Omar Youssef Souleimane, Miroir d’une guerre cachée (et autres poèmes)

 

Je ne peux pas venir

Tu sais bien que mes yeux qui regardent le chemin vide
Voient aussi la fête du désir dans ton lit
Mais je ne peux pas venir

Les lumières du chemin sont des feuilles de citronnier dans
   l’automne désolé
À ta porte danse le vin
Et sur tes cuisses cascadent les festivités du monde
Et je ne peux pas venir

Le chemin nocturne est la mâchoire d’une hyène qui décortique
   mes os
Son asphalte est un métal de colère et d’affliction
Sur lequel s’installe une balle de caoutchouc, mon cœur

D’un panneau publicitaire lumineux s’écoulent tes parfums
Tes robes y étincellent comme des musiques
Mais à mes yeux le chemin est comme ce panneau
Et les étoiles dans mon cœur sont du bois sec
J’ai tant cohabité avec le chemin que mon ombre s’y est creusée
Ma liberté est mon ombre
La guerre est ma mémoire
À chaque fois que je me résous à venir, c’est elle qui vient

[Traduction : Aïcha Arnaout]

 

 

 

 

Miroir d’une guerre cachée

Ici pas d’odes matinales
Dans ma mémoire la musique orientale tremble comme un
   réfugié

Aucune rue ne me tire par le cou
Comme un chien acharné à rejoindre sa femelle

Mon corps est lourd
Ce froid glacial est encore plus lourd

Comme les pigeons
Les cafés sont nombreux et dispersés
Ils sont le miroir des montagnes de la routine

Les yeux tels l’alcool gélifié
Sont le miroir d’une guerre cachée
Tout comme la douceur de mon sourire stupide
Est le miroir des cadavres qui s’amoncèlent dans mon cœur

Le matin des instruments sensibles

[Traduction: Lionel Donnadieu]

 

 

 

Festival dans l’obscurité de mon cœur

Les chants qui coulent sur tes épaules
Sont les noces de tes bijoux
Dans la pénombre en compagnie du vin
Festival dans l’obscurité de ma mémoire

Je suis sensible
Ma tristesse est un poignard qui s’enfonce dans la glace de la
   terrasse

Entonne les chansons des tribus que personne n’écoute
Chante dans une langue morte
Pour comprendre les bourgeons de la sagesse
Pour imiter les voix des participants aux émissions enfantines
Se moquer des civilisations
De toi, et de moi
Comme la table qui nous sépare
Le monde qui m’étrangle
Entre en fusion chaque fois que tu te moques
Et c’est alors que je comprends qui je suis
Et le festival s’agrandit
S’agrandit
Jusqu’à devenir monde

[Traduction: Lionel Donnadieu]

 

 

 

Nous ne serons pas en désaccord

Nous ne serons pas en désaccord
Prenez les prières et les objectifs
Nous prendrons la voie et le frémissement de la rosée
Prenez les trublions et le doigt du sniper
Nous prendrons l’alcool et les pattes des fourmis

Dans la fête ce qui nous rend heureux
C’est que nous ne sommes pas ensemble
Dans la fête il y a plus d’une fête
Mettons un obstacle entre les deux pistes
Quand vous danserez seuls
Vous nous entendrez appeler
Comme si nous ne vous visions pas
À votre santé !

Nous ne serons pas en désaccord
Vous les fantômes du chantage
L’œil des caméras
Et nous avons des fenêtres ouvertes sur votre peur
Vous avez les avoirs
Nous avons que nous n’avons plus rien à perdre

Nous ne serons pas en désaccord
Prenez Dieu et le paradis
Nous prendrons notre salut de ce grand enfer

[Traduction : Tahar Bekri]

 

 

 

 

Comme deux oiseaux qu’aucun nid ne séduit

Aujourd’hui, nous vivons l’amour
Il n’y a pas de nuages, gueules des loups, poussés par les
   fantômes du ciel
Ni de sang jaillissant au rythme de tonnerre des avions
Aujourd’hui est le jour vaporeux d’un bonheur translucide
Qui plane sur l’herbe
Le jour d’une intense aspiration au désir
Et d’un soleil affectueux comme ton ventre

Nous vivons l’amour
Simplement parce qu’il y a un mur blanc
Qui erre dans l’air de cette ville
Un mur qui, dans ma ville disparue
Avait porté un collier de figues sèches
Comme le chapelet des croyants

Et parce que le chemin étroit ici
Ne me conduit qu’au parfum du narguilé
Et du café de l’après-midi
Qu’au silence de la cardamone
Dans le regard de ma mère là-bas

Aujourd’hui, c’est le jour des graines de l’alphabet
Que le vent a apportées de l’Est
C’est le jour du goût des dattes sur tes doigts
Et des larmes de joie qui brillent du vif éclat des civilisations
À l’image de mon cœur qui luit dans le grain de beauté sur
   ton épaule

Comme deux oiseaux qu’aucun nid ne séduit
Joyeusement épris par les merveilles du hasard
Nous vivons l’amour et nous disons au revoir
Sans péché ni sacrifice
Comme il sied à ce jour spacieux

[Traduction : Aïcha Arnaout]

 

 

Ces Poèmes ont été publiés dans le Livre "LA MORT NE SÉDUIT PAS LES IVROGNES" Edition l'Oeil du loup- 2014
 

Présentation de l’auteur

Omar Youssef Souleimane

Omar Youssef Souleimane est né en 1987 à Quoteifé, sur les plateaux du Kalamoune à une quarantaine de kilomètres au nord de Damas. Après avoir obtenu un baccalauréat scientifique en 2005, il étudie la littérature arabe à l'université de Homs. Entre 2006 et 2010, il a été correspondant de la presse syrienne, et a collaboré avec de nombreux journaux arabes. Il est l'auteur de livres de poésie Chansons de saison (2006), et je ferme les yeux et j'y vais, prix koweitien Saad Al Sabbah en 2010. Ayant participé aux manifestations pacifiques dès mars 2011 à Damas puis à Homs, il a été recherché par les services de renseignements syriens. Afin d'éviter la prison, il est entré dans la clandestinité et est parvenu à quitter son pays. La France, où il vit depuis 2012, lui a accordé l'asile politique en 2012.  

 

 

Omar Youssef Souleimane

Il a publié Il ne faut pas qu'ils meurent en 2013 aux éditions Al Ghaoune - Liban, La mort ne séduit pas les ivrognes en 2014, bilingue, français/arabe, aux éditions L'oreille du loup - Paris, un film a été réalisé sur son poème " Je ne suis plus personne".

Vivant en région parisienne, il y poursuit ses études à l’université (Paris8) et continue son œuvrera poétique.