tu secoues l’arbre de l’Origine
refuge privilégié de l’ermite céleste
puis à l’angle de la nuit
tu dissimules ta manne voluptueuse
comme la plus Belle de ton pays.

3

Pour celles qui rêvent sur ton épaule
et ramassent en leur filet d’or
les larmes de tes yeux
tu quêtes le souffle d’un dieu
porteur d’espace
sous un regard d’azur :
qu’il lui soit donné
d’une danse unique
de suspendre l’érosion de la terre !

 

4

Contre ton front ouvert
à l’épaisseur de l’Augure
tu accueilles celle qui arrive d’ailleurs
chargée de ses roses d’outre-jardin
et la moisson de ses récits.

Que reste-t-il au creux de sa paume d’amante
sinon ce jeu de cartes labyrinthiques
sur lesquelles se pose le papillon de la Prémonition ?

Je parle de la Voleuse de tes sourires
qui se tient sur ton seuil
pareille à un paysage extatique
afin de dissiper le désordre tapageur
des oiseaux de ténèbres.




La poésie, une liberté à arracher à la langue : Rencontre avec Émilie Turmel

En avril dernier, Montréal hésitait encore entre pluie et neige. Je me préparais à dîner avec quelques écrivaines et poétesses. Une jeune femme à la fois discrète et attentive a pris place à côté de moi. Nous ne nous étions pas encore parlé et les rencontres littéraires qui nous réunissaient commençaient seulement. Mais il existe des personnes dont la seule présence est déjà le début d’un échange.

Est-ce leur attitude, leur façon d’écouter ou de choisir des mots vrais, sans concession à ce qui ne serait qu’un échange superficiel et convenu ? J’ai tout de suite senti la qualité de son regard sur le monde, sans savoir que, parmi les nombreuses activités de son parcours déjà très riche, la poète Émilie Turmel avait étudié et enseigné la philosophie. Lorsque la conversation s’est engagée, j’ai été rapidement passionnée par ce qu’elle me racontait. Elle me parlait de Moncton, du Nouveau-Brunswick où elle vit depuis 2018. Elle répondait à mes questions sur cette lointaine terre acadienne qui me fascinait. Je l’entends encore m’expliquer que, contrairement à ce que l’on peut imaginer, l’eau de l’Atlantique y est assez chaude pour que l’on puisse s’y baigner. Puis elle a évoqué les différentes langues utilisées à Moncton, m’offrant presque les sonorités de ce qui est son paysage. La vie d’Émilie Turmel est toute dédiée à la poésie et aux arts, puisqu’elle est à la fois poète et éditrice aux éditions Perce-Neige, dont elle est la directrice littéraire à Moncton. J’ai été très touchée par ce questionnement du monde qu’elle poursuit avec authenticité et exigence, soucieuse à la fois d’écrire mais aussi d’explorer d’autres formes d’expression artistique, comme la sérigraphie. La poésie d’Émilie Turmel m’a émue et je la remercie chaleureusement d’avoir accepté de répondre à mes questions pour Recours au poème.

