Pascal Boulanger, Trame : Anthologie 1991–2018 suivie de L’Amour là

Pascal Boulanger en son Anthologie poétique vivante

 

Septembre s’allonge sur la ville est le premier vers édité de Pascal Boulanger dans Septembre, déjà, publié chez Messidor en 1991. C’est important le jet initial : cette première pierre lancée dans le jardin de lecture est une forme oblongue couvrant le mystère de l’Unité métaphoriquement présentée comme une ville.

 

Pascal Boulanger, Trame : Anthologie 1991-2018, suivie de L’Amour là, TINBAD, collection POÉSIE, 2018, 30 euros. Illustration de couverture, Sophie Brassard.

 

Septembre, déjà… déjà l’automne à l’aube des saisons. Déjà, poser nos sacs dans l’or du jourécrit le poète nouveau de 1991. J’aime l’idée que la vie commençant est automnale. Toutes les limites se confondent, s’anéantissentdans cette cité bleue où Pascal Boulanger, poète de l’incendie, connaît les filles passantes jetant leurs robes sur les clôtures. Ainsi allons-nous nus.

Laissez-moi me perdre dans la foule poursuit Pascal Boulanger dans Martingaleoù se découvre la plage d’Ostie, la plage du crime, du corps offert.Toujours cette quête de l’unité, la soif de l’autre qui abreuve. Dans cette Martingale apparaît la figure de Clément Rosset, elle claque comme un coup de fusil. Où chercher la balle ? Pascal Boulanger distille son secret dans l’entretien partagé avec Gwen Garnier-Duguy en 2014 pour Recours au poème (texte figurant en clôture de l’ouvrage ici recensé) ; je le cite : « À une physique de la finitude, il faut opposer une métaphysique de la sensation ». Après sa conversion au catholicisme, lui, l’ancien militant communiste, en vient à convoquer l’enfer de ce qui se dévoile et aussi le paradis qui oppose l’amour au nihilisme.

Le voilà frère de Pasolini, communiste, marxiste en économie, catholique, le voilà, je le suppose, d’accord avec Kierkegaard énonçant que l’homme vient au monde pour vivre, non pour comprendre. La foi vive ne se commande pas, il faut la vivre au monde, et le monde se vit en réalité. Retour à Clément Rosset qui approuve le réel dans la joie sans en gommer les aspérités désastreuses. Ainsi raisonne Boulanger, il le rappelle, toujours dans ce même entretien : « Clément Rosset, c’est le philosophe du tragique et de l’allégresse, c’est celui qui accueille l’offrande du réel et qui (…), d’un livre à l’autre, déjoue la pensée systématique promettant une vie meilleure, différée, illusoire. » Le double que décrit Rosset jusque dans son dernier souffle, son compagnon en humanité, cherche des faux-semblants dans le nihilisme ambiant, espérant ainsi échapper à son destin tragique. Le fantasme du double est une fuite en avant, une faute contre le réel. Rosset est en empathie avec celui qui passe le miroir mais lui reste debout, face contre face.

En quoi Boulanger diffère-t-il de Rosset ? C’est qu’il croit (et le verbe croire est important) que la Chute a bien eu lieu et que l’histoire est toujours la reconduction de l’enfer. Mais, je le répète, le poète Pascal Boulanger pose son sac dans l’or du jour. Comme Rosset tombé dans le réel, si ténu soit-il, dit le vrai dans la joie du peu, Boulanger est dans la sensation au monde, le tremblement de l’amour guerroyant le nihilisme. C’est Alléluia encore un été ! avec torrents lumineux & vibrations dans l’air, comme le pose le poème Le bel endormi. S’il fallait ne retenir qu’un seul vers de toute cette anthologie, pourquoi pas celui-ci ?

L’image du monde est une paroi surchargée de gravures qui se recouvrent, lit-on dans Tacite, mais aussi ils se frottent (les hommes) les yeux en fixant la lumière électrique d’un monde dissous. Revoici le double de Clément Rosset, celui de René Girard aussi.

