Les lecteurs fidèles de Recours au Poème auront certainement retenu le nom de Paul Pugnaud, que nous avons présenté il y a peu lors de la parution d’une anthologie de poèmes choisis publiée par Rougerie.
Sur les routes du vent, recueil posthume de proses poétiques vient de voir le jour grâce aux éditions Folle Avoine. Nous devons ce rassemblement de poèmes à la fille du poète, Sylvie Pugnaud, et aux carnets inédits que son père noircissait de façon régulière.
Dans la préface à ce livre posthume, Jean-Pierre Siméon cite une dédicace faite par René Rougerie lorsque l’éditeur lui fait parvenir Ecouter le silence : “À Jean-Pierre Siméon, en espérant que cette poésie ne disparaîtra pas et que des poètes tels que vous continueront à s’opposer à certaines tendances actuelles.”
Nous sommes quelques uns, effectivement, à tenter, grâce aux moyens qui sont les nôtres, de désoculter la poésie de Paul Pugnaud. À notre connaissance, les dernière revues lui ayant consacrées une place sont Les Hommes sans Épaules, dans un dossier préparé et présenté par Matthieu Baumier dont nous avions relevé l’importance ici, et Arpa, dirigée par Gérard Bocholier.
Comme le souhaitait René Rougerie, comme nous l’estimions de notre coté, la parole de Paul Pugnaud doit être écoutée, doit être entendue. Nous noterons peut-être avec surprise cet engagement net de Rougerie, déplorant “certaines tendances actuelles” et désirant s’y opposer. C’est ce qu’il fit sa vie durant, discrètement mais fermement, par son travail d’éditeur. Cette discrétion et cette fermeté, nous la trouvons à l’identique dans l’œuvre de Pugnaud, et notamment dans le recueil présent, où s’affirme une voix issue de ses carnets, étonnement ferme. Ferme ? Non pas dans le sens d’une réaction, mais dans le sens d’une affirmation du pouvoir réel du langage. Pugnaud savait que toute guerre est d’abord sémantique. Sinon, pourquoi écrire ? Pourquoi chanter ? Acte de foi, en l’occurrence, de cette foi en le trésor contenu dans les mots, dans les phrases, dans la magie de la grammaire capable de conjurer les attaques contre l’âme. Capable aussi d’accompagner, et donc de réaliser, les capitales métamorphoses à l’œuvre au sein d’un être.
“Nous attendons la venue d’un souffle que la teinte des eaux sur l’horizon annonce”.
Ce sens aigu de l’observation, cette attention aux éléments et aux lumières, le poète Pugnaud en savait les arcanes métaphoriques. De quelles eaux parle-t-il ? De quel horizon ? Quant au souffle ?
Pugnaud voyait que le visible n’était qu’une image sous et à travers laquelle se tramait le véritable réel, celui orchestré par le vaste invisible se servant des apparences pour faire signe. C’est en cela que le visible, pouvant alors être perçu comme une illusion, s’oppose au Réel que la parole du poète modifie et crée.
“Les terres sensibles reproduisent l’aspect troublé du monde et nous sommes obligés de croire que les choses ne se renouvelleront pas”.
Le poète voit le lien ténu entre le remugle humain et sa marque sur les paysages qu’une sismographie intérieure enregistre. Cet état devrait conduire la matière humaine à l’obligation de croire à une certaine défaite, voire à une certaine mort. Mais une autre parole, une autre sensibilité, sauvées du désastre par la fidélité aux pouvoirs de l’image, peuvent changer cette obligation.
“Une plainte viendra éveiller nos engourdissements, et nous rappeler qu’il faut utiliser tous les moyens pour lutter et rétablir un ordre ancien.”
Ferme, disions-nous ? De cette fermeté là, oui.
Paul Pugnaud est un grand poète. Chaque page de ce livre, lorsque nous le lisons avec l’attention qui lui est due, porte un enrichissement merveilleux. Le travail mené par le poète est d’excellence. À travers les éléments extérieurs qui peuplent son environnement personnel — lumière, nuit, braise, feu, oiseau, arbre — il dessine une géographie intérieure ajustée à ses sentiments, à ses émotions, recevant, comme chaque être humain sur cette terre, l’esprit ambiant issu du psychisme général de l’espèce humaine, et transformant toutes ces informations dans l’athanor qu’est sa vie pour affronter ces mouvements de roulis, de tempêtes, et tendre à l’accalmie du monde.
Le monde, aujourd’hui, s’éloigne des hommes par la faute des hommes. Nous nous surprenions nous-mêmes, il y a peu, à écouter un soir, rentrant du travail, un merle posté sur le faîte d’un toit, offrir son chant varié à qui voulait l’entendre. Nous sommes restés écouter. Surpris par les nuances subtiles de sa chanson. Surpris par ce besoin qui semblait viscéral de sortir ce chant ailé pour le donner, à qui ? Surpris aussi de s’attarder ainsi, alors que ce fut jadis une attitude coutumière aux hommes des forêts. Nous nous surprenions à constater cet éloignement que le monde nous impose comme malgré nous. Et nous lisons alors ce beau poème de Pugnaud, Fidèle à cet appel, au cœur duquel il dit : “Le chant d’un oiseau t’occupera et tu feras attention à cette voix dont tu croiras aisément qu’elle s’adresse à toi.”
Pugnaud est un grand poète parce qu’il est un alchimiste averti, assumé.
“Au-delà de chaque geste, au-delà de toute expression de refus, tu t’avances vers cet accueil.”
Disparaître, la poésie de Paul Pugnaud ? Elle commence maintenant à modifier le monde…
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