Émilie Turmel, comment êtes-vous venue à la poésie ?
J’ai commencé à écrire des poèmes lorsque j’ai découvert la poésie québécoise contemporaine, vers la fin de l’adolescence. Jusque-là, on ne nous avait enseigné que quelques classiques français dont la forme, lourde de règles et de contraintes, me semblait rébarbative. Puis, au Cégep1, un professeur de littérature nous a fait lire Moments fragiles de Jacques Brault (Noroît, 1984). Il nous a demandé de tenir un journal de lecture et d’y noter nos impressions, les passages qui nous avaient émus ou ceux demeurés hermétiques, notamment. C’était la première fois que je lisais un texte en vers libres. C’était la première fois que j’écrivais librement sur la poésie. Et tout naturellement, dans mon journal, je me suis mise à répondre aux poèmes de Brault, à les poursuivre, à les pasticher, à les réécrire. Graduellement, j’ai compris que l’écriture de la poésie était une permission à se donner, une liberté à arracher à la langue et à ses normes, une manière de résister à l’ordre établi. Et la poésie ne m’a plus jamais quittée.
Le féminin est un de vos thèmes récurrents. Pourquoi ?
Dans Chasse à l’homme (La Peuplade, 2020), Sophie Létourneau écrit : « Comme tout le monde, je ne me suis jamais intéressée aux femmes jusqu’à ce qu’à vingt-six ans, je découvre que j’en étais une. Comme tout le monde, moi aussi, je voulais être un grand homme. » Je me reconnais dans cet aveu. Jusqu’à la fin de mon parcours universitaire en philosophie et en littérature, je n’avais étudié presque exclusivement que des œuvres d’hommes. Je voulais être un grand écrivain. Quand j’ai réalisé que mon cursus m’avait privée de toutes ces grandes penseuses et artistes qui auraient pu devenir pour moi des modèles, j’ai éprouvé à la fois une grande colère et une terrible honte. Comment se faisait-il que la moitié de l’humanité n’ait pas voix au chapitre, soit réduite au silence ? Et surtout, comment avais-je pu contribuer à cette invisibilisation, même inconsciemment, même involontairement ?

Émilie Turmel, L'Avenir à qui, lu par l'auteure.

Je me suis alors promis de lire les femmes et de relayer leur parole ; et j’ai commencé à combler les cases vides de mon arbre généalogique intellectuel, à retracer ma lignée artistique matriarcale. Ce faisant, j’ai buté sur certaines influences moins heureuses que d’autres ; des modèles que j’avais imités en pensant correspondre à une certaine idée du féminin, pour entrer dans le moule de la bonne élève, de la femme fatale, de l’épouse, de la mère, etc. La poésie s’est alors avérée une arme de choix pour sortir de ces cadres étouffants, pour questionner et déconstruire les rôles traditionnellement attribués aux femmes dans nos sociétés patriarcales.
Dans Vanités, il y a du feu et de la colère rentrée. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce recueil ?
Vanités est mon second livre de poésie. Il aborde la notion de transmission entre une mère et sa fille, ce qu’on lègue à la génération suivante, parfois malgré soi. Si certains passages relèvent de l’autobiographie, la figure de la mère doit aussi être prise au sens large de tous ces modèles (privés ou publics) qui forgent notre idéal de la féminité et des rôles que doivent endosser les femmes pour y correspondre. Dans Vanités, je m’intéresse à l’image, à la réflexion que nous renvoie la société de notre propre corps. Le livre aborde notamment le besoin de plaire et les contradictions qui habitent une femme souhaitant tout à la fois être convoitée comme objet de désir et s’émanciper comme sujet agissant. En cherchant des « coupables » à la honte que j’éprouve de m’être moi-même retrouvée prise au piège par certains diktats de beauté, j’ai pris conscience que le processus de réparation ne passe pas uniquement par une révolution du monde extérieur et le changement de mentalité d’autrui, mais aussi par une sorte de désintoxication personnelle. Il s’agit en fait d’expurger la misogynie internalisée pour se réconcilier avec la Mère, toutes les mères. Le souhait du recueil est donc que la colère se transforme éventuellement en une solidarité et une bienveillance envers toutes les femmes.
Berceuses, comme le titre le suggère, évoque beaucoup la maternité. Est-ce que vous la ressentez comme l’espace d’un retournement possible dans ce qui nous est transmis de génération en génération ?
Mon troisième recueil, Berceuses, est le premier où le « je » (parfois camouflé sous l’adresse à un « tu » impersonnel ou plus universel) se retrouve dans le rôle de la mère. Lorsque j’ai eu mon premier enfant, en 2021, mon rapport à la maternité s’est approfondi. J’ai entamé une longue réflexion sur l’être et le devenir mère. J’étais notamment habitée d’une peur viscérale de transmettre à mon enfant des traumatismes familiaux dont j’avais hérité et dont je n’avais pas encore entièrement su me débarrasser ; et d’une peur de ne pas réussir à le nourrir adéquatement – d’abord au sens littéral, mais surtout au sens spirituel et intellectuel –, une peur d’élever un garçon qui perpétuerait les cycles de la violence patriarcale plutôt que de s’en émanciper grâce au féminisme. Ce sentiment montre que quelque chose de crucial se joue au moment de passer le flambeau à la génération suivante ; que la maternité, voire la parentalité en général, est bel et bien un espace de retournement possible, un espace de réparation, de guérison. Et tout ceci passe selon moi par le langage, par le fait de nommer, de raconter… pour que le vécu des femmes entre dans la grande histoire, dans la grande mémoire.

