S’agissant du Jardin de l’orme, rarement la facture d’un livre aura aussi bien correspondu à son esprit : l’élégante couverture reliée à la chinoise par un simple fil de lin passé dans l’épaisseur de la tranche, le dessin à l’encre réalisé par Paul Morin lui-même pointent dès l’abord une promesse d’heureuse lecture.
D’un long commerce des livres et des musées, de la connivence du poète avec les paysages bretons, chinois ou nordiques, de sa passion de la photographie est né ce livre rare à l’écriture buissonnière. Comme les eaux étroites de Julien Gracq, la découverte des bords de Loire par l’enfant réfugié a inscrit en lui le sens de la beauté si intensément que ces hauts lieux n’en finissent pas d’agir comme une eau-forte. En un vaste poème en prose, Paul Morin assemble, par collages et fragments, les images et les correspondances : « La traversée des marais salants me porte vers d’autres étendues de la Chine du Sud, une roche noire me plonge dans les fjords d’Ecosse ou de Norvège, les longs bancs de sable emportent mon regard vers les nuages ». La quête de la langue épouse pour lui celle de la terre, de ses chemins les plus variés, au-delà des frontières de toutes sortes : en passant des paysages norvégiens aux salines de Batz ou aux pagodes chinoises, ce sont ses propres illuminations qu’il nous livre.
Comme on parle de placer la voix, l’on pourrait dire que tout l’art de Paul Morin est de placer le regard. Le mot d’ailleurs revient souvient : il importe d’ajuster l’œil devant l’imprévu, l’incertain, l’éphémère. Cristaux de sel, nuages blancs, eaux se décomposent et se recomposent en d’infinis possibles, comme les formes changeantes d’un kaléidoscope. Rien de cérébral ici, le poète est de plain-pied avec toutes les formes du sensible, celle de la nature comme celles des créations de l’esprit humain, Tiepolo, Mozart, Poliakoff, Strindberg… Car c’est une subjectivité passionnée, nourrie de la spiritualité et des arts de l’Orient, disponible au dépaysement qui cultive ce jardin mi-réel, mi-imaginaire. Et cet orme, en premier plan, riche de la symbolique de l’arbre, enracinement par excellence, voilà qu’il devient le lieu même de l’ouvert, accueillant tous les signes de la beauté glanés de par le monde. En nous faisant entrer dans ce « ce jardin sans clôture de [son] esprit », Paul Morin invite chaque lecteur à cultiver le sien et à se faire lui aussi un contemplatif du monde et de ses beautés.
Ce texte est paru dans “Cahiers de l’Académie littéraire de Bretagne et des Pays de Loire”. Numéro 49. 2013.“Couleur”.
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