Kamel Bencheikh, Porter le poids de la douleur qui rampe

Ne pas disparaître. Affronter l’heure nue,
la sentir peser sur la peau comme une lame,
sans fuite, sans rêve creux,
sans ces échappatoires tissées d’ombres.
Laisser l’instant cogner,
qu’il frappe jusqu’à l’os,
qu’il creuse dans la chair ses racines brûlantes,
sans esquive, sans détour.

Ne pas s’abandonner aux mirages du répit,
ne pas tendre la main vers le mensonge des heures douces.
Tenir, figé sous la lumière crue,
étranglé par le silence,
sans ciller, sans ployer sous la douleur qui rampe,
qui s’infiltre et scelle les lèvres.

Dans cette attente sans fin,
être arraché à soi-même,
dépouillé de tout,
jusqu’à ne plus sentir que la morsure du vide,
être jeté là, chose inerte, chiffon délaissé
que le vent ne soulève même plus.

Respirer malgré tout,
traverser le labyrinthe de l’agonie,
avancer sans repères,
dans l’épaisseur étouffante d’un temps qui se referme,
qui broie, qui nie,
et pourtant, ne pas tomber,
ne pas crier, ne pas demander grâce.

Porter l’heure jusqu’à son dernier battement,
jusqu’à ce point de non-retour
où la douleur, fendue en deux,
délivrera enfin sa vérité intacte,
sa voix brutale et pure,
sa dernière lueur inviolée.

Les âmes froissées de l’automne

Un souffle glacé racle la nuit,
lente morsure du soir d’automne,
où l’ombre s’étire, déchire le ciel,
où la lumière vacille, en proie aux cendres.

Au-dessus, des nuages fauves,
gonflés d’incendies et de spectres,
s’accrochent aux étoiles en lambeaux.
Des anges déchus y errent,
les ailes noircies de cendres,
les visages fendus de songes avortés.
Des cauchemars rampent sous leurs pas,
griffant la chair du vent.

Le passé cogne aux vitres,
insistant, indélébile,
ruisselle sur les murs comme une pluie froide,
s’accroche aux épaules, murmure son poids.
Le présent vacille sur un fil trop mince,
en équilibre au bord d’un gouffre sans nom.
Et l’avenir ?
Peut-être une fenêtre brusquement ouverte,
un appel d’air, une fuite,
ou juste un mirage, un leurre dans la brume.

Un souffle glacé traverse la nuit,
et sous lui, les feuilles,
ces âmes froissées de l’automne,
tremblent, s’accrochent,
mais déjà se détachent,
fragiles, si fragiles,
avant de sombrer dans le silence.

 

Au creux de tes yeux

Doucement, au creux de tes yeux,
je me suis abandonné,
glissé sans bruit dans l’ombre liquide,
me noyant sans lutte, sans retour.

Le temps s’effilocha en un sifflement léger,
comme une lame d’air sur la peau,
comme une promesse oubliée avant d’être dite.
Au-dessus, des flottes de nuages,
sombres navires errants,
filèrent sans jeter l’ancre,
sans laisser d’empreinte sur l’azur effacé.

C’était il y a mille marées,
tant de saisons fanées,
tant de soleils épuisés.
À force de fouiller les vestiges,
de poursuivre des ombres sur le sable mouvant,
on se lassa de chercher,
de croire qu’un jour, quelque part,
la trace de nos pas surgirait intacte.

Les vagues roulent encore,
pures, indifférentes,
sculptant d’un frisson la peau de l’océan.
Mais l’eau elle-même,
dans ses profondeurs impénétrables,
ne saurait deviner l’ombre immobile,
le silence enseveli,
la paix obscure
qui repose au fond de ma mer.

Je meurs, étranger à la mort

La nuit, encore une fois la nuit, elle revient, souveraine et absolue, détentrice d’une sagesse
obscure qui s’infiltre dans mes veines comme un poison lent.

Elle enlace le monde d’une caresse silencieuse, d’une étreinte brûlante et funèbre, comme la
main invisible de la mort qui frôle sans emporter, qui éveille avant de condamner. Un instant
d’extase suspend mon souffle, moi, l’héritier secret des jardins interdits, celui qui a effleuré
l’ombre sans jamais posséder la lumière.

Des pas résonnent, des voix chuchotent, loin, tout au fond, du côté maudit du jardin. Des rires
éclatent derrière les murs, fantômes d’une fête qui n’a jamais eu lieu. Ne crois pas qu’ils soient
vivants. Ne crois pas qu’ils respirent. À tout moment, la faille dans la paroi, le frisson du vide,
et la fuite soudaine du petit garçon que j’étais, pieds nus sur la pierre froide, traqué par une
menace informe.

Il pleut des sourires de papier froissé, des éclats de couleurs fanées que le vent disperse en
silence. Les couleurs parlent-elles ? Et les images en cendres ? Non, seules les dorures
murmurent des vérités, mais ici, il n’y en a aucune. Ici, tout est absence, un oubli sculpté dans
la pierre.

J’avance, et les murs rétrécissent, se rapprochent inexorablement, se ferment sur moi comme la
gueule d’un piège ancien. Toute la nuit jusqu’à l’aurore, j’ai murmuré à voix basse comme une
prière inachevée : si je ne l’ai pas connu auparavant, c’est que son heure n’était pas venue.
J’interroge. Ma voix se dissout dans l’espace. Déjà, plus personne ne m’écoute.

Je m’efface. Je meurs, étranger à la mort. Et pourtant, quelque chose demeure, un souffle, un
dernier spasme, car le langage de l’agonie n’appartient qu’aux vivants. J’ai laissé s’échapper le
pouvoir de métamorphoser l’interdit. Ils sont là, tapis derrière les murs, respirant sourdement,
guettant le moindre frisson de ma voix. Mais dire ma route, dévoiler l’empreinte de mes pas,
m’est défendu. Toi qui écoutes encore dans le silence intact de ta solitude, regarde : ces murs
sont nus, arides comme une plaie ancienne. Ici, la pierre règne, stérile et immuable. Aucune tige
ne brisera l’attente, aucune fleur ne viendra défier l’oubli.

Aucune main ne viendra briser le sortilège. Et pourtant, au zénith de l’allégresse, une mélodie
insaisissable a percé le silence, un chant venu d’un ailleurs inconnu, tranchant et sublime
comme une blessure ouverte. Oh, si seulement je pouvais ne vivre que d’extases, façonner le
poème dans la substance même de mon être, payer chaque vers de ma chair, chaque mot du prix
brûlant de mes jours et de mes veilles, livrer tout mon souffle au verbe incandescent, à la parole
qui se consume et se donne, offerte en holocauste dans le rituel ardent de l’existence et de
l’amour.

Les yeux de celle qui m’écrit

Soudain, des ombres fendent la surface,
plongeurs muets glissant sous les eaux hostiles,
avalés par l’abîme comme des éclats de nuit.
L’œil fixe, cloué à l’invisible,
le souffle arraché, broyé par la pression du vide,
ils s’enfoncent, lents et implacables,
au rythme étiré d’un temps déformé,
secondes distendues, brûlantes,
vertige infini où les siècles s’écoulent en silence.

Nous sommes avec eux, liés par le poids de l’attente,
chaque battement de cœur un écho du leur,
chaque pensée tendue vers l’ombre mouvante.
Nous rassemblons nos forces,
nous nouons nos volontés en un seul fil,
un seul souffle retenu,
un seul appel muet jeté dans les profondeurs.

Ici, sur la terre ferme,
nous restons suspendus entre ciel et sol,
entre nuages et poussière,
entre écume et rosée,
dans cette frontière fragile entre espoir et naufrage.
Nous guettons l’instant où le silence se brisera,
où l’inconnu rendra son verdict,
où le dernier frisson des eaux parlera enfin.

Et vous comprendrez,
vous qui revenez ou disparaissez,
vous saurez ce que murmure le courant :
la seule issue est par les yeux de celle qui m’écrit.

 

Et la vie qui rugit

Voix éclatée dans la nuit scellée,
Éclair fendant le cercueil du silence,
Retournant la terre morte sous mes paupières closes.
Ombre étouffante, chape de plomb,
Noir comme un puits où le souffle s’éteint,
Il n’y avait plus d’issue, plus d’horizon.
Quelle force a brisé la gangue du néant ?
Une main tendue, un cri d’aube,
Et soudain, l’air qui déferle dans mes poumons.

Voici l’éclat d’un monde repeint de sève,
Éparse lumière qui s’accroche à mes cendres,
Racines révoltées qui percent la pierre.
On renaît parfois d’un nom murmuré,
Naissant une seconde fois dans un regard,
Ivresse soudaine d’un cœur remis à flot.
Quelques mottes suffisent, un frisson de terre,
Une saison inscrite dans tes paumes,
Et la vie qui rugit, enfin debout.

 

Les heures à venir

L’amour ne s’élance pas, il t’enlace,
un cercle invisible, un piège mouvant.
Tu tournes, il serre, il t’absorbe,
il glisse sous ta peau pendant que tu t’infiltres en lui,
cherchant une issue dans ses veines brûlantes.

