Traduction de Radu Bata

 

 

aujourd’hui j’ai vu une goutte de pluie
dans laque­lle habitait une forêt

une fille tra­ver­sait cette forêt
elle avait les yeux verts et chantait

entre les collines de ses seins
ser­pen­tait un train bleu

j’étais dans ce train
je regar­dais par la fenêtre sa peau de velours
j’écoutais sa musique

les autres voyageurs ne voyaient
qu’une pluie morose
des ombres erratiques
et un vieil­lard qui fai­sait la manche
sous un ciel de cuivre

 

 

je n’ai plus de montre
ni cœur

main­tenant
plus rien ne me fait mal

le vin rouge
et ce matin de dimanche
ren­ver­sés sur la table

la dernière cigarette

et peut-être l’idée
qu’un jour enfin
je serai assez léger
pour pou­voir tenir
dans un oiseau

 

bien sûr

 

à (tes) 22 ans
tu peux tout faire
selon tes envies

bien sûr
à (mes) 59 ans
je pour­rai mourir à tout instant
selon mes envies
ou non

quant à ton idée
de trou­ver un verbe
dans lequel nous monterions
tous les deux
et voyagerions
ensemble

un verbe
qui sache voler
mais aus­si nager
en mode synchronisé

eh bien
ce verbe-là
a disparu
depuis des lustres
des écrans radars
de ce monde

je crains que le latin
ne soit une langue trop morte
pour ta façon scandaleuse
de nager
dans mon sang

pour ton style précis
topométrique
de marcher
sur des bestioles

le sourire
(comme une rose)
sur les lèvres

 

vous êtes des vam­pires sans passeport
(mais avec des transfusions
dans le compte)

 lais­sez le poète tranch­er le ven­tre de la lumière
lais­sez-le en sor­tir les entrailles des songes
ensuite lais­sez-le rédi­ger les nuits les jours les séparations
les taupes
l’abîme
la vie

comme s’il avait encore à boire à fumer à aimer
comme s’il avait encore des jours sur la planche

et seule­ment après pendez-le
et seule­ment après appelez les chiens affamés
les moloss­es des mau­vais­es herbes

et seule­ment après lavez le sang de vos mains
comme des gens exem­plaires du futur

quand vous aurez mis en lieu sûr le passé
— témoin gênant de vos forfaits

une carte qui cherche tou­jours ses origines

 

 

dali

 

une femme était tombée du ciel 
sur le capot d’une auto­mo­bile jaune

en fait
elle s’était jetée dans le vide de son bon gré
de la ter­rasse d’un immeu­ble voisin
espérant peut-être échap­per à un cauchemar
où à une ombre humide
blot­tie dans son antre

mais elle n’avait pas réus­si son coup
elle respirait
les branch­es molles d’un saule avaient radouci son envol
avaient endor­mi la gravitation
et ses yeux étonnés
se rem­plis­saient à nou­veau d’air

et le capot jaune de l’automobile gondolé
lui venait main­tenant comme une jupe

quelques curieux par­tis travailler
avec les pre­miers rayons du soleil
regar­daient la scène comme un jour de chance
comme une œuvre d’art pour l’art

j’imagine que je l’aurais ain­si comprise
à tra­vers mon regard turquoise
tra­ver­sé par des pois­sons électriques
si je n’avais pas habité pen­dant l’enfance
un grat­te-ciel dont les sui­cidaires avaient fait leur porte-parole

je ne les avais pas vus tous évoluer
mais je ne peux oubli­er la pelle rouillée
avec laque­lle le concierge ramas­sait les cervelles répandues
sur le bitume

sous un ciel d’un bleu féminin
plein de promesses

 

le passé postérieur

 

honte à ces années qui ont passé
si près de nous
comme des débiteurs
sans même nous saluer

je vais faire des enfants blonds
à ta tristesse
et de tes yeux plus verts que le si d’un violoncelle
un bandeau
sur lequel nous allons glisser
pour nous évader
de ce temps
qui oublie de nous border
et s’étouffe
avec sa boussole

 

je vais aban­don­ner la poésie
et je vais me met­tre à toi

 

je ne saurais dire pourquoi
au lieu de me promen­er dans la ville
je préfére ram­per en toi
comme un taulard endurci
dans les galeries étroites
cher­chant la lumière
se dilatant

en te chu­chotant dans l’oreille des mots illisibles
comme des ani­maux domestiques
qui s’unissent en une seule interjection
pour s’affranchir
en te par­courant deux-trois-sept nuits de suite
dans le sens du globe terrestre
qui s’arrête seule­ment pour trou­ver son souffle
dans une gare des balkans
en me brûlant de temps en temps avec la cigarette
pour ne pas m’endormir
pour illus­tr­er un couch­er de soleil en sang
dans l’orient

mon amour
je ne veux pas manquer
le moin­dre micron de ta peau
même pas un mil­lième de gémissement
ni le bleu déshy­draté de tes prières inachevées
chargées de plombs et de poumons
entre tes jambes qui frémis­sent comme les rives d’un fleuve
vers lequel se diri­gent toutes les légions de mes cellules
engagées dans une longue bataille
dont le dra­peau blanc est ton cri somnambulique
qui fait sor­tir la pop­u­la­tion dans la rue
comme un trem­ble­ment de terre

mon amour
je pense à ton nid chaud
comme à l’hibernation définitive
comme à une vie ultérieure
je pense au relief ardu de tes orgasmes
d’où jail­lis­sent des poissons
des oiseaux
des précipices
le ciel

dans ton abandon
je me fau­file comme un scaphan­dri­er aguerri
comme un cos­mo­naute resté sans oxygène
comme un con­damné à mort
dont le dernier désir est blot­ti dans ton corps
ce corps qui me donne cette faim sans fin
des carpates à l’adriatique
même après l’ultime glisse­ment contorsionné
dans ta chair
même après l’explosion

oubliant les feux de détresse
qui nous traquent
de yal­ta à srebenica
insen­si­ble au silence
qui nous cou­vre de son man­teau sourd
figé
absurde
infini
qui suit nos ébats

mais tou­jours atten­tif au tic-tac
qui bat en toi
comme une bombe à retardement
qui n’attend que moi

je veux occu­per surpe­u­pler infuser ton corps
pren­dre sa forme
et devenir vide
avec toi

qu’il ne reste rien de nous
RIEN
sauf le souvenir
de l’air

 

 

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