Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses
Voilà un titre qui sous-entend une crise, un accès furieux qui dépasse la mesure, il sous-entend qu’il faille poser des jalons, des bornes, des sortes de parenthèses et de crochets, des virgules et des points au long d’un itinéraire, ou bien pour ranger à leur place les éléments d’une vie, ou bien encore ce qui encombre une vie… La quatrième de couverture ajoute une dimension : il s’agit également des « retrouvailles avec des larmes que je n’ai pas versées» confesse l’auteur.
Dédié « À nos pères », le livre commence avec le constat de la multiplicité des langues et de la « beauté des mots métissés ». Alors comme logiquement nous voilà partis explorer Nos quatre points cardinaux, ce qui est le titre d’une première série de poèmes.
Le lecteur est embarqué sur un parcours labyrinthique entre naissance et mort, avec aux postes d’octroi, en forme d’hommage et de reconnaissance, le paiement acquitté par l’auteur aux ancêtres, à la famille. Le ton n’est pas exactement à la confidence mais se dégage un accent de vérité, sans complaisance, pour les grandeurs et misères d’une vie.
Sous le titre Esthétique du massacre se décline une série de « car il est bon de dire… » Autoréflexivité permanente, déversoir maîtrisé de pensées, de sensations et d’émotions, avec en point de mire : la lune.
Elle est l’œil objectif du cosmos,
son invariant , l’abord brut de
toute infamie. L’innocent comme
le coupable trouvent asile en sa
bienveillance ; le juge, étranger
au cours des choses, reste dans
l’ombre.
Olivier Bastide, Ponctuation forcenée de l’ordre des choses, éditions TARMAC 2022, 63 pages, 15 euros.
Rage, absurdité, humeur noire… le quotidien s’invite au beau milieu de considérations philosophico-biographiques. Du grand Tout aux petits riens, l’amplitude des allers-retours et des méditations est à l’échelle cosmique et tente de balayer à 360 degrés cet espace de conscience, de contrastes et de diversité. Bon sens et sagesse, sensibilité et dérision, aspirations spirituelles et considérations prosaïques se succèdent. L’humour, ou quelques sourires devinés s’invitent au détour des phrases, des propositions. Le style reste sobre, ce qui renforce l’impact des questions soulevées. Elles flirtent avec les grands thèmes de la philosophie et dans un coin de notre tête résonne le célèbre « qu’est-ce que l’homme » suivi du non moins célèbre Ecce homo.
La série intitulée Géométriques commence par Bataille à Hastings, là où, en 1066, Guillaume le conquérant commence à prendre possession du trône d’Angleterre. Olivier Bastide lui prend sinon possession, du moins une forme de contrôle de son tumulte intérieur parce que la bataille engagée est de ne pas mourir. Puisque géométrie, la figure de l’angle est la façon habile de rendre hommage à René Char et une manière de se placer sous sa figure tutélaire. Et qu’est-ce qu’un angle sinon une façon de ponctuer l’espace….
Sous le titre A l’éveil nu, Olivier Bastide n’a pas embrassé l’aube d’été mais a « touché la peau du matin. » On suppose aussi que l’auteur est allé à l’Isle-sur-la Sorgue au cimetière, là où se trouve la sépulture familiale des Arnaud-Char-Magne, les prénoms du frère et d’une sœur, aînés de René Char, Julia et Albert, étant cités. Propos sérieux qui évitent de se prendre au sérieux, il y a dans les poèmes de cette partie comme plus de gravité, une envie, furieuse et oui, forcenée, de comprendre ce qui pourtant tient du mystère ou de l’infini, et qui mène à des accents existentialistes tant le questionnement d’Olivier Bastide pose le problème de l’existence individuelle déterminée par une subjectivité, laquelle détermine la liberté et les choix d’un individu. Quelques anecdotes sont rapportées, comme un test de lucidité, surtout ne pas se raconter d’histoires, ne pas être dupe et faire pleinement face à notre condition humaine avec le plus noble de notre humanité qui implique de se choisir une éthique. Et en cela se donner des raisons d’agir quand la vie elle-même apparaît comme n’ayant pas de sens. D’ailleurs n’est-ce pas de cette manière que valeur est donnée à la vie ?
Plus loin dans le livre et s’approchant de la fin du parcours, sous le titre Temps et contretemps, rythmes et météorologie, internes ou du dehors, sont soit à peine ébauchés, soit décrits, sous forme aphoristique le plus souvent :
Le soleil doit embraser jusqu’à
La plus infime parcelle d’être,
sans cela reste en germe le
malheur.Quand s’ instaure la saine
accalmie , l’immobile non
immuable, l’expansion de soi a
pour seule limite la foi.
Au bout du parcours, on trouve la mort, (à moins que ce ne soit la mort qui vous trouve). Dans poème pour Giulio, le beau-père de l’auteur décédé, se dégage une réflexion au sujet de ce qui nous attend : Enfer, Purgatoire, Paradis ? Car n’est-ce pas la question ultime ? Celle vers laquelle chacun s’achemine, et le poème en tant que témoin de la marche ne saurait éluder la question. Olivier Bastide s’empare du thème, joue à les imaginer à partir des représentations qu’on en a faites au cours des siècles, (Dante en particulier à qui l’auteur ne peut pas ne pas avoir pensé et qui de fait le convoque en filigrane), il joue à les placer tous les trois sur notre terre, car qui dit qu’Enfer, Purgatoire ou Paradis sont obligatoirement du côté des morts ? Olivier Bastide dit ce qu’il en connaît, du côté des vivants, puisqu’être humain ayant traversé des expériences, et puis il doute :
Car dieu n’existe peut-être pas.
Car ce sacré Bien, ce sacré Mal
non plus peut-être…
Peut-être en effet ne sont-ils pas séparés, peut-être simplement sont-ils les deux extrémités d’une même qualité dont font preuve, dont sont capables les humains… Aucune réponse ne sera donnée. Mais une conclusion en forme d’au-revoir, sinon d’adieu, qu’on entend avec les roulements du tambour et la voix d’un monsieur loyal sorti un instant de la piste du cirque :
Mesdames et Messieurs, le sujet
n’est-il plutôt bien trop profane
pour l’expurger post-mortem …
Ces derniers mots ne sont en
rien une interrogation, plus un
constat de fin de poème, une
lecture quelque peu distanciée
de notre humaine comédie.
Si le but de la vie, ainsi que certains philosophes le pensent, c’est apprendre à mourir, on peut dire, après lecture de ce livre, qu’Olivier Bastide s’y prépare avec application, parfois sereine, parfois détachée, parfois amusée, parfois rageuse. Sans tricher. Et c’est là tout le charme de ce livre qui nous provoque gentiment, du moins qui nous interpelle.