Olivier Cousin, La vie à l’envers
Quand un poète se jauge et jauge son époque, cela peut donner La vie à l’envers, un recueil d’humour noir (illustré par Scorre) sur la vie d’un défunt dans sa tombe. Le Breton Olivier Cousin nous avait déjà habitués à ce genre de regard oblique, comme ce fut le cas dans Les riches heures du cycliste ordinaire où il racontait le monde depuis la selle de son vélo. Le voici aujourd’hui dans la « tentative fragmentaire de compter sur soi jusqu’à l’infini », sous-titre de son nouveau petit livre.
« Depuis que ma mort est effective, je suis soulagé d’un poids : je n’ai plus peur de mourir ». Les aphorismes et autres pensées de ce recueil sont souvent de cet acabit-là. « Mourir de rire n’est plus du tout dans mes cordes », fait dire Olivier Cousin à son « héros » dans la tombe. « Passant/La vie est courte/L’éternité aussi/Les miennes se sont achevées », écrivait un autre poète breton, Gérard Le Gouic, dans un livre où il faisait aussi parler les défunts (Passant, précédé de L’enclos,suivi de Eloge, éditions Telen Arvor, 2017). Il y a aussi le Rennais Jacques Josse et son Comptoir des ombres (Les hauts-Fonds, 2017) qui nous montrait des copains défunts prenant l’apéro sous terre. « Le bar central se situe dans un caveau assez spacieux pour recevoir ceux et celles qui ont encore quelque souvenir à faire valoir ».
Olivier Cousin, lui, épouse volontiers la même veine du macabre… désopilant. Ses séquences courtes font mouche à chaque fois. « La question de l’angle mort reste un mystère dans le caveau ». « Je vis ma mort en ermite », « Ici j’ai intégré une chose : le futur n’a pas d’avenir. Le passé est enterré pour de bon. Le présent ne pèse rien ».
Olivier Cousin, La vie à l’envers, Gros Textes, 69 pages, 7 euros.
Le plus croustillant dans ce livre, c’est la référence à nos existences et à nos modes de vie. Faire parler un mort, c’est d’abord faire parler des vivants (mais à l’envers) dans des passages qui ne manquent pas de piquant. « En troquant la voiture contre la tombe, j’ai juste changé de concessionnaire ». Ou encore, ceci : « Orange n’a pas donné suite : je serai sans fibre jusqu’à l’éternité ».
Le débat (si contemporain) sur la crise de l’énergie arrive même sur le tapis. « Question énergie, nous dit le mort, je suis devenu irréprochable. Plus aucun gaspillage, eau, électricité etc. Je pousse l’éco-responsabilité jusqu’à produire moi-même du gaz que je ne consommerai pas. Je passerais pour un vantard si je vous parlais de mon compost ». Et ceci, plus loin : « Seule la pensée de l’épuisement de ma matière première requiert encore mon attention ».
Les bruits du monde arrivent par bouffées à l’intérieur de la tombe (comme ils arriveraient à l’intérieur d’un appartement). Voici ces « bien-portants » que l’on entend « trébucher » dans les allées du cimetière. Voici les « préados » qui font du skate pas loin. « Je perçois les trépidations jusque dans les jointures de mon caveau ». Voici le crissement des freins du vélo d’un gamin « faisant des dérapages dans la poussière ». Et ce crissement rappelle au mort « les derniers tours de vis » pour « river » son cercueil.
Olivier Cousin a eu, en outre, la bonne idée d’associer quelques belles plumes à ces évocations : des poètes du Moyen-Age (ceux des grandes mortalités), le poète Michel Deguy parlant du cimetière où le présent est « cassé en mille morceaux », Samuel Beckett affirmant que « la mort doit me prendre pour un autre », ou encore Henry de Montherlant à qui l’on prête cette phrase : « Vérifier bien méticuleusement que je suis bien mort ». Il y a même, pour la bonne bouche, ce dicton breton : « Un danjer eo bezan bev d’an deiz a hiriv », « C’est un danger d’être en vie de nos jours ».