Ton regard s’enfonce dans la matière du monde,
mais le monde est un iris, une pupille béante
qui m’épingle, me traverse, m’efface.
Vois, il se resserre, ce jour naissant,
un point unique où je ne suis plus moi,
où tout devient œil braqué sur toi.

Complice de mes nuits, ombre de mes fièvres,
lumière aveuglante et lame affûtée,
tu avances, incertaine, dans un tout fendu,
un univers complet, mais brisé en deux.

Et déjà, quelque part entre ciel bas et pavés mouillés,
Bruxelles attend, comme un carrefour scellé d’échos,
un battement suspendu, une promesse enfouie
dans le gris tremblant des heures à venir.

Celle qui retient mon ombre

L’enfance, foudroyée en plein vol, grave comme une sentence scellée, abandonnée aux bras
morts des jouets, aux visages de cire, aux idoles creuses qui gisent, complices muettes d’un
pacte sans mots entre moi et l’antre du vertige, là où dort, sous une terre souillée, le butin volé
à mes premières fièvres.

Ne cherche rien d’autre qu’un frisson, et cède, cède à la morsure, laisse la douleur se dresser,
se parer d’éclats trop purs pour être vrais, taper aux portes du gouffre, hurler sans écho.

Nous avons porté la croix des fautes jamais commises, nous nous sommes agenouillés devant
des spectres, nous avons expié le crime des songes.

Pour des ombres, pour du néant, nous avons saigné.

Je veux rendre hommage à celle qui retient mon ombre, celle qui arrache au silence le désastre
effondré sur mon monde, qui défie la nuit d’un seul regard et me sauve de l’oubli.

Un monde repeint de sève

Voix éclatée dans la nuit scellée,
Éclair fendant le cercueil du silence,
Retournant la terre morte sous mes paupières closes.
Ombre étouffante, chape de plomb,
Noir comme un puits où le souffle s’éteint,
Il n’y avait plus d’issue, plus d’horizon.
Quelle force a brisé la gangue du néant ?
Une main tendue, un cri d’aube,
Et soudain, l’air qui déferle dans mes poumons.

Voici l’éclat d’un monde repeint de sève,
Éparse lumière qui s’accroche à mes cendres,
Racines révoltées qui percent la pierre.
On renaît parfois d’un nom murmuré,
Naissant une seconde fois dans un regard,
Ivresse soudaine d’un cœur remis à flot.
Quelques mottes suffisent, un frisson de terre,
Une saison inscrite dans tes paumes,
Et la vie qui rugit, enfin debout.

Présentation de l’auteur

Kamel Bencheikh

Kamel Bencheikh est né à Sétif en Algérie et vit depuis ses 18 ans à Paris. Il a été ingénieur structures dans le bâtiment et a travaillé comme expert après sinistres près les compagnies d’assurances. Militant universaliste, il a été à l’initiative de l’Appel pour la laïcité en Algérie.

© Crédits photos Alain Barbero

Bibliographie 

  • Jeune poésie algérienne, anthologie de la poésie algérienne de langue française, Editions Traces
  • Prélude à l'Espoir, poèmes, Editions Antoine Naaman, Canada
  • Ogive, poèmes, Artère
  • Poètes algériens de langue française, anthologie, Magasin Général éditeur
  • Hommes rocailleux, CELFAN, Philadelphie
  • Les années Boum, ouvrage collectif sous la direction de Mohamed Kacimi, Chihab éditions
  • La Révolution du sourire, ouvrage collectif, éditions Frantz Fanon
  • Tout en haut, poèmes, monotypes de Latifa Bermes, Les Refusés
  • La Reddition de l'hiver, nouvelles, éditions Frantz Fanon
  • L'Impasse, roman, éditions Frantz Fanon
  • Histoire d'un jour vide, poèmes, Les Refusés
  • Là où tu me désaltères, poèmes, préface d’Olivier Thirion, Encres d’Arezki Metref, éditions Frantz Fanon
  • Missive du désert d'El Kantara, poèmes, Les Refusés
  • Les rues de Paris, poèmes, Café Entropy
  • Un si grand brasier, roman, Éditions Frantz Fanon
  • Printemps de lutte et d’amitié, poèmes, Éditions Kaïros
  • L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident – Anatomie d’un renoncement, essai, préface de Stéphane Rozès, Éditions Frantz Fanon

Autres lectures




Harry Szpilmann, Les Corps incandescents

            Du poème considéré comme acte révolutionnaire nous exigeons ceci : un nouvel
incendie dans l'ordre du sensible, cyprès, améthystes et cytises embrasés en plein cœur.
Alliages intensifiés dans la composition des corps, l'alignement des fluides sur la solaire
ascension. Une plus-value vitale.

            À l'épicentre comme aux pourtours la résurgence des sèves encore jeunes, l'activation
des fleuves dans le réseau surchauffé du souffle. Le souffle. Le souffle plein, total, iridescent.
L'immense et l'incommensurable dans l'éclat tout-puissant du plein jour.

            L'affinité privilégiée des astres, des orchis et des geais lorsqu'ils se confondent
absolument avec leur chant ; la terre lorsqu'elle prend part à l'absolu.

            Être de ce chant.  

 

Comment savoir sans se risquer
à son appel que le poème ne promet
rien qu'une furieuse danse de gouffres,
un firmament rêvé que vient crever 
la battue artésienne des mots, que
chaque vocable - hyène ou murène,
vif ou sanguin - porte la voix au point
d'ébullition, le désespoir jusqu'à saturation ;
que cette croisade contre le rien
creuse dans le corps des fleuves obscurs,
des fleurs fiévreuses, de démentes
résonances ne conduisant à rien
qu'à ce réseau de nerfs striant
le corps ardent, le ciel vacant.  

Parfois tu te trouves confronté
à ce silence sans rives et sans confins
et qui serait du ressort de la nuit,
ce silence que tu sens perler
sur le bout de ta langue comme
des îlots à la dérive, comme gouttes
de sang fusant dans les abîmes du temps,
et pour lequel la langue serait
d'insuffisante lumière quand bien même
pulse en ton plexus tout le souffle condensé
de l'enchantement ; car pour ce dire
il te faudrait grammaire d'étoiles et
syntaxe océane, des strophes illimitées
toutes torsadées d'un feu à faire s'embraser
les lointains furtifs du poème.

Cela commencerait, si commencement
il y avait, par un battement, une
vibration, n'importe quel élément,
l'air ou la terre, l'eau et le feu,
faisant sauvagement irruption
par les gouffres désaxés du corps
et l'assiégeant, par vagues se propageant,
par l'infinie, l'insondable fêlure que nous
nommons désir et qui est tout
aussi bien un espace bleu et démuni
qui se met à brûler, se consumer,
en butinant la fine fleur du présent.

 

On ne sait pas très bien,
un quelque chose comme un
grondement de basse fréquence
du côté des racines, comme un élan
sans cause identifiable du côté
des soleils, et qui progresse et se renforce,
soulève la plèvre, enclenche
les cordes vocales en attisant
la forge des mots, ce quelque chose
comme l'être tressaillant en bord
d'abîme et qui avant de vivre
ou de mourir une première fois,
expire - et tout le corps devient
espace océanique et c'est le chant
qui roule en nos artères et pulvérise
notre réserve jusqu'à nous rendre
lumineux et déments,
illimités.

 

Turbulences encore loin, encore
inconcevables comme d'inorganiques
craquements de nuit dans le système
hydraulique du cœur qui par marées
par subversion par disruption dérèglent
l'éclatante machinerie du corps
avant que l'impensable, que l'innommable
n'endiguent flux et reflux vers la place forte
de la passion, vers la crête cristalline
de la folie et qu'en la lumineuse spirale
de l'air ne se mettent à danser
les particules d'un feu qui sont
les pétales du poème en devenir.

D'où cela vient-il alors puisque
ces eaux surgissent comme d'un
non-lieu, ou de la nuit informulée
dans la doublure d'une autre nuit,
laquelle erre aléatoire et neutre
par les nervures assoiffées du langage,
et que nul ciel n'y prend racine,
nulle source palpable, nul sol
avide de semaisons, et qu'à l'encontre
de tout espoir de toute logique,
néanmoins en surgissent ces signes
comme des astres séditieux  
dilapidant leurs éclats et leurs cris
par les brèches écarlates de notre voix.

 

Mouvement d'approche autant
que de se sentir touché en son centre
irradiant d'uranium lorsque le sang
lunaire aimante les mots comme
métal exalté, chimie ondulatoire des corps
et des affinités ; de l'humus à la bouche
la nature vibre de tout son long
et il n'y a d'autre mystère que cette mer
immatérielle et diaphane jointant
les pôles en un seul corps et puis
cette houle qui se démène comme une
lumière assoiffée d'impossible - langue
centrifuge inaugurant son ciel
par la force de l'éclat.

Parce qu'il y a le langage
et qu'en nos os, qu'en nos expirations,
sa mécanique interne imprime
des rythmes des tensions des orages
qui ne nous ressemblent pas, ne nous
transportent pas ; des mots comme
des fers des lames des instruments de lestage
alors que de tout notre être nous
n'aspirons qu'à voir les eaux
de la langue se déliter et les soleils rageurs
décrire leurs sulfureuses révolutions
dans les cieux syntaxiques du désir pur,
et d'alors nous lever comme au premier
matin du monde, la bouche en fleur et
transcendés de musique et d'azur.

