Roland Reutenauer est le poète de la fidél­ité à un paysage. C’est Jérôme Garcin qui écrivait il y a quelques années : “Après trente-deux ans d’éloigne­ment, Roland Reutenauer est revenu vivre dans la mai­son de son enfance, face à la riv­ière et au chêne qui sem­blaient l’at­ten­dre avec la grande patience des élé­ments.” Aus­si n’est-il pas éton­nant, dès le pre­mier poème de ce nou­veau recueil, de lire ces vers : “Par la fenêtre / je vois un ancien moulin sur l’autre rive / […] / et au pre­mier plan mon chêne…”  Paysage fam­i­li­er et point de départ à la médi­ta­tion et aux ques­tions qui tra­versent les poèmes tant la riv­ière et le chêne durent plus que l’homme. Ce sont poèmes à hau­teur de regard mais qui  per­me­t­tent de voir là où le regard ne porte plus. Roland Reutenauer, évo­quant le paysage qu’il a quo­ti­di­en­nement sous les yeux ou qu’il arpente sou­vent, écrit une ode au  bon­heur sim­ple qui con­tient ce qui nous dépasse tous, une fable du secret aux ques­tions exis­ten­tielles… L’en­fance est présente dans maints poèmes ; mais elle est l’oc­ca­sion des “ver­tig­ineuses ques­tions”. Si le sou­venir est lié à l’in­stant présent, il est aus­si pré­texte à évo­quer la mort qui hante le poète. Mais cette

mort n’est pas vrai­ment red­outée, elle appa­raît comme celle qui délivre du mys­tère, qui délivre des (les) mots retenus : “Ces mots col­lés à la paroi du cœur / farouch­es et rarement pronon­cés / […] / fau­dra-t-il atten­dre que le dernier souf­fle / les décolle tous pour de bon…”.

    Cepen­dant, cette poésie ne se réduit pas  à l’évo­ca­tion de la nature ou du sou­venir. Elle puise aus­si ses racines dans la lec­ture de poètes par­fois loin­tains. Ain­si cette allu­sion au poète chi­nois Li Po (8ème siè­cle, un des plus grands poètes de la dynas­tie Tang) qui, selon la tra­di­tion, dans sa soix­an­tième année, de retour de l’une de ses beu­ver­ies cou­tu­mières, sur le chemin longeant le fleuve, se jeta à l’eau et se noya… Roland Reutenauer en tire un poème dont le sec­ond qua­train est lourd de sens : “au retour on fera bien / de ne pas longer le fleuve / il suf­fi­rait qu’on se sente un peu chi­nois / pour se noy­er dans le reflet de la lune”. Le lecteur atten­tif décou­vre là que cette poésie n’est pas seule­ment celle du monde naturel, réel, sen­si­ble mais aus­si celle du doute et de l’in­quié­tude. Pour preuve encore, cet autre poème où le petit se mêle à l’im­mense  : la mai­son de grès est “à trois érables des nuages”. C’est le bon­heur qui se dit là, mais un bon­heur miné de l’in­térieur par ce qui le dépasse, par sa place dans l’univers…

 

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Lucien Wasselin

Il a pub­lié une ving­taine de livres (de poésie surtout) dont la moitié en livres d’artistes ou à tirage lim­ité. Présent dans plusieurs antholo­gies, il a été traduit en alle­mand et col­la­bore régulière­ment à plusieurs péri­odiques. Il est mem­bre du comité de rédac­tion de la revue de la Société des Amis de Louis Aragon et Elsa Tri­o­let, Faîtes Entr­er L’In­fi­ni, dans laque­lle il a pub­lié plusieurs arti­cles et études con­sacrés à Aragon. A sig­naler son livre écrit en col­lab­o­ra­tion avec Marie Léger, Aragon au Pays des Mines (suivi de 18 arti­cles retrou­vés d’Aragon), au Temps des Ceris­es en 2007. Il est aus­si l’au­teur d’un Ate­lier du Poème : Aragon/La fin et la forme, Recours au Poème éditeurs.