Il y a cent ans naissait l’immense poète Patrice de La Tour du Pin. A cette occasion Gallimard, qui vient également de fêter ses cent ans, publie une anthologie de poèmes choisis.
Pour introduire à l’œuvre de ce poète de génie, il faut citer les deux premiers vers de sa somptueuse Quête de Joie :
Tous les pays qui n’ont plus de légendes
Seront condamnés à mourir de froid.
Le poète, en 1930, à moins de 20 ans, sait que quelque chose d’essentiel quitte le pays de l’homme. Cette perte, il la nomme “légende”, c’est-à-dire, étymologiquement, “ce qui doit être lu” à l’aune de “la vie des saints”. Ces faits merveilleux qui hissent l’âme d’un pays comme les couleurs sur lesquelles les regards d’un peuple convergent, ces légendes donc, tombent dans l’ignorance. Partant de ces deux vers fondateurs, le poète va dérouler sa poétique grandiose.
La première pierre de son épopée moderne se nomme La Quête de Joie. Ce titre renvoie directement à la Quête du Graal, c’est-à-dire à la recherche intérieure du vase qui recueilli le sang du Christ sur la croix, sang procurant la vie éternelle à qui parvient à le boire. La Tour du Pin, en nommant Joie le Graal, actualise les éléments de la matière de Bretagne et la puissance religieuse leur étant attachée. Ce premier livre compte une soixantaine de poèmes. Il met en place une poétique de la vie intérieure, avec des éléments à la frontière du concret et de l’abstrait, des paysages du monde et du paysage du dedans. On y trouve une femme, des oiseaux, des anges, des marais, Ullin, personnification de la Raison. On y trouve les brumes du matin, les lacs perlés de givre, les nuits peuplées de présence animale, le vent, la pluie, la figure du Christ. Ces éléments sont les symboles de lignes de forces intérieures, que le poète tente d’agencer pour dire sa propre tentative de remonter à la source de ce qui sauve, c’est-à-dire à l’ordonnancement des phénomènes avec lesquels l’homme doit composer pour entendre quelque chose du sens de l’existence, et atteindre à l’essence de celle-ci. Modèle de quête pour chacun, le poète, toutefois, au sortir de cet ensemble, est forcé d’avouer son échec. Face à l’époque progressiste, à la toute-puissance de la science, aux percées rationalistes, le poète échoue à unir en lui ce qui est désassemblé.
Mais cet échec conduit notre poète sur un chemin au plus long court. La Quête de Joie sera ainsi à la fondation d’une œuvre poétique que l’on peut qualifier de grand-œuvre, et fondu au cœur d’une parole dont l’unité ne cesse de sidérer par l’ampleur de son ambition réalisée.
La Tour du Pin reçoit la vision globale de ce qui l’occupera sa vie durant. Une Somme de Poésie. En trois temps. Le jeu de l’homme en lui-même, Le Jeu de l’homme devant les autres, Le Jeu de l’homme devant Dieu.
Trois jeux, pour une Somme de Poésie dont le choix du nom renvoie à la Somme de Saint-Tomas d’Aquin dont l’une des missions fut de fondre dans le corpus chrétien les apports aristotéliciens qui œuvraient alors pour la suprématie de la raison sur la foi. La Tour du Pin indiquait ainsi que l’époque contemporaine était semblable à celle qui s’était vue fascinée par la rationalité n’ayant pour seule mesure qu’elle-même, et qu’il s’agissait à nouveau d’accueillir les réels pouvoirs de la science pour les mettre au service d’une foi dilatée.
Ainsi La Somme de Poésie répond-t-elle aux exigences de son temps en ce qu’elle propose un modèle d’univers, par la parole poétique, c’est-à-dire par la création d’un langage s’efforçant de traduire pour les temps intellectuels, économiques, scientifiques, relativistes, psychologiques, les réalités d’un Verbe qui l’aimante, et ce faisant elle actualise tout un pan, en risque de désuétude, de la vie intérieure.
On ne peut, si l’on veut comprendre l’apport fondamental du poète au foyer de la parole, se dispenser de lire La Quête de Joie, préalable à la Somme de Poésie conçue comme une cathédrale, gothique en ses débuts, romane en son final sculpté d’épure. Cette poésie réaffirme le christianisme, en recentrant le destin occidental sur son essence première, le sens de la grande aventure de l’homme. Elle tente de réorganiser le monde intérieur, et indique aux modernes que nous sommes le choix de vivre, plus fort que la peur. Ce que La Tour du Pin nous chante, c’est peut-être, en définitive, le courage de redevenir des saints.
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