À l'origine des mots,
de chaque mot qui sur la page pèse
de sa charge de sueur et de sa charge
de sang, des mots vastes comme la mer,
de simples mots aux senteurs de pinèdes,
des mots d'amour des mots marins des mots
comme des embruns sauvages éclaboussant
les aspirations enfiévrées de l'esprit -
à l'origine ce même impondérable,
ce même imprononçable tremblement
lorsque le ciel vacille sur ses assises,
que s'en échappe quelque oiseau dérouté
venant chercher refuge au foyer incendié 
de nos lèvres en émoi.

 

Présentation de l’auteur

Harry Szpilmann

Harry Szpilmann (Belgique, 1980) est l'auteur d'une quinzaine de recueils poétiques dont l'essentiel a été publié au Taillis Pré et au Cormier. Parallèlement à l'écriture, il se consacre à la photographie urbaine et à la musique ambient ; ses albums sont édités par la Daydreams Factory. Enseignant de profession, il a longtemps travaillé à Mexico City où il enseignait la philosophie du cinéma. Il réside aujourd'hui sur les rives du lac Tanganyika à Bujumbura.

Bibliographie 

Sable d'aphasie, Ces espaces à la base, Les rudérales, Liminaire l'ombre, Petite suite désertique, Du vide réticulaire, Genèses et magmas, À la façon de la phalène, Approches de la lumière, À propos de tout et surtout de rien (Aphorismes), Écarts ou les esquives du désir, Fulgor. À paraître prochainement : Chronique de l'éclat, Eléments de la ferveur, La vie fragile.  

 

Autres lectures




Bertrand Belin, La Figure

Taraudeur des mots jusqu’à l’os, jusqu’à la brisure pour en extraire la « substantifique moelle » des images si personnelles qui en élargissent les sens, les affinent et les sculptent, les cernent et les déplient à la fois, dans le pli même des traumatismes de l’enfance que ce récit autobiographique déploie dans les plissements d’une âme et d’une chair d’enfant meurtri certes, mais dont la réécriture adulte ouvre les relectures multiples, du « rhizome » deleuzien au visage d’Alain Bashung « dieu Inca », n’oublie pas jusqu’à l’exégèse de celui qui fut l’auteur, paradoxe des origines peut-être, de la première forme d’autobiographie occidentale qui prend une tournure de conversion spirituelle, Saint-Augustin, auteur des fameuses Confessions, une forme également assez romanesque permettant ici la citation interprète de l’écrivain dans le déchiffrement de ce qui reste d’humain, si humain, le rapport à la Figure tutélaire du Père, pour mieux sauver peut-être le Fils, le fruit de la filiation, « de corps et d’esprit ».

L’élégance des silences, des détours, des blancs ne doivent rien à ceux d’une autofiction dans laquelle le lecteur contemporain pourrait placer aisément, pour se rassurer sans doute, ce récit fondateur, qui aborde avec autant de tact que de lucidité les choses, moins pour évoquer une conversion vers la littérature ou une vocation de chanteur, bien qu’il s’agisse peut-être aussi de cela en creux, dans ce corps-à-corps du personnage, en l’occurrence le narrateur de l’histoire, avec la marque d’une Figure errante, comme on pourrait y lire la folie d’une « Triste Figure », comme une Lettre au père kafkaïenne qui deviendrait dans le drame familial qui se joue avec ces lieux-dits, imposés, l’immeuble, en haut, à l’affrontement, en bas, à l’échappée, cercles d’un enfer secret dont la scène, l’auteur en est conscient, se rejoue dans l’intime de tant d’autres familles, où se nichent autant de sentiments mêlés, de haines et d’amours mélangées, ainsi peut-être que des destins avortés, où la créativité néanmoins demeure, toute une lignée trop humaine, toute une généalogie d’êtres chers, dans laquelle Bertrand Belin a inscrit son écriture, depuis les chansons emblématiques jusqu’aux essais en poésie…

Laissons la parole alors au maître de cérémonie pour tracer cette filiation où la singularité de l’anecdote atteint la grande littérature, l’universalité des univers des lectrices et des lecteurs, où palpite encore la troublante veine d’une mère tant aimée : « De cette généalogie erratique, nous sommes les enfants reconnaissants et désolés. Si ce dernier mot peut être pris au sérieux. L’épopée dans l’intime dont ce fragment couvre un siècle, c’est la poutre sur laquelle je produis quelques cabrioles de mon invention, car invention il y a et invention il doit y avoir, puisque le sens ne se trouve pas dans les faits connus de moi mais dans la lecture que j’en fais, qui est une médecine aussi incertaine mais aussi passionnée que celle qui conduisit le docteur Frankenstein au bout de son geste aberrant. Un siècle, deux guerres mondiales, tout de même. Et je ne parle pas des guerres d’indépendance. Les corons, je passe, la soupe à la grimace, ne rien posséder de sa fichue vie. La première femme de mon histoire avait le nez dans son enfer. Et l’enfer est un monde clos. Il a crevé comme un abcès en même temps que périssant, cette première femme emportait sa douleur. Mais ces choses-là se reforment. Et des enfers, qu’importent qu’ils soient finis, enflent et dissolvent des vies partout tout le temps. Ne voyons pas les choses en grand. C’est minuscule tout ça. Ça tient dans une veine de la joue. Plus mince encore, dans la palpitation de cette veine. »

 Bertrand Belin, La Figure, P.O.L., janvier 2025.

Présentation de l’auteur

Bertrand Belin

Bertrand Belin est un auteur-compositeur-interprète, écrivain et acteur français, né le 7 décembre 1970 à Auray (Morbihan).

© Crédits photos EDGAR-BERG

Bibliographie 

Discographie

Albums solo

  • 2005 : Bertrand Belin, Sterne/Sony BMG.
  • 2007 : La perdue, Sterne/Sony BMG.
  • 2010 : Hypernuit, Cinq7/Wagram Music
  • 2013 : Parcs, Cinq7/Wagram Music
  • 2015 : Cap Waller, Cinq7/Wagram Music
  • 2019 : Persona, Cinq7/Wagram Music
  • 2022 : Tambour Vision, Cinq7/Wagram Music

Participations

  • 1996 : Sons of the Desert : Greedy.
  • 2001 : Les enfants des autres : Graines et bulbes (guitare, banjo, violon)
  • 2002 : Sons of the Desert, Goodnight Noises Everywhere
  • 2006 : Le grand dîner, hommage à Dick Annegarn (collectif)
  • 2007 : Réalisation et arrangements de l'album ton pire cheval de Sing Sing.
  • 2008 : Fantaisie littéraire (titre : Postulons, texte d'Éric Reinhardt (adaptation musicale de Bertrand Belin, à la suite du festival Les Correspondances de Manosque, sur le livre-disque collectif)
  • 2010 : Trois titres inédits de Georges Brassens sur l'album Pensez à moi édité par la Cité de la Musique à l'occasion de l'exposition Brassens ou la liberté
  • 2015 : Inédits trois titres pour le disquaire day (avec H-Burns et Jonathan Moraly)
  • 2016 : 50 ans Saravah : La Bicyclette (voix, arrangements)
  • 2018 : The Limiñanas – Shadow People. Titre : Dimanche.
  • 2018 : Claron McFadden et Bertrand Belin dans Calamity / Billy Opéra de Ben Johnston et Gavin Bryars mis en scène par Jean Lacornerie avec les Percussions Claviers de Lyon
  • 2019 : Arlt : Soleil enculé (violons)
  • 2019 : L'épée : Dreams (textes, chants)
  • 2019 : Vanessa Paradis : Best of (texte du single : Vague à l'âme sœur)
  • 2019 : Buzy : album Cheval fou titre Où vont mourir les baleines (musique et featuring)
  • 2020 : Rodolphe Burger : Environs (featuring sur Les Danses anglaises)
  • 2021 : Plaisir de France : Serpent (chant, auteur)
  • 2022 : Laurent Bardainne et Tigre d'Eau Douce : Oiseau (chant, auteur)
  • 2023 : Gaëtan Roussel album Éclect!que : Promenade (chant en duo)
  • 2024 : The Limiñanas : J'adore le monde (chant, auteur)

Collaborations

  • Avec Delphine Volange :
    • Monceau
    • Et le ciel était toujours sans nouvelles
    • Sublimons
    • Sirènes (parolier)
  • Avec Chet : La Magie
  • Avec Vanessa Paradis : Vague à l'âme sœur

Réalisation

  • Bastien Lallemant : Le Verger (album)
  • Greg Gilg : 14:14 (album)

Théâtre

Acteur

  • 2014 : Spleenorama (Marc Lainé), théâtre de la Bastille
  • 2015 : Low/ Heroes un Hyper-Cycle Berlinois (Renaud Cojo), Philharmonie de Paris
  • 2018 : Calamity / Billy, opéra mis en scène par Jean Lacornerie, musique de Gavin Bryars, avec les Percussions Claviers de Lyon (d)
  • 2022 : En travers de sa gorge de et mise en scène Marc Lainé, Comédie de Valence