Émilie Turmel, Journée du poème à porter.

Vous évoquez aussi le chêne, ce bois dont on fait le berceau. Quelle importance donnez-vous aux arbres en général ? Appartiennent-ils seulement au mythe et à notre imaginaire ou sont-ils aussi pour vous une préoccupation particulière ?
Dans Berceuses, le chêne est évoqué comme symbole de la transformation du vivant et comme témoin du passage du temps. L’arbre devient chaise, devient plancher, devient maison. Ainsi, même « mort », le bois continue de nous bercer, de nous soutenir, de nous protéger ; tout comme nos ancêtres. Le chêne – ses branches, ses veines, ses racines – nous rappelle que nous faisons partie d’un cycle immuable, que nous faisons partie de la nature, que nous sommes soumis à ses lois au même titre que ce les êtres qui pourraient nous sembler « inanimés ». Le chêne nous rappelle aussi de porter attention à la trace laissée par celles et ceux qui nous ont précédés : de ne pas voir la chaise comme simple meuble inerte et anodin, mais comme le résultat d’un travail, d’un soin apporté. Le chêne nous dit cet amour trop souvent invisibilisé. 
Quelle place a la sérigraphie dans votre chemin de poétesse ?
J’ai découvert la sérigraphie dans le cadre d’un programme universitaire de deuxième cycle en création de livres d’artistes auquel je me suis inscrite après avoir terminé ma maîtrise en littérature française. J’avais alors pris la décision de ne pas poursuivre mon parcours académique au doctorat parce que la pratique artistique m’interpellait davantage que la recherche, et je me suis offert ce cadeau pour entrer pleinement dans cette nouvelle étape de ma vie professionnelle. Quelques années plus tard, j'ai obtenu une bourse de perfectionnement professionnel du Conseil des arts du Canada afin d'approfondir mes connaissances et ainsi être en mesure de réaliser des projets d'estampe-poésie. J'envisage la sérigraphie comme une pratique me permettant de pousser plus loin ma réflexion sur la répétition et sur la trace, déjà entamée en poésie, en plus d'explorer de nouvelles contraintes formelles, tant du côté du texte que de l'image. En effet, le poème ne se déploie pas de la même manière sur un écran d'ordinateur ou sur la page d'un cahier que sur une estampe. Cela m'amène à réfléchir à l'aspect visuel et matériel des mots (geste de l'écriture manuscrite, lettrage et calligraphie, typographie et police d'écriture, encre, couleur, taille, espacement, blancs, etc.). Ces considérations d'ordre esthétique entraînent également des réflexions d'ordre sémantique et sémiotique. Autrement dit, je me demande toujours comment le signe est relié au son ou au sens. En estampe-poésie, je privilégie l'espace négatif plutôt que l'encre pour mettre le texte en valeur, ce qui me permet d'explorer le « con-texte », c'est-à-dire ce qui vient avec le texte, voire carrément ce qui lui permet d'exister dans un espace donné.
Quelles poétesses et quels poètes ont nourri votre œuvre ?
Je suis une lectrice avide. Et j’aime créer des espaces d’intertextualité où me lover. Je nomme donc quelques influences en rafale (des poètes, mais aussi des romancières et des essayistes) comme autant de clés de lecture pour mes recueils : Carole David, Sylvia Plath, Martine Delvaux, Nelly Arcan, Geneviève Desrosiers, Catherine Lalonde, Josée Yvon, Denis Vanier, Daria Colonna, Denise Desautels, Georgette LeBlanc, Jacques Brault, Hector de Saint-Denys Garneau, Louise Dupré, Anne-Marie Desmeules…

