La Catalogne, l’Aude, et le Vaucluse, sur ces terres voisines se sont dressés trois poètes du Sud avec leur poésie. Pierre Reverdy publie Le gant de crin en 1927 et énonce « Le décoratif c’est le contraire du réel.» René Char affirme en 1975 dans Aromates chasseurs : « Peu auront su regarder la terre sur laquelle / ils vivaient et la tutoyer en baissant les yeux.» Dans son livre Le jour ressuscité publié en 1985 aux éditions Rougerie, Paul Pugnaud avance entre terres et mer « Sur la route où le jour découvre / le cœur des roches ». Approcher le cœur des roches, sans décor, en baissant les yeux : ces trois poètes du Sud bien qu’éloignés dans leurs travaux ont des attitudes assez proches, ils dégagent de la parole poétique trois écritures où les mots assemblés hors de leurs sens habituels, cristallisent les sensations, dégageant densité et forces dans leurs poèmes. Ces derniers nous apparaissent alors tour à tour comme roc isolé, construction terrestre, mystérieuse, tantôt fragile, tantôt indestructible.
Paul Pugnaud nous confie : « Tu leur as préféré / Le grand silence minéral / Qui se dépouille de tout élan vers l’avenir.» Ce choix l’a t‑il fait parce qu’il a conscience que nous sommes des « errants » qui ne connaissons pas « le vrai sens de la marche » et que nos mains s’accrochent à toutes les forces de la nature « Avant de se poser / Sur l’épaule des hommes » ? Nos existences traversent des déserts où il faut chercher des fontaines pour retrouver désir et créations : « Peuplant un pays sans échos / Nous inventons des mots / Pour aller plus loin que la vie.»
Pour rejoindre les humains, le poète a besoin « Des mots et de leurs sens cachés » qu’il faut parfois ranimer dans le foyer de la création pour reconnaître que « nous écrivons avec leurs braises.» Nous, les « errants » dans cet univers, qui cherchons une issue dans toutes ces étendues, il nous arrive de faire « taire des voix / lasses de marteler la vie », de s’attarder sur un regard, un sourire « allégeant le poids de la vie », de nous adresser à « des hommes accoudés au parapet du large ». Pas de paroles inutiles, l’éternel voyage des hommes qui rencontrent l’inertie de l’eau, la montagne qui bascule dévoilant une lueur sous la terre et cette fois encore Paul Pugnaud évoque encore les séparations de toutes sortes : « Aucun adieu n’est prononcé / Seul un geste désigné / L’aventure et ses chemins interdits ». Il faut suivre des rites, buter sur la marche du seuil et prononcer non pas les mots mais le mot qui lie les visiteurs à notre accueil : « Les adieux engloutis / Dans les gestes des voyageurs / Refont surface après / Avoir ranimé des présences.»
Dans son recueil Le jour ressuscité, Paul Pugnaud n’a aucune résignation : des humains disparaissent, des difficultés d’existences surgissent, des solitudes trop dures nous éloignent de la société humaine ; il faut partir, c’est impératif, il faut partir sur terre, sur mer « Par les gestes de ceux qui partent / Les adieux se prolongent ». Ce n’est plus un état imposé mais une décision lorsque le vent se sera tu « au fond des rues le soir », le poète réveillera la mémoire des mots pour écrire « notre quête inlassable ». Ce poète est « homme le doigt sur les lèvres » ordonnant le silence afin de mieux traquer le désir d’écrire « loin de l’hostilité du monde ». À quoi servirait ce voyage, si ce n’est à fuir cette angoisse : « Peur tapie dans les chambres où nous vivons » ? Révéler ce qui nous tient ici bas : « cet échange de paroles / mal accordées à nos désirs » mais que nous rencontrons au coin des rues, découvrir des hommes qui se saluent sans se connaître « Leurs mains s’étreignent / Le soir les colore / Les fait briller comme le feu». La solitude des hommes, les difficultés de communication véritable entre eux, l’inquiétude sur nos avancées, progrès et destructions : où cela nous mènera-t-il ? « Nous avons entendu / les cris / Des insectes qui nous adressent / les menaces sur l’avenir ».
Agir coûte que coûte, messages d’espérance pour nous humains parfois si déshumanisés. Espoir ? Que Paul Pugnaud accompagne d’inquiétudes. Alors agir, s’évader, rechercher, découvrir enfin « Le Jour ressuscité !»