Cinéma

Acteur

Courts métrages

  • 2006 : Pour de vrai de Blandine Lenoir
  • 2013 : Peine perdue d'Arthur Harari : le chanteur

Longs métrages

  • 2011 : Les Chants de Mandrin de Rabah Ameur-Zaïmeche : violon
  • 2017 : Ma vie avec James Dean de Dominique Choisy : Maxence
  • 2018 : Autour de Luisa d'Olga Baillif : Julien
  • 2021 : Tralala d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu : Seb Rivière
  • 2021 : Playlist de Nine Antico : le narrateur
  • 2023 : L'Amour et les Forêts de Valérie Donzelli : David
  • 2024 : Le Roman de Jim d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu : Christophe

Compositeur

Courts métrages

  • 1999 : Avec Marinette, de Blandine Lenoir
  • 2000 : Sans autre, t'es rien, de Philippe Jullien (avec Néry et Nicolas Delbart)
  • 2001 : Pas de pitié, de Blandine Lenoir
  • 2004 : Dans tes rêves, de Blandine Lenoir (avec Kool Shen)
  • 2005 : Ma culotte, de Blandine Lenoir
  • 2006 : Pour de vrai, de Blandine Lenoir

Longs métrages

  • 2014 : Zouzou, de Blandine Lenoir
  • 2017 : Aurore, de Blandine Lenoir
  • 2018 : Ma vie avec James Dean, de Dominique Choisy
  • 2019 : Moi, grosse (téléfilm), de Murielle Magellan
  • 2020 : La Campagne de France, de Sylvain Desclous
  • 2021 : Tralala d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu
  • 2022 : Annie colère de Blandine Lenoir
  • 2024 : Juliette au printemps de Blandine Lenoir
  • 2024 : Le Roman de Jim d'Arnaud et Jean-Marie Larrieu

Publications

  • Sorties de route, Vanves, La machine à cailloux, coll. « Collection Carré », 2011, 80 p. 
  • SOS, Save our souls (photogr. Caroline Pottier), Grane, éditions Créaphis, 2013, 96 p. 
  • Till (ill. Valérie Archeno), Arles, Actes Sud, 2014, 104 p. 
  • Requin, Paris, P.O.L, 2015, 192 p. 
  • Littoral : roman, Paris, P.O.L, 2016, 96 p. 
  • Grands carnivores, Paris, P.O.L, 2019, 176 p. 
  • Vrac, Paris, P.O.L., 2020, 160 p. 
  • La Figure, Paris, P.O.L., 2025, 280 p. 

Distinctions

  • Festival du court métrage de Clermont-Ferrand 1999 : meilleure musique de film dans la compétition nationale pour Avec Marinette
  • Grand prix du disque de l’Académie Charles-Cros 2010 : prix de la chanson pour Hypernuit
  • Prix Raoul-Breton 2016

Poèmes choisis

Autres lectures

Bertrand Belin, La Figure

Taraudeur des mots jusqu’à l’os, jusqu’à la brisure pour en extraire la « substantifique moelle » des images si personnelles qui en élargissent les sens, les affinent et les sculptent, les cernent et les déplient [...]




Marie-Clotilde Roose, En minuscules

Il s'est passé quelque chose, de l'ordre de la louange ou de la prière, ou du poème, bien sûr. Quelque chose qui déborde de l'ordinaire, le temps d'un confinement, quand le coeur se pose et se parle à voix murmurante, dans le silence imposé aux autres, recueilli en soi. Le temps, minuscule, pour un être humble, s'est ouvert, et la parole poétique a pu naître, pure, caresse, hommage et transparence.

S'adressant à l'Autre, au Dieu, le poème tend à la simplicité d'un acte de vie ; s'abstenant "de grands mots", la poète frôle la grâce dans une acceptation où "la clé est le oui".

Les louanges qu'ose le poème circonscrivent un "long chemin", tissé de "morts", de "peines" et un désir de transparence :

"que ta force tranquille m'abrite, me pose" (p.32)

Les 52 poèmes, en distiques maîtrisés, le plus souvent  (quelques tercets aussi), signent un parcours vivifiant d'une parole que les circonstances ont aggravée, comme on le dit d'une voix.

Un beau livre de patience et d'empathie, que la juste postface de Lucien Noullez éclaire des rayons de la spiritualité.

Marie-Clotilde Roose, En minuscules, Taillis pré, 2023, 84 p., postface de Lucien Noullez. 14 euros.

Présentation de l’auteur

Marie-Clotilde Roose

Marie-Clotilde Roose enseigne actuellement la philosophie et la sociologie de l'art en Province de Hainaut. Elle est diplômée de plusieurs écoles et universités européennes (Angleterre, Belgique, Suisse, France). Son doctorat en philosophie, Désir d’être et parole poétique. De la tentative phénoménologique à la tentation métaphysique , soutenu à Lyon 3 sous la direction de J.-J. Wunenburger, obtient les félicitations du Jury et le Prix Charles Plisnier 2006 (thèse diffusée par l’ARNT de Lille, livre à paraître chez L’Harmattan).

Parmi les disciplines enseignées: la sociologie de l’art à l’École Supérieure des Arts Plastiques et Visuels de Mons, et la philosophie à la Faculté d’architecture, d’ingénierie architecturale, d’urbanisme (LOCI , site de Tournai) de l’UCL. En 2011 elle initie, en équipe, un séminaire de recherche interdisciplinaire, Penser (à partir de) l’Architecture (PapdA), rassemblant les 3 sites de LOCI sur les thèmes: poétique, éthique, technique.

Membre de l’Association des Ecrivains Belges, de la SCAM-SACD, elle reçoit plusieurs prix littéraires pour ses travaux d’écriture (G. Lockem, Ch. de Trooz, R. Goffin, G. Grand’Ry,…) et réalise deux docu-fictions pour France Culture. Elle obtient des bourses d’écriture et de recherche en Suisse, France, Belgique, Italie. Elle lance et anime depuis 1990 un cercle littéraire visant à faire (se) connaître écrivains reconnus et débutants soutenu par le Ministère de la Communauté française de Belgique. (Source Babelio).

Bibliographie

Recueils

  • L’orange soleil. Amay : L’Arbre à paroles, 1994.
  • Le mur immense de la nuit. Paris : Caractères, 1994.
  • Les chemins de patience. Brandes, 2004.
  • Tourment. Châtelineau, Le Taillis Pré, 2005.
  • Le poème quotidien, Les Déjeuners sur l’herbe, 2014.

Publications en revues : Le Journal des Poètes, Sources, L’Arbre à paroles, Sud, Lieux d’Etre, Le Cercle de la Rotonde, MUZE (Kent County Council), Les Messagères du poème (Paris), L’indicible frontière

Anthologies : Belgian Women Poets : an anthology (Renée Linkhorn et Judy Cochran, Peter Lang Publishing, New York, 1999), Le siècle des femmes de Liliane Wouters et Yves Namur (Ed. Les Eperonniers, 2000), Les nouveaux poètes francophones, anthologie de Jean-Luc Favre et Matthias Vincenot (Ed. Jean-Pierre Huguet, 2004), Anthologie des lettres belges (à partir de 1940) traduite et éditée en Hongrie (à Budapest), C’est pas tout rose et violette du Concours Tec-Criac 2002, à Lens, J’appelle un mot d’Unimuse, Tournai 2003.

Préface de la monographie du peintre Lode Keustermans, Le Cantique des Cantiques (1990).

Prix littéraires

Prix Georges Lockem de l’Académie Royale pour L’Instant vert (1991); Prix Charles de Trooz (U.C.L.) pour L’orange soleil (1991); Prix de la Biennale Robert Goffin pour De feu et de froid (1996); Prix international René Lyr pour Les chemins de patience (1999); Aide du Fonds national de littérature de l’Académie Royale et Prix Geneviève Grand’Ry pour Les chemins de patience (2000). Lauréate du concours RTBF-Hainaut « Un auteur… une voix » (2001); Prix Hubert Krains pour Tourment (2004).

Poèmes choisis

Autres lectures

Marie-Clotilde Roose, En minuscules

Il s'est passé quelque chose, de l'ordre de la louange ou de la prière, ou du poème, bien sûr. Quelque chose qui déborde de l'ordinaire, le temps d'un confinement, quand le coeur se [...]




Isabelle Lévesque, Passer outre

Passer outre, c'est généralement ne pas tenir compte d’un argument, d’une observation ou d’un avertissement, ce peut être aussi aller au-delà (passer outre-Rhin) et c'est le titre de ce beau livre que nous offrent Isabelle Lévesque et Michèle Destarac.

