Paul Verlaine, Cellulairement

Une nouvelle édition de Cellulairement vient de paraître aux éditions Gallimard, dans la collection Poésie. Elle est le fait de Pierre Brunel, professeur émérite à La Sorbonne, critique littéraire ayant dirigé l'Université Paris IV. Ses compétences en littérature comparée, lui qui fonda le Centre de Recherche en Littérature Comparée, et ses connaissances de l'oeuvre de Rimbaud font de Pierre Brunel un homme à l'érudition littéraire immense. Il était donc légitime qu'il se penche sur le manuscrit de cette œuvre particulière de Verlaine, réapparue en 2004, achetée par l'Etat français et conservée au Musée des Lettres et des Manuscrits,  écrite durant son enfermement dans les prisons de Bruxelles et de Mons de juillet 1873 à janvier 1875, après qu'il eut connu ce différend avec Rimbaud, différend qui l'envoya en prison.

 Verlaine, ivre d'alcool, parcourt Londres avec Rimbaud, aux frais de la mère de Verlaine. Verlaine a 29 ans, Rimbaud, 18. Pour cette errance amoureuse entre les deux poètes, Verlaine a dû abandonner sa femme. Mais celle-ci se manifeste toujours dans l'esprit du poète alcoolique, et c'est à Bruxelles désormais qu'il lui demande de venir le rejoindre. Rimbaud menace Verlaine, si la rupture se confirme entre eux, de s'engager dans l'armée. Rimbaud surgit dans la chambre bruxelloise de Verlaine. Ivre mort, Verlaine arme son pistolet et tire deux balles sur Rimbaud. Il le touche à l'articulation de la main gauche. Madame Verlaine mère, logeant dans la chambre voisine, entend les coups de feu et vient calmer les génies éméchés. Elle panse Rimbaud puis conduit tout ce beau monde à l'hôpital. Rimbaud, le soir même, décide de repartir en train pour Paris, mais voilà que sur le chemin, Verlaine refait des siennes. Rimbaud hèle les forces de l'ordre qui passaient par là et voilà Verlaine entre les mains de la police. Il écopera de deux ans de prison. Enfermé, seul, désintoxiqué d'alcool et d'amours, il se lance dans la composition de ce qu'il nommera Cellulairement, c'est à dire l'enfermement dans sa cellule, mais aussi dans la cellule de son cerveau. Dans le même temps, Rimbaud compose ce qui deviendra Une saison en Enfer.
Pierre Brunel, dans une introduction magistrale, situe l'évolution de la composition de ce manuscrit, reproduit en fac-similé dans cette édition. Les poèmes furent, après la sortie de prison de Verlaine, intégrés dans divers recueils ultérieurs, mais pour comprendre l'aventure intérieure et spirituelle de Verlaine, et placer son oeuvre dans l'éclairage le plus juste que révèle désormais ce manuscrit réapparu, il faut tenir compte des conditions dans lesquelles il fut écrit. Etudiant la correspondance de Verlaine, la mettant en rapport avec l'écriture de Cellulairement, Pierre Brunel nous présente un Verlaine ici converti au catholicisme. Maints critiques ont relativisé la conversion de Verlaine, car après sa sortie de prison, il rejoignit Rimbaud sur le champ, et s'abîma dans le stupre et la débauche avec son jeune amant. C'est pourtant faire peu de cas de la réalité qu'affronta Verlaine durant ces années d'enfermement, et de la vision réelle qu'il vécut et qui le conduisit à se convertir illico. Sa vie ultérieure n'enlève rien à la sincérité de son mouvement vers le catholicisme. C'était un homme, un homme torturé, un poète savant et génial, happé par l'alcool, aimanté par les désirs du corps, et le cœur profondément et sincèrement lié aux réalités invisibles.
Cette nouvelle édition remet en perspective l'œuvre entière de Verlaine, éclairée par une lumière comme la douchant depuis les astres, et atténuant le soleil noir qui régnait sur celui qui fut rangé dans la catégorie des poètes maudits qu'il avait, intelligence de la prescience, lui-même inventée. Pierre Brunel étudie avec précision le génie rythmique d’un Verlaine qui brisait les codes attendus de la poésie de l'époque, préférant le vers impair et le travaillant jusqu'à la perfection absolue.

Une édition majeure pour revisiter une œuvre dont on pensait avoir fait le tour. Mais l'œuvre des génies est inépuisable. Sans quoi ils ne seraient pas des génies.

Ce livre a paru en même temps que :

http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/verlaine-emprisonn%C3%A9/alain-gopnic

Lire Pierre Brunel dans Recours au Poème : ici