J’ai une sympathie pour les poètes belges : Roger Bodart, Jean-Claude Pirotte, William Cliff, Philippe Leuckx, Guy Goffette… J’y ajouterai désormais Philippe Lekeuche.
Dans le Préambule à son livre, l’auteur écrit : « Depuis 1966, je suis dans cette pratique étrange : faire de la poésie. Je n’écris jamais « écrire » mais « faire », comme on ferait corps ou comme un berger ferait paître son troupeau. » On aura compris l’exigence. Et plus loin : « cette pratique de la poésie exige des renoncements, et même le sacrifice – je le souligne -, la question restant ouverte : le sacrifice de quoi ? On ne le sait pas, on l’apprend avec les années, dans l’endurance. Je veux dire qu’on le vit, c’est une épreuve. » D’où le titre du livre : L’épreuve.
Poésie élégiaque et transcendantale. Élégiaque, elle l’est dans ses évocations de l’amour, de la mort, de la perte…
Sans remède est notre vie
Et si le ciel se terre en nous
Nous attend la tombeNi la Poésie, ni l’autre
ne guérissent de soi
Même l’errance est impossible
Philippe Lekeuche, L’épreuve, éditions L’herbe qui tremble, 2022, 85 pages, 14 €.
On songe à Rilke : Mais les Errants, dis-moi, qui sont-ils, ces voyageurs / fugaces un peu plus que nous-mêmes encore, hâtés, pressés, / précipités très tôt — pour qui, mais par amour pour qui / - poignés / par une volonté satisfaite jamais ? (in La cinquième élégie de Duino)
On notera, chez Lekeuche, la majuscule systématique à Poésie, ainsi qu’à Beauté, etc. comme autant d’Idées, au sens platonicien, c’est à dire réalités supérieures au monde sensible, C’est là ce qui nous amène à la dimension transcendantale : Ich rufe zu dir, tu n’entends pas (on verra bien sûr la référence au choral Ich rufe zu dir, Herr Jesu Christ que l’on retrouve dans une cantate de Bach), Ich rufe zu dir (je t’appelle, tu n’entends pas), page 58. Et encore, page 36 : O crux salve, spes unica (Salut ô Croix, unique espérance). Mais ce n’est pas que seul rapport à une foi chrétienne, plus largement à un indicible :
Hélas, les poèmes venaient toujours
Je ne les voulais pas, les repoussaisÉtait-ce que la Grâce
Fût plus douloureuse ?Car l’homme orgueilleux
Croit parlerQuand le petit chien
Privé de langageEn dit plus
Ou encore :
Oh, la luciole maintenant au Ciel
Presque près de moi !Oh, tu es ma vie, Poème, sois
L’enfant des ténèbres !Oh, quelle douleur si belle
Enfante la joie !Oh, quel salut, survivre en toi
Poésie, pas faite de mots !
Car, pour Lekeuche, la Poésie, celle-là qui mérite majuscule, n’est pas faite de mots, produite par des mots, plutôt une entité absolue que révéleront (et trahiront) les mots qu’elle (je suis tenté d’écrire Elle) a suscités. Quant à celui qui tente au plus haut point d’en approcher le mystère, il ne peut que dire son impuissance et son ignorance :
Je
Ne me prends pas pour
Moi-même
Ni pour toi
Ou pour l’Autre
Ni pour Je
Si
Étranger
Clin d’œil à Rimbaud, sans doute, Poésie du funeste, certes : Ce gouffre avale tout, adieu lyrisme ! / Me voilà éparpillé parmi les tessons / Vase irréparable de ma vie mais avec cette lueur dans le dernier poème du livre :
Je vivais dans la catastrophe, assis
sur le séjour des choses mortes
Et dans la brume, amour, toi seul
semais des étoilesJe les ramasse parmi mes décombres
Alors refleurissent mes ruines
Ceux qui s’aiment sauvent
leur propre désastre
Présentation de l’auteur
- Les Carnets du Dessert de Lune : Lune de Poche ! - 6 novembre 2024
- Autour des éditions Aux cailloux des Chemins : Matthieu Lorin, Dominique Boudou et Thierry Roquet. - 6 septembre 2024
- Jean-Louis Rambour aux éditions L’herbe qui tremble - 6 mai 2024
- Béatrice Libert, Comme un livre ouvert à la croisée des doutes - 6 avril 2024
- Claude Favre, Thermos fêlé - 1 mars 2024
- Richard Rognet, Dans un nid de flammes - 6 février 2024
- Autour des éditions L’Herbe qui Tremble : Philippe Mathy, Derrière les maisons, Judith Chavanne, De mémoire et de vent - 6 janvier 2024
- Kaled Ezzedine, Loin - 21 décembre 2023
- Les Cahiers du Loup bleu - 29 octobre 2023
- Philippe Leuckx, Matière des soirs - 20 mai 2023
- Benjamin Torterat, L’Etendue passionnelle - 29 avril 2023
- Loïc Demey, Jour Huitième - 21 avril 2023
- Emmanuel Echivard, Pas de temps - 6 avril 2023
- Gustavo Adolfo Bécquer, Rimes - 20 mars 2023
- Ángelos Sikelianós, Le Visionnaire - 6 mars 2023
- Un Sicilien très français : Andrea Genovese - 21 février 2023
- Jacques Vandenschrick, Tant suivre les fuyards - 24 janvier 2023
- Matthieu Lorin, Souvenirs et grillages suivi de Proses géométriques et Arabesques arithmétiques - 21 décembre 2022
- Marilyne Bertoncini et Florence Daudé, Aub’ombre, Alb’ombra - 4 décembre 2022
- Philippe Lekeuche, L’épreuve - 21 novembre 2022
- Une flânerie à travers la poésie contemporaine mexicaine - 6 juillet 2019
- Eric DUVOISIN, Ordre de marche - 31 mai 2017
- Gérard CHALIAND, Feu nomade - 24 avril 2017