Pascal Boulanger, L’amour malgré
J’ai la bible de l’océan/ l’abîme et le gué
Après la publication de l’anthologie Trame, 1991-2018 (Tinbad) le poète Pascal Boulanger pensait, en quittant Paris pour un village de Bretagne, ne plus écrire. Or une habitation de l’espace et du temps, sensiblement différente, l’a aussitôt absorbé dans le retrait et aimanté vers une proximité lumineuse avec Hölderlin. De ce compagnonnage, paraît L’intime dense en 2020 et Si la poésie doit tout dire en 2022 (Ed. du Cygne), ainsi que le troisième volume de ses carnets : En bleu adorable (Tinbad).
Aujourd'hui encore, l’écriture, loin de se tarir, se propage dans L’amour malgré, semblable à un vaste ressassement, à l’instar de la mer, inépuisable à épuiser les possibles. La langue dans un continuum prosodique devient un théâtre combinatoire condensant une suite de temporalités étrangement concomitantes. Le temps n’est plus chronologique mais métaphysique créant densité et cycle, variations et métamorphoses dans un jeu d’échos sonores et de fréquentes antinomies où amour comme poète tourne en rond dans le clair-obscur du paradoxe. Les paranomases fleurissent : Le ciel est un miel aussi… Tout autour ma voix se noie / dans l’air bleu & bleu. Et les opposés s’épousent : Sans être à toi / tout est à toi… Si la poésie est mode de vie / tout est proche & proche / se fait lointain.
La langue néanmoins ne se perd jamais et mène sans faille l’avancée, inventoriant toutes les possibilités du réel comme pour les sonder. Elle précède, excède le poète, expérimentant la profondeur du temps et sa spirale à travers questions et doutes. Dans le poème (Kairos) le poète s’interroge : Existe-t-il un cercle du temps ? / & sur le cercle / un point de départ, un centre, un point final ? De ce temps traversé où la tragédie et les ruines du temps se profilent, seule la lumière, connaissance immédiate du sensible, reste force d’affirmation de la beauté entrevue. Le poète reste un veilleur car Tout s’arrache à la servitude du temps / quand chaque seconde ouvre la porte / aux épiphanies.
Pascal Boulanger : L’amour malgré, avec 13 peintures de Nora Boulanger-Hirsch, Voixd’encre, 19 euros.
Qu’importe la désolation d’un progrès doublé par la catastrophe (la troisième partie du recueil, En chiffonnier du sens, s’écrit avec Walter Benjamin), c’est une parole d’eau/ souterraine qui témoigne de la valeur de la poésie comme seule possibilité de la pensée, source de vérité et de lumière questionnantes.
Le titre L’amour malgré et aussi les peintures d’une des filles du poète, peuvent alors prendre tout leur sens et sensations, ils tiennent ensemble choses vivantes et chant de l’affirmation comme l’océan :
L’océan ne se fixe jamais
sur la puissance du négatif
il fait confiance à son enfance
qui fait retour indéfiniment
sur le chemin du temps.Son énergie ruisselle
Là où le vide s’insinue
en bel abîme tout coloré
du ciel ses couleurs