Emmanuelle Gondrand, Toi et autres poèmes

Toi qui manques au jour comme la nuit au monde
Guettant son repos sous la lampe
Toi dont les yeux marchent au repaire
Humant le seuil de chaque vent
Toi qui effeuilles demain de tes doigts détachés
Vérifies et cales le sillage
Toi qui n’es pas, que j’invente
Ma compagne rendue
Mon épaule promise

Palmyre

Dans l’atelier presque nu
Le jeune mécanicien inventa la pièce
Et disparut
Poussant un pneu
Comme on distrait un cœur lourd
Par les rues larges à digérer une prison.

Au mur de l’oasis
Il faut être bien espiègle pour passer
Ou l’enfant comme l’eau façonnant son chemin.

Les hommes
Seuls
Talons agiles
Abritent dans leurs manches le savoir bruni.
Ils peuvent le soir lever la tête
Vers les mains des arbres s’offrant le dernier soleil.

Là-bas, les ruines sont de nos rêves faites, debout.
Par leurs pores la terre roule sa fierté de nous porter encore.

La brute ignore

Qu’en explosant

Le sourire des siècles rejoint la lune énorme

Qui tient les comptes.

Amour

Tu es le larmier de toutes mes façades
Viens, abritons-nous si seuls
L’orage atteindra à temps la croupe de nos rires
et le revers de nos joues.
Sur la tienne je pose ma main, ligne de basse
qui soutire à tes questions
leurs torsades
qui sème dans tes yeux
leurs altérations.

Je vois que tu te penches sur ce tableau connu en y cherchant ce qui te fait trembler.
Ecoute derrière la pièce d’eau le passe-pied masqué et la grive qui l’espionne.
Martèle encore un peu l’image et tes yeux riront eux aussi.
Sur la grève pour Cythère on se hâte, mais s’il fallait rester ? Pour suivre d’un doigt
brûlant la courbe où au calendrier tu mêlas les feuilles pleines, les fruits ramassés,
les barques soudaines et nos bras délicieux.

La bourrasque promise fait sourire les fenêtres. Je t’offre nos épaules au vent,
caressant l’espace de gammes en serments. Je t’offre la croisée ouverte sur le mur
chaud où s’impriment, la veille en applique, l’appui de demain, l’impossible toujours.

∗∗∗

Mon garçon

A mes fils

Mon frêle et gracile.
Mon garçon
Mon petit miel qui rit

Ma lecture innée
Mon sommeil de moissons
Mes sillons résumés
Mon parasol en bonds.

Je fais le serment rose de faire se lever le soleil comme tu le veux : et tu tiendras ma
main.
Je fais le serment roux de ne jamais m’incliner en barrière : et tu lâcheras ma main.

Je veux être la mousse des forêts reculées, douce à ton pas curieux et nu de terreurs
résiduelles et puissantes.

Je veux être la brume qui s’étiole à la proue de tes départs, parfumant tes doutes de
la sève du retour entier.

Je veux être la jointure blanche de tes poings au haut des boulevards où d’autres
vont en pente, lorsqu’il faudra trouver la maille par où commencer.

Je veux être, aux soirs des solitudes qui ne manqueront pas, la paroi qui t’investit
d’un miroir prometteur.

Je veux être le filigrane dont tu disposes et que tu emportes partout.

Je veux que tu n’égares pas l’enfant lorsque sonne la fin des récréations ; que, les
pieds empêtrés dans le cartable du devoir, tu ravales les rages aux avenirs inutiles,
que tu tiennes le regard hors des grilles, visant demain et son corps de danseuse.

Je veux que tu arraches à l’aube qui enfante
La promesse de ton dû et ta consécration
Que tu forges ton été sans mesurer ton pas
Que ton envergure paisible résolve l’horizon.

Je veux que de tout cela tu me saches effacée.

∗∗∗

Pour ma fille

L’arpège continu des temps jusqu’ à toi
Lance sa main dans l’air
A l’heure sans hier
Juste l’ombre jeune au volet replié.

Il faut laisser entrer le soleil dans les maisons
Qu’il caresse les oiseaux posés là.

Tu sais, ou tu apprendras, sur ta tige penchée, que les hautbois des attentes
Vernis épuisants, marchent par gradins sur les mélancolies.
Tu en résumeras le seuil en un seul pas qui claque
Et cela sera : une guitare, son chemin
L’herbe aux lèvres et le sourire aux dents.

Epouse des pétales du vent
Tu ouvriras les vannes et les miroirs qui grondent
Tes cheveux orneront la nuit et l’orbe blanc
Sans frein ta courbe rejoindra le ruisseau grisé
Et tes cils en coulisse.

Affolée peut-être de tout ce qui ne viendra pas
Tu vibreras comme la corde au manche

Et tu calmeras le cœur, fléchette et trésor,
Qu’il laisse
La dernière note mourir.

 

∗∗∗

Rebours

La nuit ferme ses lèvres
Sur la coupe laissée par le dernier dormeur.
Par un piédestal dérobé nous fuyons son front
Les ères advenues
Celles qui ne commenceront pas.

Des étoiles jumelles crient à l’horizon
Se déclinent savantes
Bien que percées sur le calque des vœux.

Si la voûte signait
Nous nous rangerions aux couleurs qu’elle verse
Les feuillages enfleraient en un secret de fruits
Et sur les ponts la musique naîtrait
Comme l’honneur de l’aube au matin inédit.