Voilà, la poésie est philosophie, et même philosophie première comme l’est celle d’Héraclite. Pour Héraclite, le commencement ne diffère pas de la fin. La poésie d’Héraclite ignore la musique de la stance, celle de Pascal Boulanger l’approche mais ne s’y noie pas. Elle préfère sculpter les images, les idées, elle préfère peindre. La poésie est palimpseste : elle gratte, régurgite, nettoie, réécrit ce qui est écrit. Elle va, forcément, du chaos au logos, au cosmos organisé.

C’est ce que dit le recueil Cherchant ce que je sais déjà. Pur joyaux. Quel besoin de connaître, je sais, je sais déjà sourit le poète. Noli me tangere.

 

Me voici
Ici
Mais pas ici même
Ailleurs
En partance
Mais ici
Avec moi-même
Sans être le même

 

Cherchant ce que je sais déjàest le recueil que je préfère de Pascal Boulanger. Il est celui du dévoilement, de la solitude, de la vie intérieure où toujoursla révolution commence, pour paraphraser Pasolini.

 

Même si ma chance
n’est plus qu’une flamme de la mort
Je goûte encore
la présence d’instants dans l’instant
J’efface le jour en me jouant des bornes
et je cueille les roses qui m’absorbent
lentement dans le vide.

 

Ce besoin de joindre Pasolini et Boulanger peut sembler étrange car l’un est l’homme du passé, mal dans son présent, l’autre celui du présent assumé, incontournable. La présence goûtée d’instants dans l’instant signale cette force de Boulanger, force qui lui permet d’effacer le jour, c’est à dire de prendre le jour à son compte. Le poète s’habille des roses offertes pour affronter le réel absorbant. C’est le rythme, le phrasé, la profondeur des vues, l’engagement politique en poésie, le rejet de la « religion » égalitaire qui rapprochent les deux hommes. Les deux, le nostalgique et l’ouvrier des jours, sont pertinents, éclairants, proches dans le style.

Une fois né, on n’a jamais tort de vivre, énonce le recueil Un ciel ouvert en toute saison, recueil dédié aux deux filles du poète. Dans l’émeute du cœur se construit la vie vraie et la prolifération inattendue du simple. Ainsi le Chaos des origines s’effondre dans l’Amour, ainsi se construit le cosmos. Le fils de l’ouvrier couronné d’épines (Le lierre la foudre), se cache sous le manteau du poète (entre autre vêtements). C’est dire l’engagement de Pascal Boulanger pour sauver ce qui peut être sauvé dans l’enfer des jours. Par l’Amour mais conscient que la ville brûle.

Nous disions Cosmos, disons cosmologie, qui est une métaphysique. Mourir ne me suffit pas, écrit l’Anthologiste voyageur du réel. Une Anthologie voulue par lui « de son vivant », construite, cosmique littéralement et littérairement. Il faut bien en venir à l’essentiel de Pascal Boulanger :

 

Les douze pierres 

Ils jouent la tunique au dés
près de la croix que chevauchent les oiseaux du ciel
mais l’habitant des tentes sommeille avec candeur
sur les douze pierres éparses

 & les anges qui montent et qui descendent
sur la terre noyée et sans contour
bruissent dans son oreille.

 

La parole des anges construit le sens de la poétique de Pascal Boulanger, qui, constructeur cosmologique, crée le monde comme sumbolon (ce qui rassemble les deux parts du tout) opposé au diaballein (la division). Le poème titre de l’Anthologie, qu’il faut bien dévoiler, est Trame, texte de Jean Follain repris dansMourir ne me suffit pas. Voici ce fulgurant quatrain, pris à un autre car tout est transmission :

La même lettre de plomb
sert pour imprime
l’infâme décret mortel

et la prière au ciel chrétien.