Nutri, Vidéopoème. Poème / Voix : Émilie Turmel. Vidéo / Performance : Annie France Noël. Ce film fut réalisé lors d'une micro-résidence à Caraquet (NB) dans le cadre du Festival acadien de poésie. © Annie France Noël & Émilie Turmel - Tous droits réservés - 2022

Comment naissent vos recueils ? Écrivez-vous au jour le jour pour construire ensuite ? Ou suivez-vous des chemins déjà esquissés au préalable ?
Mes recueils naissent dans les marges des livres de ma bibliothèque. Depuis ce fameux exercice de journal de lecture qui remonte à mes dix-sept ans, j’ai pris l’habitude de lire avec un crayon à la main. Je n’ai pas de routine d’écriture au quotidien. Cela vient par vagues, par bouillonnements, après une lecture ou un événement auquel je réagis. C’est très impulsif. C’est pourquoi j’écris d’abord directement dans mes livres, au dos d’une facture, sur un dépliant promotionnel, dans mon téléphone, etc. Puis, quand je sens qu’un projet demande à naître, qu’un fil doit être tiré, je commence à transcrire les marginalias et les annotations dans des carnets. J’accumule ainsi beaucoup de matériel brut que je retravaille d’abord à la main. Lorsque les brouillons commencent à dialoguer entre eux, j’en fait un tapuscrit. Puis, quand le fruit me semble mûr, j’imprime l’ensemble des poèmes et je les dispose sur une très grande surface plane (un plancher, un mur) afin d’avoir une vue d’ensemble. À partir de là, je parfais l’architecture du livre : je peaufine les symétries, boucle les boucles, comble les vides, etc. C’est un processus assez instinctif et très visuel.
Vous habitez à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Vivre en Acadie donne-t-il une dimension particulière à votre quotidien de poétesse ?
Je suis née à Montréal et j’ai grandi à Hull, Laval et Cap-Rouge avant de quitter les maisons familiales et de déménager dans le quartier Saint-Jean-Baptiste, puis à Donnacona, et ensuite dans le Vieux-Québec… pour enfin atterrir à Moncton, au Nouveau-Brunswick. Après avoir passé trente ans au Québec, ce changement de province a été une étape décisive de ma vie professionnelle et personnelle. Il faut savoir que le Nouveau-Brunswick est la seule province officiellement bilingue du Canada. La ville de Moncton, dont la population compte environ un tiers de francophones, est l’épicentre de la culture acadienne. J’ai donc la chance de vivre au cœur d’une communauté artistique vibrante et tissée serrée. En raison de l’histoire du peuple acadien, qui a été marquée par le Grand dérangement2, la question identitaire y est omniprésente et passe inévitablement par la défense de la langue française dans toute sa pluralité et sa complexité. En Acadie, les auteurs et les autrices utilisent plusieurs variantes régionales du français dans leur écriture : le chiac dans le Sud-Est du Nouveau-Brunswick, le brayon dans le Nord-Est, l’acadjonne à la Baie Sainte-Marie (Nouvelle-Écosse), le cadien en Louisiane, etc. La littérature est donc abordée de manière beaucoup plus décomplexée et libre qu’ailleurs. La proximité avec l’oralité ainsi que la découverte de nouvelles graphies m’ouvrent des perspectives fort stimulantes du côté de la poésie, tant comme autrice que comme éditrice. La proximité avec l’océan Atlantique et le rythme de vie des Maritimes influencent aussi mon écriture ; le paysage qui m’habite et m’inspire n’est plus le fleuve St-Laurent, mais plutôt la baie de Fundy, là où se produisent les plus hautes marées du monde…