Le principe est simple : page de gauche, un poème d'Isabelle Lévesque ; page de droite, la reproduction d'une œuvre plastique de Michèle Destarac (les originaux sont majoritairement des pastels qu'on aura pu voir dans le cadre d'une exposition à la galerie PAPIERS D'ART). On comprend d'emblée que les poèmes ont été écrits d'après les images. Chaque poème a un titre (et du coup le donne à l'oeuvre picturale ? ), par exemple LA CRAIE PRIMITIVE dont on comprend aisément le pourquoi un jetant simplement un œil au tableau : un grand aplat noir rectangulaire qui peut en effet figurer un tableau de classe ou une ardoise et quelques traits blancs qui semblent le tracé d'une craie sur le plan noir en question. Évidemment, lorsqu'on commence par la lecture du poème, ou de son seul titre, le regard que l'on pose ensuite sur l'image est influencé par ce qu'on vient de lire. Je m'y suis laissé prendre sur les premières pages, j'ai ensuite inversé l'ordre de ma lecture, commençant par l'œuvre de Michèle Destarac pour vérifier après coup si elle m'avait suggéré des choses similaires à ce qu'Isabelle Lévesque met dans son poème. Parfois oui, parfois non. Par exemple, le poème SILLAGE D'OR donne en premier vers : Sur son destrier noir chevauche le soleil. D'accord pour le soleil (une tache jaune-orangé plus ou moins ronde) mais en lieu et place de cheval, j'avais eu pour ma part, la vision d'un sanglier furibard.

Isabelle Lévesque/Michèle Destarac, Passer outre, éditions L'Herbe qui tremble, 2024, 70 pages, 22 €

C'est bien entendu toute la subjectivité en travail face à une œuvre abstraite, encore que celle-là avec ses masses de couleur, ses traits qui semblent structurer l'espace, puisse rassembler un faisceau d'interprétations voisines. Mais ce n'est certes pas le propos de l'artiste qui, aux frontières de l'expressionisme, donne le sentiment d'une action intuitive.

Quoi qu'il en soit, il était intéressant, après une première lecture de reprendre depuis le début avec, cette fois, les yeux d'Isabelle Lévesque. Il s'agissait pour elle, comme mentionné dans l'adresse à Michèle Destarac, de prendre le poème par les cornes et de terminer par ces quatre vers, en adéquation avec l'ensemble pictural : La peintre / objective l'abstraction. / Le poème / acquiesce et signe d'une croix.

Isabelle Lévesque prévient encore dans le premier poème CASE DÉPART : rien que le tout apocryphe d'un regard. Il ne peut y avoir ici de glose à la validité certifiée. Il s'agit plutôt d'écrire en complicité.

 

NOUVEAU THÉORÈME

Terrain serré dans son cadre débordant.
Plusieurs fuites sur les bords. Tuyauterie,
ratissage. Il faut apprendre à dompter
les lignes de la géométrie. L'école écaquillée
récrit son règlement.Tous au clapet du souffle,
le triangle entre-t-il dans un rectangle trop petit ?

Nouveau théorème dans l'acrobatie du vide.
Tout crayon crayonne et crie, amovible.

 Et ainsi de suite.

 

Il est pertinent de noter que le poème se raccroche à des objets concrets, que l'on croit reconnaître dans le tableau, en fait que l'on se suggère simplement (par analogie des formes) et dont on sait pertinemment l'énigme persistante :

 

Pantins désarticulés : les yeux,
détachés du précipice, participent
au déchiffrement spéculaire.

 

Les titres des poèmes sont eux-mêmes très évocateurs : EXÉCUTION MATADOR, LES MALENTENDUS, BORDERLINE...

On a parfois l'impression d'approcher la description, comme dans le poème BISQUE RAGE :

 

Ça brille d'un coin, de l'autre un ciel
barbouille le trait des certitudes. Bisque
rage sans désespoir, le noir dégoupillé
concentre son attractivité : on regarde.

 

Oui, le noir dans ce tableau attire particulièrement l'œil, mais la poète n'est pas en écriture pour une énonciation d'exposé, le ciel barbouille le trait des certitudes – cette formule à elle seule fait poème – et de terminer comme avec effarement : Un crayon replie ses ailes, c'est insensé.

La poésie est création, nul besoin de rappeler l'étymologie du mot. Les déclencheurs sont ici des images, des assemblages de couleurs. Ils génèrent à leur tour des assemblages de mots qui font image :

ALLER DROIT

Quadrature du cercle.
Mystère insufflé bleu
qui répète, agrandit
puis étouffe de poussière.
Si le tracé droit du vivant rejoint son double, c'est gagné.

La règle naît du cadran des heures dupliquées
sans aiguilles. Il suffit de s'arrêter,
lancer le dé du doute
pour aller droit.

Essayer de crever rouge d'un tir et
souffle retrouvé
crier victoire.

 

Le dé du doute est-il celui de Mallarmé ? Qui sait ? Toujours Une vérité à vérifier. Et bien sûr Ajouter des réponses, les superposer / pour n'exlure aucune possibilité. C'est ce que fera le lecteur curieux, il ajoutera son regard, ses réponses ou se laissera simplement aller, comme dans ces correspondances baudelairiennes, à travers des forêts de symboles, aux transports de l'esprit et des sens que suscite ce très beau livre.

Présentation de l’auteur

Isabelle Lévesque

Isabelle Lévesque est une poète et critique littéraire française à la Nouvelle Quinzaine littéraire. Elle anime des rencontres et des lectures autour de la poésie. Elle a reçu, en 2018, le prix international de poésie francophone Yvan-Goll pour son recueil Voltige !.

Isabelle Lévesque

Bibliographie

Isabelle Lévesque  a publié en 2011 Or et le jour  (anthologie Triages, Tarabuste), Ultime Amer  (Rafael de Surtis), Terre ! (éd. de l’Atlantique), Trop l’hiver (Encres vives).

Elle a fait paraître en 2012 : Ossature du silence (Les Deux-Siciles), en 2013 : Un peu de ciel ou de matin (Les Deux-Siciles), Va-tout (Éd. des Vanneaux) et Ravin des nuits que tout bouscule (Éd. Henry). En 2013 également un livre d’artiste en français et en italien a été édité : Neve, photographies de Raffaele Bonuomo, traduction de Marco Rota (Edizioni Quaderni di Orfeo).  En 2015 : Tes bras seront (poèmes traduits en italien par Marco Rota – Edizioni Il ragazzo innocuo, coll. Scripsit Sculpsit)

Sont parus à L’herbe qui tremble : Nous le temps l’oubli (2015), Voltige ! prix international de Poésie francophone Yvan-Goll 2018 (2017), et La grande année, avec Pierre Dhainaut (2018), Chemin des centaurées (2019), En découdre (2021) et Je souffle, et rien. (2022).

En 2022, les éditions Mains-Soleil ont publié Elles, de Fabrice Rebeyrolle et Isabelle Lévesque.

Isabelle Lévesque écrit des articles pour plusieurs revues : Quinzaines / La Nouvelle Quinzaine Littéraire, Europe, Terres de Femmes, Recours au Poème, Terre à ciel, Diérèse, Poezibao …

Sur internet :

https://lherbequitremble.fr/auteurs/isabelle-levesque.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_L%C3%A9vesque

https://www.nouvelle-quinzaine-litteraire.fr/articles-par-critique/isabelle-levesque

Autres lectures

Isabelle Lévesque, Ossature du silence

Arriver aux Andelys, c’est d’abord être capté par un panorama auquel rien, au cours d’un calme voyage, n’avait préparé. Avant de voir émerger les Andelys, rien n’indiquait que nous tomberions nez à nez [...]

Isabelle Lévesque, Nous le temps l’oubli

Une poésie d’ajour et d’amour Ellipses et trous d’air tissent la langue d’Isabelle Lévesque ; volonté d’épuration de la part de la poète ? Probablement pas, car il s’agit d’une langue très matérielle dans ses [...]

Isabelle Lévesque Voltige ! 

Ce chant d’amour d’Isabelle Lévesque décrit la danse dans laquelle l’amour nous entraîne, cette sorte de ronde qui met l’amant en mouvement – ce mouvement qui lui échappe, qui échappe à la maîtrise [...]

Isabelle Levesque, Le Fil de givre

Le Fil de givre d’Isabelle Lévesque : une lecture En 2017, Isabelle Lévesque nous offrait Voltige ! (L’Herbe qui tremble), un chant d’amour ou une danse amoureuse, qui nous avait entraînés dans une [...]

Isabelle Lévesque, En découdre

Un verbe qui appelle au combat, trois syllabes rudes qui ne souffrent pas la réplique, le titre du nouveau livre d’Isabelle Lévesque surprend aussitôt. La mise en page de la couverture le met en [...]

Isabelle Lévesque, En découdre

Les amoureux de l’intimité poétique trouveront sans aucun doute de quoi se satisfaire avec ce nouveau recueil d’Isabelle Lévesque où le lecteur entre de plain-pied dans une atmosphère hivernale, introspective, propice à une [...]

Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien

Comme un temps du langage, celui du poème fouillé par les mots, tout dans Je souffle, et rien essore le silence et laisse non pas la sécheresse du néant mais le prodige du [...]

Isabelle Lévesque, Je souffle, et rien,

Je souffle, et rien est un livre de deuil, quelque chose entre une « lettre au père » et un livre-tombeau qui pourrait s’inscrire dans la lignée des textes explorés par Marik Froidefond et  Delphine [...]




Lou Raoul, les labourables

Le livre s’ouvre avec cette indication : « un devez arad, cinquante ares », soit un demi-hectare, c’est-à-dire 5000 mètres carrés : « une mesure d’arpentage » nous dit Lou Raoul, ou encore  « une journée de charruage » (d’où le titre les labourables). Dans le contexte du confinement cela fait une sortie de un kilomètre de long sur une bande de 5 mètres de large, étant donnée la contrainte de ne pas s’éloigner d’un périmètre de un kilomètre autour de son domicile.

