Qu’est-ce qui pousse Pascal Boulanger à livrer ses Carnets de l’année 2019 à 2022 ? Que nous apprennent-ils après Jusqu’à présent je suis en chemin (2016–2018) et Confiteor (2012–2013) ? De quoi traitent-ils en convoquant notamment avec insistance Hölderlin, Chateaubriand, Rimbaud, Lautréamont, Breton, Claudel, Heidegger, Pleynet, Minière, Sollers, Debord ?
C’est recentrer pour l’auteur et le lecteur la question sur la traversée singulière de ces écritures. Dans le trait et le retrait d’une vie qui est venue trouver refuge en Bretagne. Qui permet au poète de passer au crible l’actualité avec la bonne distance et qui mesure l’étendue de la perte. De la perte de sens, de la pensée, de la littérature. À revers du ressentiment, Pascal Boulanger choisit le présent. La poésie est cette activité qui permet de penser ensemble les enjeux du présent. Pascal Boulanger y chemine de sentier en chemin de traverse. Et s’il fustige certains poètes, s’est pour mieux préciser ce qu’il entend défendre : sa propre traversée. Car c’est à travers elle que se dessine pour Pascal Boulanger un horizon dans l’ouvert de l’aujourd’hui. Être d’accord avec soi-même signifie être d’accord avec ses influences et en assumer les contradictions nécessaires. C’est aussi s’en amuser, car la littérature permet le jeu, la raillerie, l’ironie. C’est revenir sans cesse sur des expériences de vies et de lectures. Pascal Boulanger est depuis toujours un lecteur de Paradis de Sollers qu’il place non pas en marge d’une écriture d’avant-garde, mais au centre d’une écriture poétique. À l’instar de Joyce et de Sollers, Pascal Boulanger s’accorde à parler d’épiphanie. D’épiphanie dans la vie et l’écriture. Dans la poésie et l’existence. Car la poésie n’est pas dénuée d’existence et l’existence de poésie. Pour le poète Pascal Boulanger : « La poésie comme épiphanie et comme abîme se donne immédiatement. » Comme il aime à le rappeler : « L’épiphanie surgit, sans pourquoi, sans commerce, s’engouffre dans l’horloge des fleurs, avant que le chaos des émotions et des émeutes ne retourne à l’ordre, avant que des empreintes ne soient figées dans l’ambre de l’histoire. » C’est bien la pensée du poétique qui fonde l’écriture. Un poète sans penser cette dépense n’écrit pas. Il se répète. Il répète la littérature. Un poncif. Au contraire de la traversée, de la pensée et de l’écrire.
Pascal Boulanger, En bleu adorable, Carnets 2019–2022, Editions Tinbad, 85 p., 15 €.
D’en faire l’écho un présent. Le titre de ses Carnets porte le titre d’un poème exhumé de l’histoire et traduit par André du Bouchet : En bleu adorable. « Habiter poétiquement le monde (et non pas économiquement) écrit Boulanger, consiste à guetter n’importe quel motif qui surgit en bleu adorable. La folle sagesse d’Hölderlin a été de tenir à distance le monde afin de l’approcher au plus près. » On y reconnait bien ce qui fait la spécificité de l’écriture de Boulanger : « Être là, dans l’échec et la question, dans la beauté qui ne fait pas question, marcheur qui pense en marchant et parle dans un saisissement qui le dessaisit. » Ce qui donne à la phrase de Pascal Boulanger sa tension et sa densité. Jamais loin de Hölderlin, jamais loin de Rimbaud. De toute la littérature en mouvement dans l’écriture : « Vivre comme un dieu, ignorant l’heure qui sonne, voyant tout dans un éclair. Je savoure moi aussi des joies profondes à errer à travers champs, j’ai assez de ce qui m’entoure pour assouvir mon appétit de merveilleux et je m’approche, sans crainte, des villes splendides. J’avance oublieux dans la lumière des ruines et c’est au bas des falaises taillées à pic, le désert soudain déployé à perte de vue. » Puisse ce saisissement dans ce dessaisissement continuer.
Présentation de l’auteur
- Pascal Boulanger, En bleu adorable - 5 septembre 2023
- Laurent Mourey, Cet oubli maintenant - 6 juin 2020