Vous êtes aussi éditrice. Pourquoi avoir choisi de s’engager aussi dans cette voie ? Pouvez-vous nous parler un peu de votre maison d’édition ?
J’ai commencé à travailler pour les Éditions Perce-Neige en septembre 2022 et j’en assume la direction littéraire depuis mars 2023. Fondée en 1980, il s’agit de la plus ancienne maison d’édition acadienne toujours en activité. Il faut savoir que la littérature acadienne a une histoire relativement récente ; la première maison d’édition acadienne, les Éditions d’Acadie, a ouvert ses portes au début des années 70 en publiant coup sur coup trois recueils de poésie fondateurs : Cri de terre de Raymond Guy LeBlanc (1972), Acadie Rock de Guy Arsenault (1973) et Mourir à Scoudouc d’Herménégilde Chiasson (1974). Cette maison a fermé ses portes au début des années 2000, ne laissant dans le paysage littéraire que les Éditions Perce-Neige, basées à Moncton, les Éditions La Grande Marée, basées dans la Péninsule acadienne, et Bouton d’or Acadie (jeunesse). Chez Perce-Neige, je succède aux poètes Gérald Leblanc et Serge Patrice Thibodeau, qui ont respectivement tenu la barre de l’organisme de 1991 à 2005 et de 2005 à 2023.
C’est un grand privilège de prendre le relais pour continuer à développer la littérature acadienne et la faire rayonner dans toute la francophonie. Mon rôle d’éditrice me permet d’être continuellement en contact avec les artistes, immergée avec elles et eux dans une démarche créative. Je les aide à donner corps à leurs idées, à donner vie à leurs émotions. C’est un rôle qui se rapproche de celui de la sage-femme, de la maïeutique socratique. Je donne tout autant que je reçois ; c’est un travail très gratifiant, mais aussi très nourrissant.
Quels sont vos projets en tant que poétesse et en tant qu’éditrice ?
En tant que poète, je travaille actuellement sur une exposition permettant à mon recueil Berceuses d’aller à la rencontre d’un nouveau lectorat par l’entremise de l’estampe et de l’installation audio. J’ai aussi entamé la phase de recherches et de lectures qui mènera à l’écriture de mon quatrième livre de poésie.
Du côté de la maison d’édition, avec mes collègues, je travaille notamment sur la publication d’une importante anthologie thématique pour souligner le 45e anniversaire des Éditions Perce-Neige, que nous célébrerons en 2025. Nous souhaitons également développer notre réseau à l’international en participant à des foires comme celles de Londres et de Francfort et à des événements comme le Marché de la poésie de Paris et le Poetik Bazar de Bruxelles. Bref, nous avons l’ambition de faire connaître la richesse de la littérature acadienne par-delà les frontières parce que nous croyons qu’elle est résolument singulière et inimitable.

Présentation de l’auteur




Lettre ouverte à Florence Saint-Roch à propos de Préparer le ciel, sept fois quatorze stations

Chère Florence Saint-Roch

J’ai lu Préparer le ciel ces 4, 5 et 6 juillet 2024, c’est-à-dire entre les 2 tours des élections législatives françaises. Et c’est un choc émotionnel (« Alors dans la tête / On distend la corde / On défait les nœuds »). Une découverte esthétique (« La page est immense »). Une jouissance de la langue (« Une phrase se forme / Incontinent se défait / Dans un poudroiement de poussière »). 

On pourrait penser : tout de même, lire et parler de poésie dans des temps pareils ! Mais voilà qu’une poésie, cette poésie, parce qu’elle injecte le monde et la société dans sa parole, s’injecte elle-même, en retour, dans ce monde et cette société. Ce n’est pas si courant. Et pourtant ! 