Peut-être la distance parcourue en faisant « sept tours de verger » le 3 novembre 2020 alors qu’une fois à l’intérieur et à la fenêtre on rêve de prendre un train pour Brest. Le désir de mouvement provoque un renversement dans l’esprit. Si l’espace n’est plus offert à nos pas, alors faire en sorte que le temps lui se déplace. Lou Raoul nous propose un compte rendu subjectif sous forme de journal (son charruage, son labour quotidien), de la période comprise entre 3 novembre et 30 décembre 2020. Deux mois d’enfermement, de couvre-feu et d’observations : objets et lieux, états d’âme, rêveries, questionnement sur l’écriture et les gestes ordinaires de la vie de tous les jours que bien souvent on ne remarque pas sauf circonstances particulières. Le ressenti de se retrouver animal encagé s’exprime avec des mots appropriés à la domestication animale : paille, barbelés… mais n’est-ce pas ce que les humains sont effectivement devenus,  et concrètement dans l’esprit des puissants et des dirigeants : un troupeau à contrôler, à enfermer, à éliminer s’il n’est plus considéré comme utile car sa force de travail ne pourrait plus être exploitée. La solitude à combler, l’inquiétude à calmer, le désœuvrement à transformer en travail d’écriture. Il y a aussi les conversations entendues dans le lointain et les rires d’enfants qui jouent, des signes de vie auxquels s’accrocher quand l’absurde de la situation envahit la conscience et que les nouvelles colportées par les média ne peuvent ni rassurer ni apporter de réponses. Alors la désobéissance pour faire sens et garder sa raison. On ose, on décide d’aller plus loin qu’autorisé, on baisse le masque, on risque l’amende, mais on soigne sa santé mentale car on a besoin du contact avec plantes, arbres, prairies, étangs, se sentir partie du paysage plutôt qu’en prison dans des appartements en ville… plutôt imaginer construire une yourte. 

Lou Raoul, les labourables, Bruno Guattari éditeur, collection [appareil], avec les photographies de Frédéric Billet, 60 pages, 12 euros

Les rues sont quasi vides, mais les CRS patrouillent, contrôlent, tandis que les trafics illicites continuent comme d’habitude. L’infantilisation de la population qu’on cherche à culpabiliser accentue le déni des décideurs à ne pas regarder les dégâts psychologiques auxquels il faudra pourtant bien faire face après. Cobayes et sacrifiés, c’est ce qu’auront été les humains alors tentés par la fuite dans l’alcool… et bien évidemment, cette « crise », cette pandémie n’empêche pas, ne diminue pas le nombre des SDF, des sans-abris qui se confinent dès 18h dans des « semblants d’habitats » quand la ville de Rennes poursuit des chantiers de constructions où ces exclus n’iront jamais vivre, et si ce n’est pas calcul délibéré alors c’est un aveu d’impuissance global des gens déresponsabilisés qui ne s’engagent pas, qui ne s’emparent plus de vie politique que par des votes épisodiques, j’allais dire pathétiques.

 

Les mots ne sont pas là pour ton malaise
celui-ci n’est pas à dire est inutile 

                                ∗

accepter n’est pas se satisfaire par défaut 

S’amorce comme un mouvement de rébellion car l’appel du gouvernement à la résilience, à l’obéissance, implique le sacrifice de valeurs humaines élémentaires, implique de fermer les yeux sur :

 

le délitement organisé
les violences policières
les pseudo-conseils infantilisants 

Alors oui, quoi craindre le plus : le virus ou les décisions des gouvernants ? Le virus ou le climat de peur, de suspicion, instauré ? Et quand l’heure de la manifestation sonne, la répression est prête à cogner. Heureusement il y a l’écriture : écrire pour rester debout, humain digne de sa position verticale entre ciel et terre.  Et décembre arrive qui s’achemine vers « les fêtes » et la fin d’une année étrange pendant laquelle écrire un « journal de terre » permet de garder les pieds au sol et de se projeter vers l’été. L’air de rien, sans faire d’éclats, tout simplement et sans effets particuliers, à partir de son expérience et de son intimité, Lou Raoul et son labour d’écriture sème de vraies questions, invite à regarder le fonctionnement de la société, à comprendre nos mécanismes intérieurs pour faire face ou pour fuir, pour lutter ou pour supporter. 

Les photos de Frédéric Billet, qui sait capturer les couleurs jusqu’à nous restituer l’odeur des campagnes et des rues, nous donnent l’envie d’un ailleurs où le regard s’évade grâce aux lignes de fuite, tout en nous offrant des images d’où se dégagent la sensation d’intimité à l’unisson du texte poétique de Lou Raoul. Un duo fort réussi.

Présentation de l’auteur

Lou Raoul

Lou Raoul vit en Bretagne où elle est née en 1964. Depuis 2008, elle publie dans diverses revues (Verso, Décharge, N4728, Liqueur 44…). Outre les cinq recueils publiés aux éditions, sont parus Sven (éditions Gros Textes) et Else comme absentée (éditions Henry), tous deux en 2011, ainsi que Exsangue (pré#carré éditeur, 2012) et, en 2014, Kim m’apprivoise aux éditions Approches. Son travail d’écriture, qui oscille entre prose narrative et poésie, se retrouve dans les chantiers qu’elle mène en spectacle vivant et en arts plastiques. Son dernier livre, Most, a été publié par les éditions La Dragonne en juillet 2016

Bibliographie

  • Otok, Éditions Isabelle Sauvage, 2017.
  • Most, Éditions La Dragonne, 2016.
  • Kim m’apprivoise, Approches Éditions, 2015.
  • Traverses, Éditions Isabelle Sauvage, 2014.
  • Exsangue, Éditions Pré # Carré, 2012.
  • Else avec elle, Éditions Isabelle Sauvage, 2012. (prix PoésYvelines 2013)
  • Else comme absentée, Éditions Henry, 2011.
  • Les jours où Else, Éditions Isabelle Sauvage, 2011.
  • Sven, Éditions Gros Textes, 2011.
  • Ouvert l’album, 2011.
  • Roche Jagu / Roc’h Ugu, Éditions Encres Vives, 2010.

Poèmes choisis

Autres lectures

Lou Raoul, Second jardin (drugi vrt)

Ne pas s’y laisser prendre : il n’est pas question que de jardin(s) dans ce livre. Lou Raoul on le sait, aime, par le biais de personnages, interroger les identités, donc pose la question [...]

Lou Raoul, les labourables

Le livre s’ouvre avec cette indication : « un devez arad, cinquante ares », soit un demi-hectare, c’est-à-dire 5000 mètres carrés : « une mesure d’arpentage » nous dit Lou Raoul, ou encore  « une journée de charruage » (d’où le [...]




Didier Ayres, Sphère, Anne Sexton, Folie, fureur et ferveur, œuvres poétiques 1972–1975

Didier Ayres et la  poésie de l’espace

Certains poètes cherchent pour se croire géniaux  un ciel rougeoyant comme un mur et ses lichens morves d’azur,  voire que sais-je. Mais ce n’est pas forcément en  se réveillant un matin après des rêves agités qu’on devient poète ni d’ailleurs monstrueux insecte.

Didier Ayres fait bien plus. Il relève plus que la tête de la poésie. Son  écriture n’est  jamais cloisonné en arceaux rigides, elle ne sert jamais de couverture ni de prête à penser dans l’effet de surface et mots reçus .Le domaine de sa « sphère » tient de la métamorphose. Pour preuve « Les felouques qui sont-elles / L’énigme des cours d’eau ? ». Voici ce que la poésie ouvre.
Elle se dilate de l’enfance en « melancolia » souvent dans  l’angoisse et le nocturne mais se produit d’un texte à l’autre l’union du ciel et de la lune. Cette sphère essaime en « boules bien rondes » fisait déjà Beckett  sur un tel livre. Elles serpentent parfois jusqu’au vide sans limites. Mais dans tous les cas par la hauteur de l’imaginaire et des mots.
Didier Ayres acquiert ainsi une des voix les plus personnelles de la poésie néo-surréaliste mais au service de l’existence plus qu’a l’imagerie.  Car nous le suivons ici pendant des années et des années, toute la vie s’il le faut, jusqu’au moment où il réussit à la dévorer même si le malheur existe. Mais il faut tenir.  Et le plus étrange, c’est que personne n’a jamais pu l’apercevoir, si ce n’est parfois la future victime ou quelqu’un de sa famille.
Ainsi un lézard ne dort  jamais sur cette sphère. Mais le langage remplace aux méditations  la voix de la mémoire. Elle peut à l’angoisse couper la route. Pour embrasser la sphère des tels poèmes n’ont pas besoin de héros mais un chant sous requiem en fragments. Ils sont beaux et justes.  

Didier Ayres, Sphère, Editions La rumeur Libre, 2025, 128 p., 18 €.

Surgissent la destinée ailée (parfois déplumée) et l’équation circulaire. Le poète navigue dans une nouvelle poésie spatiale qui structure la nacre de la vie et la ligne de vie de  de celui qui fut arôme, abandon, dérobade. Preuve que dans un tel poète tout est bon.