Mais il faut peser l’illusion
Glisse la mécanique
Sans sonner se décale d’un cran
Ô partir mais où
Menteur, l’arrière-pays n’a gardé
Qu’une griffe seule accroupie et buvant
Le mince filet qu’on lui avait confié.

Cette sente mène aux racines maigres
Où l’homme raréfié
Grignote sa chaleur comme un biscuit de pirate.
Ni l’enclume ni la roue ne réclament leur dû.
La main qui se lance ne retombera pas.

Au cœur des antres, sous les vallées, gisent des lettres, en tas.

Présentation de l’auteur




Rossano Onano : carnet de poèmes inédits

Cela te suffit-il, si je te dis merci ?

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textes recueillis par Giancarlo Baroni,
traduction de Marilyne Bertoncini

 

 

Ce sont des inédits absolus, même en Italie, que nous vous proposons : issus d'un "carnet à la couverture ornée de petites corolles aux couleurs délicates comme une prairie fleurie" contenant environ 130 poèmes inédits en volume de l'écrivain Rossano Onano que Giancarlo Baroni ( qui nous avait déjà offert une large sélection de poèmes publiés, édités par ses soins et traduits en français par Marilyne Bertoncini, le 6 novembre 2020 dans  Recours au poème) nous donne à découvrir en avant-première, grâce à  Erminia (Emy, protagoniste d'un texte affectueux ici) , la femme du poète, que Giancarlo Baroni a le plaisir de connaître.

"Dans le cahier se trouvent des textes de différentes longueurs, comme c'est généralement le cas dans les nombreux livres d'Onano publiés de son vivant" nous écrit Giancarlo Baroni. "J'en ai choisi quelques-unes parmi les plus concises : Rossano était un maître des formes courtes. Dans la succession des pages, surtout dans les dernières avec l'aggravation de la maladie, l'écriture manuscrite révèle une plus grande incertitude qui rend son interprétation plus compliquée.
Rossano Onano nous a quitté en avril 2019 ; donc plus de 5 ans se sont écoulés depuis son décès, mais son souvenir reste indélébile chez ceux qui ont eu la chance de le connaître."

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Intelletto

 

Nel suo tendere alla perfezione

era sulla buona strada, prossimo all’arrivo.

Sollevò lo sguardo, vide un’immobile

landa fiorita, un’alba temperata.

Fortunatamente accorse l’urlo

della lupa, capì come il percorso

fosse infinito, proseguì il cammino.

 

Intellect

 

Dans sa quête de perfection

il était en bonne voie, sur le point de l’atteindre.

Il leva les yeux et vit immobile

une terre fleurie, une aube tempérée.

Fort heureusement, lui parvint le cri

de la louve, il comprit que le chemin

était infini, il poursuivit sa route.

 

*

 

 

 

Tav

 

Tutti i binari, in lontananza, convergono.

Per questo coltiva le lontananze

con umiltà. Aspetta timido l’ultima

convergenza, fioca, nella speranza.

 

TGV

 

Tous les rails, à l’horizon, convergent.

C’est pourquoi il cultive les distances

avec humilité. Timide, il attend l’ultime

infime  convergence, pleins d'espérance.

 

*

Io

 

Dimmi, Signore, da quali inopportune vie

mi sopraggiungi, quale meta proponi, quale ingaggio?

Sappi che mi rammarico, nel tiepido calore

dell’accampamento, io, pauroso che termini il viaggio.

 

Moi

 

Dis-moi, Seigneur, par quels chemins inopportuns

Tu viens à moi, quel but tu me proposes, quel engagement ?

Sache que je regrette, dans la douce chaleur

du campement, moi qui suis peureux, la fin du voyage.

 

*

 

 

Fobica

 

Il silenzio rompeva da tutte le fessure

non dava tregua. Finalmente una lama di luce

ferì la stanza nel costato. Ci riversammo

nei vicoli, ancora una volta sopravvissuti.

 

Phobique

 

Le silence se brisait par toutes les fissures

sans répit. Enfin une lame de lumière

perça le flanc de la chambre. Nous nous déversâmes

dans les ruelles, encore une fois survivants.

 

*

Adriatico

 

Nulla vedi più calmo di questo mare

vedi rosse bandiere sui pennoni dondolare.

Quale pericolo incombe non devi sapere

un corvo bianco (un albatro) guarda dalle scogliere.

 

Adriatique

 

Tu ne vis jamais plus calme que cette mer

tu vois de rouges drapeaux flottant sur les mâts.

Quel danger plane, tu ne dois pas le savoir

un corbeau blanc (un albatros) regarde depuis les falaises.

 

*

Rosa rosae

 

Un giardino rivolto ad occidente

le madonne coltivano le rose

vengono e vanno le tribù terrestri

nel giardino si piantano le rose.

 

 

Rosa rosae

 

Un jardin tourné vers l'occident

les madones cultivent des roses

les tribus terrestres vont et viennent

dans le jardin des roses sont plantées.

 

*

Rossano e Emy 

 

 

Non sapevo che cosa raccogliere

di quanto ho tenuto per me

di quanto non ho speso,

cosa portare via.

 

Ti basta se dico grazie? Il ricordo

della tua mano, il viaggio

leggero o greve, nel giorno, comunque?

 

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Rossano et Emy

 

 

Je ne savais pas quoi rassembler

de ce que ce je m’étais tenu

ce que je n'ai pas dépensé,

quoi emporter.

 

Suffit-il que je te dise merci ? Le souvenir

de ta main, le voyage

léger ou grave, ce jour-là, en tout cas ?

(a cura di Giancarlo Baroni e con la traduzione di Marilyne Bertoncini)