Voilà des décennies que je répète que la poésie s’adresse en premier lieu à ceux qui ne la lisent pas. Qu’il me revient, avec les moyens qui sont les miens (Les parvis poétiques, depuis 1982), d’œuvrer à faire se rencontrer des voix solitaires et des oreilles multiples. Encore faut-il que ces voix, tout en évitant l’écueil des « Paroles grossières cris épais », sachent prendre à bras le corps la réalité tout sachant « Garder intacte la perplexité », et sauvegarder la complexité. 

Vaste est l’horizon qui s’offre à la poésie, une fois passés les obstacles des préjugés entretenus de part et d’autre du langage. Mais si « Le chemin commence l’espace », il n’est jamais tard pour être à l’heure. La preuve par ce livre. Combien ces textes parlent en – et de - ces jours-ci que nous vivons. A l’heure où on peut se demander « Où sont donc passées nos belles idées » (« Se pourrait-il qu’arrive une nuit / Où même les plus brillantes étoiles / S’éteindraient »), c’est dire combien ce livre « Avec vigueur empoigne le présent ». 

Et quand bien même : «  Si le monde autour s’éteint / Faire venir le ciel dedans », et pour ce faire, « Défatiguer les mots » est œuvre de salubrité publique.

Merci Florence, et si je suis triste de ne pas vous avoir lue/connue plus tôt, je suis heureux de vous découvrir enfin ! Comme quoi vieillir a parfois du bon…

Marc Delouze

PS Au lendemain, et comme en écho à Préparer le ciel (et à cette lettre), les résultats des législatives sembleraient exprimer un désespéré et néanmoins furieux désir de réparer la terre… La poésie n’a pas fini d’en finir !




Nicolas Jaen, CELUI QUI A VU LA TRÈS-DOUCE

Je ne vois pas mon visage quand je te parle mais
tout ce que tu as fouillé en toi pour en arriver là
à moi qui te parle toi qui m'écoutes et me
regardes écoutes et regardes maintenant avec tes
yeux avec ta peau avec tes habits sur ta peau
avec ta nudité dessous tes habits nudité un peu
honteuse outrée rentrée se cachant de plus en
plus sous plusieurs couches d'étoffes se cachant
le visage sur les photographies ou de temps à
autre le regard nu oui souligné par le trait du col
relevé sur la figure où cacher la bouche cacher
les joues cacher le nez dans le noir dessous nous
nous sommes rencontrés comme ça en ce huis-
clos à ciel ouvert le jardin tu m'as offert sur un
plateau un thé que je n'ai pas bu parce que mes
mains tremblaient je faisais des patiences avec
des cigarettes aux moments où tu t'absentais
pour un appel pour faire bouillir de l'eau pour le
thé il y avait du sucre roux celui que je préfère
le goût me venait dans la bouche comme
lorsqu'on voit un gâteau chez un pâtissier on en
a la saveur au palais son goût oui

tu appelais la maison « le château »

tu m'écrivais « rendez-vous au château, dimanche,
quatorze heure »

c'était le temps des murs le temps des enfermés
malgré eux je vivais à cent mètres de toi volets
fermés avec pour seule lumière l'écriture je
nageais dans une atmosphère de fumées
épaisses entendais chaque soir à vingt heure les
tambourinements des casseroles n'y participant
jamais car je pensais aux plus grandes heures du
totalitarisme des angoisses comme des
décharges électriques me tordant les boyaux et
je songeais déjà en une forme de rêverie à ce
que tu évoquais une après-midi dans le jardin
ton internement tu avais quinze ans peut-être et
tu te plaignais de douleurs au ventre personne
ne te croyait ta mère les médecins te prenaient
pour une folle et plus tard ils t'ont retiré trois
tumeurs « grosses comme des oranges » selon
tes mots à toi trois oranges malignes sorties de
ton ventre les enfants meurent ainsi à leur vie
d'enfant les jeux s'épuisent à force d'être joués à
dix ans j'ai décidé de devenir adulte en fait je
crois bien n'avoir jamais cru à l'enfance pas la
mienne en tout cas j'ai jeté mes jouets j'ai filé
rejoindre un ami en vélo mais que veux-tu