∗∗∗

Anne Sexton et la poésie de l'extrême 

En une suite de cadrages, de décadrages et de superpositions d’images la poétesse renonce à toute ornementation. Elle tranche dans le vif : toutes les filles sont pour elle les descendantes de Marie et du Christ mais les quitte car trop placé « dans le derrière de dieu » et même si des « fossoyeurs attendent» c

Tous ces « chants » imprécateurs sont des opéras, des opérations, des ouvertures.  L’auteur propose des prises complexes où le sacré se mêle à la sensualité, le divin au charnel. Une nouvelle fois elle devient monteuse  et compositrice d’un nouvel ordre et d’une autre beauté radicale et sans maquillages.
Cet ensemble de textess devient kaléidoscopique. Exit les « belles de nuit » et la première d’entre elle : la Vierge. Mais cette dernière ne touche pas seulement à l’indicible et à la prière. Le  rite dont elle fait l’objet s’ouvre à un tapage certain et à des démonstrations plus intempestives que cultuelles.
L’« essence » mystique passe par la petite porte au profit de la reprise en main du corps féminin. Si bien que la dimension abstraite du mythe sort de l’inéluctable. Car la poésie devient un art qui crache sur le silence où les femmes furent cloués comme  des Christ féminisés.
Anne Sexton est la créatrice de l’indicible et de rites quotidiens ou sous forme de paraboles face aux prédateurs et leurs tapages. Cette dernière partie de l’œuvre touche l’inéluctable et inacceptable écoulement du temps dans sa continuité que son abstraction semblerait devoir.
Son approche tient au fait qu’elle n’admet pas d’autres commentaires que les siens là où elle invente diverses montées des circonstances quifondent l’essence du féminin en soulignant un principe de séparation et de distance.  Et son dialogue est particulier. Le mâle fort en leurres, criailleries est voué au mutisme.
Tout reste fascinant, fort, violent pour répondre à « Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi les femmes étaient si silencieuses ? ». Ici elles ne seront plus marquées d’une façon indélébile.

Anne Sexton, Folie, fureur et ferveur, œuvres poétiques 1972-1975,Trans­for­ma­tions, trad. de l’anglais (US) Sabine Huynh, édi­tions des femmes — Antoi­nette Fouque, Paris, 2024, 268 p. ,  22 €.

Les dernières œuvres poétiques d’Anne Sexton surpassent en puissance ses recueils antérieurs. Ceux-ci étaient déja incandescents voire osés mais ici jaillissent soudain l’obscène et le sacré, l’urine et Dieu, bref le feu, le feu, le feu (que écrit-elle « les hommes cachent ».
Accentuant « Tu vis ou tu meurs, Oeuvres Poétiques 1960-1969 » parues dans la même maison d’éditions, dans ces accomplissements terminaux  se retrouvent l’âme et le corps toumentés de celle qui resta longtemps l’oubliée de la poésie américaine du XXème siècle mais qu’elle modernisa à sa façon, loin des dogmes et des chapelles.
 
Le fond reste plus sauvage que les textes d’avant. La forme poétique déplace les lignes en vers ou se mixent voluptueux et sarcastique dans ce qui tient d’une sagacité et de la violence. Anne Sexton se fait au besoin sorcière des sorcières et sour­cière du féminin. Elle  renouvelle la vision des femmes à travers  ce que la poétesse connut avec délice ou terreur : la famille, le désir et la sexualité.
 
Anne Sexton offre et réaffirme un nouveau contenu, en marge des conventions  de la morale des USA en trouvant un malin plaisir à renverser un patriarcat qui nourrissait l’esclavage de négresses blanches et oies de la même couleur  prêtes à se livrer corps et âme au pre­mier prince venu.
L'acte poétique se veut intime et dévoile des secrets (proche du silence) comme la permanence du dur désir non de durer mais de vivre en existence plénière en fixant un instantanée renvoyait forcément au passé et au deuil tout en créant des sortes de parabole : un chien montant vers Dieu descend vers les hommes qui brulèrent Jeanne ou autres sorcière de Salem et d’ailleurs. Elle ne cesse de vouloir rattraper quelque chose qui semblait désespéré, foutu d'avance.
Une telle créatrice farde cependant le goût pour sa trajectoire. Elle retrouve les racines des traitements sordides du masculin. Et dès qu’elle commença à écrire, elle sentit une trajectoire classique de littérature. Plus qu’une Viginia Woolf ou qu’une Sylvia Plath, elle écrit nota ses intuitions, constations et rêves dans une sorte de « Furor » contre les constrictions ou contritions.

Présentation de l’auteur

Anne Sexton

Anne Sexton (née Anne Gray Harvey ; 9 novembre 1928 - 4 octobre 1974) était une poétesse américaine connue pour ses vers très personnels et confessionnels. Elle a remporté le prix Pulitzer de poésie en 1967 pour son livre Live or Die.

© Crédits photos Elsa Dorfman

Bibliographie

Recueils poétiques

  • To Bedlam and Part Way Back (1960)
  • All My Pretty Ones (1962)
  • Live or Die (1966)
  • Love Poems (1969)
  • Transformations (1971)
  • The Book of Folly (1972)
  • The Death Notebooks (1974)

Œuvres posthumes

  • The Awful Rowing Towards God (1975)
  • 45 Mercy Street (1976)
  • Words for Dr. Y. (1978)

Traductions françaises

  • Tu vis ou tu meurs, Œuvres poétiques (1960-1969), Éditions des femmes, 2022 (Live or Die), trad. Sabine Huynh, 400 p.
    Préface de Patricia Godi. Ce recueil contient les traductions des quatre premiers recueils d'Anne Sexton : To Bedlam and Part Way Back, All My Pretty Ones, Live or Die et Love Poems.
  • Transformations, Éditions Des femmes, 2023 (Transformations), trad. Sabine Huynh, 120 p. 
  • Folie, fureur et ferveur, Œuvres poétiques (1972-1975), Éditions Des femmes, 2025 (The Book of Folly), trad. Sabine Huynh, 272 p.
    Ce recueil contient les traductions de trois recueils d'Anne Sexton : The Book of Folly, The Death Notebooks et The Awful Rowing Towards God.

Distinctions

Anne Sexton accumule au fil de sa carrière plusieurs honneurs : elle est faite membre de la Royal Society of Literature ainsi que de la Bread Loaf Writers' Conference (1959). Elle devient aussi la première femme membre de la fraternité Phi Beta Kappa d'Harvard. En 1967, elle remporte le Shelley Memorial Award, ainsi que le prix Pulitzer de la poésie pour son recueil Live or Die (Tu vis ou tu meurs), paru en 1966.

Poèmes choisis

Autres lectures

Présentation de l’auteur




Les Hommes sans épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan

Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ». Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. "Elle partira avec moi" me disais-tu. ».

Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! » Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940-1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.

Les Hommes sans épaules, Daniel Varoujan et le poème de l'Arménie, numéro 58, 2024, 17 €.

Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. » Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ». Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / - Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman. D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc. Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.




La forge #4, octobre 2024

Le beau liminaire de Marion Richard nous rappelle que le « mot » est un universel avec sa part d’intimité propre à chacun. Bien sûr, tous les mots n’y contribuent pas de manière identique et cela dépend de chacun. Par exemple, je n’ai pas d’imaginaire sur le mot forge, Marion, si. Elle le doit à Maupassant dont elle cite un passage qui l’a marquée : « Cette forge était comme ensevelie sous les arbres […] lueur rouge […] fracas […] ». Et voici qu’à mon tour, par elle, ce mot forge me pénètre, se charge de cette aura d’un lieu sous une feuillée et, tandis que je le goûte, se réveille en moi le souvenir de petites forges entrevues dans des médinas du Maroc ou de Tunisie (à moins que ce fut à Istanbul).

Rentrons maintenant dans ce nouveau numéro de la revue. Faut-il le rappeler, elle se divise en deux grandes parties : les poèmes venus de l’étranger, traduits et regroupés sous le titre D’ailleurs et les poèmes écrits en français qui sont rangés sous le titre D’ici. Elles sont suivies de quatre petites rubriques : L’intimité du poème qui depuis trois numéros propose des correspondances entre un poète confirmé – dans ce numéro il s’agit de Miche Camus – et un jeune poète ; Voix oubliées, consacré à Paul Valet dans cette livraison ; une rubrique La forge du poème qui réunit des textes libres ayant répondu à la double question « D’où vient le poème ? Comment vient-il ? » Enfin un Cahier critique avec quelques notes de lecture. Ainsi, cette revue se distingue par l’ampleur du paysage poétique qu’elle balaye et par son choix de privilégier la poésie en marche, celle apparue ces derniers mois, voir ces dernières semaines ; autant dire que l’essentiel des auteurs sont des découvertes, des nouveautés, ce qui exige une attention soutenue – pour moi du moins – car on évolue plus qu’ailleurs sans boussole ni compas. Pour me plier à cette exigence, je note au fil des lectures quelques phrases sur chaque poème et poète, ce qui me donne l’impression d’être un montagnard amateur cheminant avec prudence et lenteur dans des paysages de haute montagne. Ci-après, je vous partage quelques aperçus des paysages rencontrés.
Dans la rubrique D’ailleurs, je repars avec les poèmes des années 70 d’Adrienne Rich – nous y sommes entourés de guérilleros, et il y règne une forme désarroi ; Tim Bowling avec son poème Le bibliophile, pareil à une vanité du XVIIesiècle ; Mahtab Ghorbani qui m’a vu fredonner « Téhéran mon amour / mon pauvre amour […] » pendant sa lecture ;

Revue La forge #4, Editions de Corlevour, octobre 2024, 240 pages, 22 €.

