L’idée d’une pierre masque le mur.
La dynamiter ?
Ph. Denis
Entre le mur négligé qui reste là et les pierres d’attente vers l’en-avant, un pont d’air imperceptible, des mots qui en rêve bourdonnent et se dérobent pour revenir encore, « beaux et indifférents », se laisser entrevoir à peine, proposer leur « régal de vide ». Voici un poète de peu de mots essentiels – leur méditation contenue. À l’inverse de tant d’écrivains bavards,
C’est ce qu’on n’a pas écrit qui fait de nous un auteur estimable (p.19).
Philippe Denis, pierres d’attente, Condeixa-a-Nova, La Ligne d’ombre, 2018(58 p.)
Non désabusé pourtant, ce nouveau recueil paraît s’être lentement imposé, bâti parfois, entre silence et regret (ou, en termes picturaux, repentir), comme au marcheur qu’est Philippe Denis, son « ombre qui aspire à filer en douce dans la direction opposée ». Ou bien à la façon de bribes de pur langage affleurant au réveil, quand il faut bien « chausser une langue » et, comme disait l’autre, « tenter de vivre »… Quelqu’un, ici qui dit Je, avoue très simplement :
– j’ai chaussé la française, à seule fin d’atténuer le bruit de mon pas (p.44) ; et ce dans une section, in nuce, à titre de sommaire, largement hantée par le rapport à d’autres poètes, l’aimée Emily Dickinson en l’occurrence. Frost ailleurs, ou Verlaine…
Nous retrouvons donc la brevitas, l’extrême discrétion du précédent si cela peut s’appeler quelque chose(chez le même impeccable éditeur,2014), mais avec une tendance plus marquée à la méditation – je ne dirais pas philosophique, nous sommes en poésie – et surtout avec un rapport différent au monde des références, même s’il est fait bien sûr du truchement des mots, réduit à ses propres ombres portées, des fantômes de mots justement : des traces à peine, dont un « je » voudrait enfin « éliminer l’odeur d’encre qui les enveloppe » (p.15) ; ou encore trouver la nudité essentielle, jusqu’à l’os (nuce, c’est aussi l’amande), la chose peut-être (ou en ancien français la rien), hors de toute page écrite :
Lourd de l’encre
qui me le prête – un mot. (p.50).
Il y a dans ces quelques feuillets épars la recherche d’un équilibre sans doute impossible, une perpétuelle « balance » qui laisse – en faveur du monde me semble-t-il – une belle « fringale intacte », loin des idéaux mallarméens. Qu’il suffise de lire, non comme consolation mais signal d’énergie :
Le poids du monde, le poids du livre.
On cajole les balances,
sympathise
avec ce qui existe
et fait miroiter l’équilibre
qui se dérobe
pour ne pas avoir à cautionner
– vaille que vaille –
nos simagrées. (p.52).
La même enérgeia qui animait le jeune Leopardi, Il giovane favoloso, celui des Chansonsde1824(éd. bilingue Le Lavoir Saint Martin,2014), qui fait qu’en refermant les livres, poursuivis malgré tout, et sans regret,
on sourit
comme savent à peu près sourire
les morts.
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