quelque chose s'est cassé avec l'os

et une fois seulement des années plus tard j'ai
osé poser ma main sur ton épaule t'embrassant
sur les joues et tu as fait céder ce que tu
considérais certainement comme une emprise un
geste déplacé d'un mouvement sec un Noli me
tangere et certainement ai-je appuyé trop fort
sur ton épaule moi qui ne maîtrise guère mes
élans émotions comme ils m'arrivent je n'ai pas
vu mon visage quand je t'ai dit « au-revoir »
mais plutôt un rictus sur le tien

ce jour-là ton regard dur m'a crucifié

 

au « château » je suis entré dans tes yeux ai
frôlé la pointe de ton regard me suis laissé
porter par lui l'instant d'après puis rejeter sur la
grève des bienheureux je t'écris depuis elle la
lumière coulait la lumière soudait il y avait des
murs d'ombres où penser tout bas des murs sur
lesquels crachaient les nues ils me  roulaient me
ruinaient et un jour écrasé mal j'appellerai un
ami pour qu'il aille m'acheter des cigarettes
sortir je ne pourrai plus ce sera comme mourir
en tout aussi grand cette angoisse-là ce jour-là
depuis je travaille lentement à ma disparition
dans le corps du texte des amis viennent ils
repartent pour revenir ce n'est jamais la même
couleur non c'est le fond du ciel celui des îles de
l'intérieur d'un long regard embrassant l'horizon
c'est l'ange brun de nuit à cause d'un instant
dans tes yeux c'est l'aile légère éclose égalité de
par le monde ta voix au téléphone le vendredi le
dimanche ta voix me parle de son travail de sa
musique

moi j'entends battre tes paupières 

 

ta voix au téléphone et il me faut recomposer
ton visage quand tu me parles toi là-bas moi ici
pas très loin du château tout compte fait toi
Paris son ciel baudelairien ses ciels lavés d'après
les pluies « la mélancolique lessive d'or du
couchant » sur le pont des Arts et puis un jour je
me suis perdu dans Paris perdu jusqu'à plus de
nom et dans l'oubli de mon propre visage oui
partout où je vais il me faut me dépouiller de
moi car je sais trop moi les nerfs les tendons les
veines la couleur rouge à l'intérieur oui un jour
j'ai vu le dedans de mon bras le gauche celui qui
n'écrit pas je me suis arrêté un temps au bord du
puits celui où l'on jetait les sorcières au Moyen-
Âge et j'ai regardé et je me suis penché pour
voir et j'ai vu le ciel et mon ombre en miroir

je me suis détaché de moi

je suis parti en laissant l'autre de moi au bord du
puits et quelque chose me dit que tu as eu un
puits où te pencher toi aussi que tu as également
vu le ciel et ton ombre posés là en miroir que tu
as commencé à marcher loin de ce que tu fus
dans l'oubli de ton nom dans l'éclipse de ton
visage t'es-tu mise pour autant à aimer tes rides
celles de ton nouveau visage je ne crois pas non
je ne crois pas or ce dont je suis sûr c'est que tu
vieillis avec toi une fois franchie l'épreuve du
puits épreuve commune à tous et sélective s'il en
est où une écrasante majorité de personnes n'y
voient qu'un puits un peu de ciel et un peu
d'ombre repartant tout de go afin de la dormir
cette vie infirme et attardée