Lola Ridge, avec l’incroyable plongée dans la vie d’un ghetto d’une ville américaine ; Roberto Mussapi dont bien des vers ont ralenti ma lecture comme « Chacun se berce dans un songe souvent faible et incertain » ; Antoon van den Braembussche avec sa poésie franche et claire dans ses descriptions. Dans la rubrique d’Ici, je voudrai faire place à Matthieu Messagier – dont je me souviens encore du recueil Le dernier des immobiles – avec son poème sur le moucheron qui est un régal ; Guylaine Monnier avec des poèmes sur des moments de vie entre un enfant et sa mère, leurs jeux, leurs complicité lors d’une promenade ; Etienne Raisson dont les poèmes dégagent une solitude habitée, un éblouissement fragile et prolongé – un vers a retenu en particulier mon attention : « Mais le vrai ne se terre pas. / Sans bien, il ne sauve que l’espérance des maigres feuillées. » ; Marina Skalova qui nous installe dans le quotidien d’une barre d’immeuble : « là-bas / le temps s’est figé comme la gelée de poisson » ; Clara Calvet avec sa bonhomie amère, et la gaîté gris-jaune de ses poèmes : « c’est le matin hors de soi / qui lance sa tresse / et aligne ses deux grains / de beauté / comme on montre ses filles ». Paul Valet, présenté dans la rubrique Intimité du poème, m’a tenu en éveil avec des poèmes de force, de fermeté lucide comme Sur la terre déchirée que je voudrai apprendre par cœur : « l’horreur se leva sur la terre déchirée / Comme un géant tranquille / Beaucoup beaucoup de soucis / S’envolèrent ce jour-là ». Des extraits de correspondance de Michel Camus, comme ceux parus précédemment d’Antoine Emaz, me frappe l’attention fraternelle de ces anciens envers la génération qui les suit. On méconnaît à quel point ce travail de couture intergénérationnelle est partie prenante de la poésie. Loin d’être une activité solitaire, la poésie est communautaire, sémaphorique d’une solitude à une autre. Des textes libres de la rubrique À la forge du poème, je retiens surtout l’article de Régis Lefort, La profondeur de l’immédiat. Il nous propose de méditer sur l’inspiration en suivant trois poètes : Émaz qui la définit comme l’urgence de l’immédiat, Baudelaire pour qui elle ressemble à la joie de l’enfance et Bachau qui lui prête la vertu d’un détachement du présent pour mieux répondre à des impressions inattendues et mouvantes ; ainsi que Marina Skalova, Comme un serpent, par l’originalité de ses propositions. L’article débute en signalant que les pensées volettent en nous, et dont certaines peut-être s’écraseront sur le pare-brise… la suite est à lire par vous-mêmes. Cinq recensions concluent ce numéro de la forge dont celle sur La cinquième saison de Viallebesset, par Nathalie Swan et celle sur Un manuscrit domestique d’Eugénio de Signoribus, par François Bordes, et Le parchemin illustré d’Yves Leclair par votre serviteur. Bonne lecture !




Arpa, numéro 145–146, 2024

Pour lire ce numéro, j’ai parcouru deux vieux numéros datant de 2003 et 2006. La couverture était ivoire et les lettres ombrées Arpa étaient détachées par un trait vertical. Cela m’intriguait. J’y ai relu des poèmes de Roger Munier, Hélène Cadou, Pierre Oster, Marc Alyn, un article de Bernard Grasset sur Pascal et de Jean Pichet sur Armel Guerne. Il me sembla alors que la revue m’offrait un présent sans fin tant je croyais, en les lisant, les avoir reçus la veille.

Pour ce numéro, à la superbe mise en page, comme par le passé, j’ai commencé par la chronique de Gérard Bocholier. Elle s’appelait Tout arrive, aujourd’hui Mes préférences, mais le format n’a pas changé. J’ai goûté la lettre de Christian Moncelet « en grande franchise aux laudateurs outranciers de la poésie ». Un régal qui met en jambe. Puis la traduction de Marc Sagnol d’un poème Mandelstam, Insomnie, suivi d’un poème de Robert Momeux des année 1970, de bel fraîcheur, ainsi que les quelques notes de Charles Juliet qui m’ont frappé tant elles voisinent l’esprit des moralistes du XVIIe siècle.

Ensuite j’ai repris la revue par le début. Je ne vais pas, bien sûr, citer tous les poètes que compte ce numéro, juste quelques-uns « à la volée » qui ont retenu mon attention – mais qui sait si reprenant la revue, ce ne sont pas d’autres qui attireront mon regard. Je commence d’abord et bien sûr par les traductions de David Qi de quelques poètes de la période Tang car cette poésie m’a toujours attiré ; les notes de 2024 de Jacques Robinet m’ont touché par leur simplicité, comme par exemple l’hommage qu’il rend à quelques poètes habités de la Parole : « Occasion inattendue de leur rendre grâce en cette matinée tranquille ». Il est décédé deux mois après avoir écrit cette phrase. Un paragraphe du texte de Godo a suspendu ma lecture.

Revue Arpa, numéro 145-146, Lire & Ecrire, 2024.

 

Il commence par « Prendre dans la même phrase la petite route de Max Jacob, les tréteaux d’une province, la chanson des rues et les stances de l’éternel jeune homme, la clarté cristalline du vers de Racine, les grandes orgues de l’image, le verset biblique. » Puis je me suis retrouvé avec Manley Hopkins, à ma grande surprise tant je n’imaginais pas le croiser dans cette revue – au passage, c’est l’occasion de rappeler qu’une revue relève de l’art floral, tant il s’agit d’ajuster les poètes et poèmes entre eux, pour surprendre parfois et conforter l’œil et l’écoute d’autres fois. Les cinq poèmes de Lemaire qui suivent m’ont redit combien ce poète compte pour ma vie intérieure. J’ai salué Jean-Marie Corbusier, dont on a dit des poèmes aux Estivales de Lods en 2023. Plus loin le texte de Sourdillon sur le livre m’a permis de saluer Michaux. Suit une poète que j’ai découverte, Béatrice Marchal : « Sur la voûte du métro au-dessus du pont / de Bir-Hakeim, s’incruste / Soudain, dans le cadrage de la Tour Eifel, / Le reflet de la Seine qui s’écoule ». Avec Jean-Pierre Vidal, j’ai goûté le rapprochement de maître Eckhart et Dhôtel. Étonnante tonalité (inactuelle) du poème de Grégory Rateau ; de même que les trois textes en prose d’Henri Rodier (juste avant j’ai salué Janine Modlinger que je n’ai pas recroisée depuis son recueil Éblouissements). Je lis et relis Revenance de Marie Alloy, de très belle facture Quelques pages plus loin, j’ai aimé lire dans un même élan Pfister et Bocholier. Nouvelle découverte (importante) : la poésie de Lucio Picolo traduit par Marc Fontana : « les rêveuses, lointaines ombres qui sont / derrière tes paroles cette nuit ». Le temps de prendre un café et déjà je lis et relis François Graveline et son Robinson. Je lui adresse un signe d’amicale complicité. Autre découverte : Jérôme Teissier, avec ses harmoniques verlainiennes. Arrive Charles-Olivier Stiker-Métral et, avec lui, quelques souvenirs amicaux que nous avons en commun. Je l’écoute me dire : « Faisons d’un jour / une vie entière ». Je le salue et le quitte pour me rendre au Népal avec Henri Perrier Gustin – très belle surprise. Plus loin, le poème en prose Les rues désertes de Porfirio Mamani Macedo m’étonne par la douceur de sa plainte tandis qu’il déambule dans les rues et jardins de Paris. Le poème suivant, je rage (de plaisir) devant la montée des cinq mille marches de Katmandou avec Arnaud Rivière-Kéraval – comme si je fournissais moi-même l’effort ! Depuis le sommaire, le guettai l’arrivée de Benjamin Guérin car je n’ai toujours pas son dernier recueil, Quand nous étions des loups, et je m’impatiente. Le voici enfin qui surgit sur la page. Conclusion de ma lecture : commandez sans attendre son recueil auprès de votre libraire ; sans attendre sinon les loups vous dévoreront, car « ils ont murmuré / les prosodies secrètes des poèmes à mystère. ». Suit après cette échappée un poème de Clélie Lecuelle, avec, par exemple, ce simple vers : « Il y a le feu dans les cheveux de mon enfant ». Le texte de Robert Bly sur la phrase poétique de Whitman me fut une délicieuse liqueur, laissant en bouche un arôme franc, clair et fin.  Le poème de Bly qui suit est une trouvaille. Voilà, ce dernier numéro est presque entièrement lu, du coup, je ralentis pour m’attarder sur les gravures reproduites de Lionel Barard et chine quelques idées de recueils dans les notes de lecture. Vivement le prochain numéro.