Jean Follain

 

TOUT EST DIT de l’œuvre poétique de Pascal Boulanger (une vie pour le dire). Non… car, auteur d’un dernier recueil, L’amour là, hors Trame mais quand même dans l’ouvrage ! Pascal Boulanger, en un sursaut du sexe ravageur, rassemble les deux parts du sumbolon dans un hymne d’amour à la femme, la femme porteuse du monde, dans les sens propre et figuré, comme réponse possible au chaos.

Présentation de l’auteur

Pascal Boulanger

Pascal Boulanger, poète et critique littéraire né en 1957, père de deux filles, vit près de Combourg, en Ile et Vilaine depuis son départ à la retraite. Il a été bibliothécaire en banlieue parisienne, d’abord à Bezons (Val d’Oise) puis à Montreuil (Seine Saint Denis). Il a mené des ateliers d’écriture et a été à l’initiative de nombreuses actions culturelles dans le cadre de ses fonctions professionnelles. Il a publié des articles et des chroniques dans des revues, parmi lesquelles « Action poétique », « artpress », « Europe »,  « Triages », « Poésibao », « Sitaudis », « Recours au poème »…

Depuis 1991, date de la parution de son premier livre « Septembre, déjà » (Europe-Poésie), il a publié des recueils poétiques (chez Flammarion, Tarabuste, Corlevour…) des anthologies critiques et des carnets. En 2018, Guillaume Basquin des éditions Tinbad, publie une copieuse anthologie de ses poèmes, sous le titre : « Trame : anthologie 1991-2018, suivie de L’amour là ». En 2020 et 2022, les éditons du Cygne publient ses recueils « L’intime dense » et « Si la poésie doit tout dire… ». Il est l’auteur, avec Solveig Conrad-Boucher, d’une étude sur Chateaubriand (Editions Arfuyen). En 2023, les éditons Tinbad publient le troisième volume de ses carnets : « En bleu adorable ».

Bibliographie 

  • Septembre, déjà, éd. Messidor, 1991
  • Martingale, éd. Flammarion, 1995.
  • Une action poétiquede 1950 à aujourd’hui, éd. Flammarion, 1998.
  • Le bel aujourd’hui, éd. Tarabuste, 1999.
  • Tacite, éd. Flammarion, 2001
  • Le corps certain, éd. Comp'Act, 2001.
  • L’émotion l’émeute, éd. Tarabuste, 2003Jongleur, éd. Comp'Act, 2005.
  • Jongleur, éd. Comp’act, 2005
  • Suspendu au récit... la question du nihilisme, éd. Comp'Act, 2006.
  • Fusées et paperolesL'Act Mem, 2008.
  • Jamais ne dorsle corridor bleu, 2008.
  • Cherchant ce que je sais déjàÉditions de l’Amandier], 2009.
  • L’échappée belle, Wigwam, 2009.
  • Un ciel ouvert en toute saisonLe corridor bleu, 2010.
  • Le lierre la foudre, éd. de Corlevour, 2011.
  • Faire la vie : entretien avec Jacques Henric, éd. de Corlevour, 2013.
  • Au commencement des douleurs, éd. de Corlevour, 2013.
  • Dans les fleurs du souci, éd. du Petit Flou, 2014
  • Essai, éd. Tituli, mars 2015
  • Guerre perdue, éd. Passage d'encre, coll. "Trait court", 2015.
  • Mourir ne me suffit pas, préface de Jean-Pierre Lemaire, éd. de Corlevour,  2016.
  • Trame : anthologie, 1991-2018, suivi de L'amour là, Tinbad, 2018.
  • Jusqu'à présent, je suis en chemin - Carnets : 2016-2018, éd. Tituli, 2019
  • L’intime dense, éd. du Cygne, 2021
  • Si la poésie doit tout dire, éd. du Cygne, 2022
  • Ainsi parlait Chateaubriand, avec Solveig Conrad Boucher (Arfuyen), 2023
  • En bleu adorable, Tinbad, 2023

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