Le Petr Král présenté par Pascal Commère aux éditions Vanneaux comprend en première partie une présentation approfondie de l’œuvre de ce poète tchèque qui gagne à être davantage connu en France et, en seconde partie, un choix varié de textes classés dans l’ordre où ils furent écrits de 1984 à 2012.
Dans une langue étonnamment libérée et fluide, Petr Král capte les multiples nuances des sensations visuelles et auditives qui l’assaillent jusqu’à ce que ” les eaux du soir s’éteignent ” et au milieu des gestes les plus quotidiens. Le regard du narrateur et celui du lecteur pris au jeu de cette poétique s’élargissent de la famille à la ville et au cosmos avec l’emploi d’un ” je ” – ” Je sais bien ” — qui interpelle l’autre : ” Oui, rappelle-toi ” ou ” quand tu erres tâtonnant dans le décor ” et encore dans un texte récent : ” tu envies tout le monde / content de n’appartenir qu’à ton nu distrait. ”
Une grande variété caractérise l’ensemble de ces poèmes. Variété tant dans l’alternance récit — description que dans la présence d’êtres qui font le quotidien par leur métier ou leur place dans la famille. Variété aussi dans les personnes de conjugaison qui finit par se résumer au ” nous ” émouvant – ” Nous fêtons. ” – qui implique en les rendant complices le poète lui-même et son lecteur. Ce dernier avance aisément, en compagnie du promeneur- narrateur, dans le texte et le monde mis en scène.
La connaissance du cinéma et plus précisément celle du travelling influence Král jusque dans son écriture, favorisant et accompagnant sa déambulation. Cette marche apparaît comme une véritable quête loin d’un ” no man’s land ” angoissant et il est nécessaire à cet homme de chercher sa place du centre jusqu’au bord tout en continuant à être heureux d’appartenir au ” nous ” : ” Nous avons ri ensemble / de loin “. Dans un entretien pour une revue Král s’exprime en toute clarté sur ce sujet : ” Si on savait ce qu’on cherche, on ne chercherait peut-être plus, on irait droit au but…Dans une promenade on cherche à marcher. Avec sans doute l’espoir de tomber sur quelque chose, sans doute une illumination, qui peut être une lumière ou alors un être, une rencontre, un évènement “. Ainsi l’homme de Král est-il capable de ” s’approcher ” de lui-même et, dans son étonnement, par son expérience, de s’ouvrir au monde pour ” ajouter ( ses pas ) à l’ Histoire “. Il s’agit, dit-il, d’avancer ” en derniers héros “.
Ce voyage qui le définit, il le préfère à sa destination elle-même car il est davantage attaché aux intermédiaires comme il est épris du crépuscule, du clair-obscur, comme il aime le gris — récurrent dans toute l’œuvre — ce ” gris froissé / des aubes / tapis dans les muscles du baroque “, ce gris aussi des quais de gare et de la pluie menaçante jusque dans les œuvres tardives. C’est entre départ et retour que le poète se sent le mieux car si l’horizon est ouvert, il est aussi limité. Dans un poème de Le droit au gris intitulé ” Du gris nous naissons ” on avance instant après instant de l’obscurité vers la lumière, du bruit au ” silence des mots “. On voit alors que Král n’est pas à un oxymore près : ” A nouveau le vide devient éclat “.
Mais si, dans ” l’accalmie d’après-guerre ” le poète peut exalter tous les sens de son lecteur par l’évocation d’odeurs, de couleurs et de matières variées, le ” cri de plaisir ” n’arrive pourtant pas à se distinguer du ” cri d’horreur ” et la description n’hésite pas à se faire audacieuse et réaliste pour témoigner de la grossièreté d’un monde où les femmes ont ” le marteau-piqueur entre les cuisses “. Un monde de solitude et de précarité de ce qui devrait être solide : ” Même l’ange de pierre à ta place / est flottant s’enflamme sans bruit / dans le vent “, un monde qui fait ” trembler ” le narrateur lui-même.
Si les poètes sont seuls, ils sont aussi exilés et n’ont pas de maison et, malgré la présence d’objets hétéroclites au service de la surprise, le mot ” désert ” est fréquemment employé. Heureusement celui qui parle ici est entouré de femmes au ” visage frais ” ou ” mûries “, d’amies qui lui rendent visite. Mais il faut attendre les derniers écrits pour avoir une adresse précise à une compagne possible: ” je vais encore ce soir te rencontrer une première fois ” et enfin un corps dont les ” tranchées ” sont évoqués.
Cet homme qui n’ignore pas la nature, l’existence de la mer et celle de la vallée, est surtout un homme de villes qui fréquente, dans sa marche, commerçants et passants. Jusqu’au recueil final, ” Accueillir le lundi “, sont présentes les villes avec leurs files de voitures, toutes reliées par ” un même joggeur sans nom ” dont ” l’errance ( est ) à perte de vue ” et dont le marathon scande symboliquement le mouvement incessant.
Et dans les textes les plus récents, si le signifié compte encore, il est plus encore au service de l’originalité, voire d’une forme de surréalisme propre à mettre en cause la réalité, comme un feu d’artifice ultime ” pour allumer brièvement parmi les tôles de la décharge / une capitale de la conscience ” en réponse au bruit que font soldats et slogans et à ” la solitude du drapeau “.
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