et nous sommes de ceux qui marchent en avant

l'air a un fond d'une douceur déchirante j'écris
comme je suis entré dans tes yeux sur la pointe
des pieds je gagne sur le blanc ne dois pas faire
trop de bruits le grattement de la mine sur le
papier la nuit ne pas penser trop fort se
concentrer au maximum les experts en
télékinésie ont ce genre de méthodes les
télépathes aussi je suppose mais je n'entends
rien de ce à quoi tu penses et si je ne dis rien
c'est que je m'écoute rêver tout haut tous les
matins continuant le songe au réveil la
télépathie etc font la même chose j'imagine or
l'important n'est pas de tordre une cuillère par la
seule force de sa pensée ou de se faufiler dans
les pensées des autres mais bien d'établir une
grande paix autour de soi « les amis l'œuvre les
livres » un grand calme dans sa demeure et moi
qui ne suis ni télépathe ni expert en télékinésie
je sais ce que je sais l'amitié est un art une autre
forme d'amour plus serein plus beau en tout
puisqu'il n'y a pas le sexe pour la corrompre
cette amitié capitale (toi et moi) et que le simple
fait d'entendre ta voix au téléphone me comble
je me sens plein jeune et beau et tu dis des
choses qui me font rire ou sourire et tu ne sais
pas au téléphone quand je souris quand je me
tiens le front tu sais au clic du briquet quand
j'allume une cigarette pas si j'avais envie de
pleurer juste avant de t'appeler tu sais seulement
mon grand rire en rebond à certaines intonations
dans ta voix à un certain bagou chez toi alors
oui voici un grand rire un de l'esprit voilà nous
ne sommes en aucun cas aptes à tordre une
cuillère sans même la toucher mais cependant
nous sommes forts de cette Joie comme un
accord majeur  

un piano pour enfants

et j'ai dû te le dire un matin au téléphone elle
était d'ombres bleues-blanches et toute lumière
et j'avais dix ans peut-être et
elle est venue la
très-douce dans la chambre bleue avec sa robe
bleue et blanche et moi j'ouvrais les yeux
comme une fenêtre pour basculer vers une autre
aventure d'autres gens certains chapeautés
certains têtes nues certaines portant un fichu
d'autres en cheveux certains pour le jeu d'autres
pour le désarroi de plus en plus pour l'amour
tous dotés d'un cœur capable de passion et je
fixais le coin de ses lèvres la force de son regard
à elle j'étais tout à elle me rendant mes regards
avec des yeux douloureux mais me souriant
toujours d'un sourire triste en coin mais sourire
toujours il y eut comme un battement de cils elle
n'était plus là puis courir les élévations dans les
escaliers cette étrange sensation d'être
surnuméraire jusqu'à savoir où cacher ce secret

en ce cœur second qu'elle m'a donné là où
personne n'ira le chercher

écoute les battements de ton cœur dans la nuit
ne dis plus rien ne bouge plus ferme les yeux
ferme la nuit sens-tu battre ton cœur systole et
diastole et systole et diastole cette boucle aura-t-
elle une fin entends-tu ce silence entre systole et
diastole as-tu rencontré au moins un ange sur
ton chemin ou as-tu zigzagué avec et contre les
courants pour éviter les chiens de l'enfer à
l'indienne sans trop de bruit comme on parlerait
d'une nage comme un rayon peut émouvoir
parfois toujours par la diagonale et cette pensée
en mouvement j'en parlais déjà autre part tout ce
que nous n'avons ni marché ni couru durant le
jour nous le faisons la nuit dans nos rêves qui
nous agissent nous tuent nous ressuscitent dans
cette très vieille inconscience des êtres à eux-
mêmes alors oui dans ce sens je peux écrire
« nous sommes à nous-mêmes un puits sans eau
sans soleil pas une once d'ombre rien que cette
inconscience pour le moment reste à savoir
comment et dans quel état nous nous
réveillerons »

mais si tu viens viens avec toi

promis je ne poserai plus la main sur ton épaule
ne tenterai plus l'aubade  

 

 

Présentation de l’auteur