Deux univers cohab­itent dans ce livre, celui des dessins de Mélis­sa Fries, et celui des poèmes de Patri­cia Cot­tron-Daubigné. La poète écrit à par­tir des oeu­vres de l’artiste, pour dire l’enfermement, les gangues qui se défont.

Ce sont des dessins-col­lages qui “délivrent le savoir des nuits pier­reuses”. Ain­si ces femmes à tête de chou­ette ou de hibou, aux grands yeux jaunes, envelop­pées dans des vête­ments amples, som­bres et épais, sem­blent enfer­mées dans un car­can. Leur nature prim­i­tive, sauvage, veille, pour­tant, et ne demande qu’à être révélée. Elles sont, au fond d’elles-mêmes, de “buis­son­nantes sor­cières”, au fond d’elles-mêmes, des proces­sus mys­térieux se tra­ment, dans un amal­game de noeuds et d’entrailles enchevêtrées. Tout cela macère, fermente.

La femme dont il est ques­tion dans ce recueil doit trou­ver “l’audace de défaire les gangues”, révéler sa vraie nature fémi­nine, l’exposer à la clarté de la lune. Nous sommes en présence de la femme empêchée, entravée par le poids du passé, celui des tra­di­tions, du vécu per­son­nel, du rôle que lui assigne la société. Cette femme empêchée réprime ses instincts vitaux. Pour­tant, elle est une cathé­drale qui s’ignore, et qui ne demande qu’à être révélée. Osera-t-elle dévoil­er ses joy­aux, ses vit­raux de lumière ?

Patri­cia Cot­tron-Daubigné, Mélis­sa Fries, Femme brous­saille, la très vivante, Les Lieux Dits édi­tions, 2020

Les poèmes de Patri­cia Cot­tron-Daubigné éclairent les oeu­vres de Mélis­sa Fries.

 

Je viens du temps des retables

du temps des gar­gouilles grimaçantes

des brous­sailles et des griffes goulues

qui caressent jusqu’au sang

je par­le à la lune de

nos ven­tres gourmands

nous

mères et filles

géni­tri­ces d’oiseaux

aux grands yeux

d’autre nom sorcières

femmes.

 

Le monde décrit par Patri­cia Cot­tron-Daubigné est un amal­game de bêtes, de chair, de sang. La femme au cri silen­cieux réprime le trop-plein en elle et dit : “les cieux ont coupé / ma tête”. Ce qui est entravé, empêché, c’est l’accès au plaisir. Alors, pour se réveiller à sa véri­ta­ble nature, elle danse des dans­es noc­turnes “avec des grenouilles dans les mains / avec des lézards dans la bouche / et par­fois un sexe d’homme découpé”.

Il s’agit pour elle de retrou­ver une cer­taine légèreté, “l’écume des rires”, de “jouer dans le matin des écureuils / femmes plus vastes gorgées de ciel”, mal­gré les clous, les flèch­es, le poids d’une société patri­ar­cale. Il s’agit de retrou­ver la douceur, la beauté du jour, les sourires, la sen­su­al­ité, le plaisir, les caresses.

 

Je pose sur nos fesses

sur nos ven­tres d’amour

des entrelacs d’offrandes

per­les et fruits sucrés

fau­vettes diamantines

et baies sauvages

je pré­pare la cérémonie

la venue de la parole

celle des reines que nous advenons

l’une et l’autres toutes

 

Cette redé­cou­verte du plaisir sen­suel passe par d’autres femmes. Des textes plus courts dévoilent l’exploration du désir, les den­telles noires, le froufrou, l’ivresse des amours saphiques.

Pour­tant, le chemin de l’éveil est long : “il faut défaire les clô­tures / laiss­er les con­quêtes / con­naître les nuits / et s’avancer”. Il faut enlever les couch­es épaiss­es et accu­mulées, une à une. Pour, enfin, accéder à “l’enfance du monde / un nom de lumière / femme / sous sa robe / d’horizon”.

 

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Valérie Canat de Chizy

Valérie Canat de Chizy est tit­u­laire d’une maîtrise de Let­tres mod­ernes. Après s’être ori­en­tée vers les métiers des bib­lio­thèques, elle est aujourd’hui bib­lio­thé­caire à Lyon. Très vite, la poésie devient pour elle une manière par­ti­c­ulière d’exprimer ses émo­tions. Ses pre­mières pub­li­ca­tions parais­sent en 2006 chez Encres vives. D’autres recueils suiv­ront: “Entre le verre et la men­the” chez Jacques André édi­teur en 2008, “Même si” au Pré # car­ré en 2009, “Pierre noire” aux édi­tions de l’Atlantique en 2010. Depuis 2005, elle assure des recen­sions pour la revue Ver­so. Elle est en out­re présente dans divers­es revues de poésie.