Un seul poème traverse ces 60 pages de blanc, un cri d’amour et de déception, une culpabilité parfois et un déchirement. C’est une séparation douloureuse à la recherche d’une rectification. Poème à l’impossible : quel impossible : la poésie, la croyance religieuse, la vie, l’amour. Est-ce aussi un choix impossible dans la brièveté, l’inanité, l’indifférence et la précarité des choses, de la vie et du monde ?
Ce poème s’accroche, s’imprime à petits et grands coups. Il nous pénètre le corps puis ressort nous livrant doutes et certitudes, oscillant entre Dieu et le non Dieu, obnubilé par un amour et toute une promesse comme un coup d’arrêt, une prise en main : Il fallut donc écrire. Cependant, il n’y a pas de concession à quoi que ce soit mais une sincérité et une confiance au lecteur, une mise en abîme de soi, un dévoilement proche de la confidence, avec de temps en temps une pointe d’humour qui empêche le repli sur soi. Tout est présent et rien n’a lieu : jeu sans joueur, où finir devient synonyme de commencer. Tout s’éclaire et livre sa jouissance, bien que nous restions ancrés sur la vanité du monde et ses illusions. Nous passons de la séparation à la réparation dans un monde présent, saisissable et insaisissable à la fois. La raison dans ce développement ontologique, paradoxe, n’apporte pas de réponse et pourtant le recueil se clôt sur une forme d’espérance un lumineux soir. Ce long poème témoigne de contradictions, de l’impossible oubli, d’une perte d’équilibre parfois qu’une pensée tente de s’accommoder, voire d’en réduire la douleur par une clairvoyance et une affirmation sincère de soi, à la recherche de son propre dépassement affectif.
Philippe Lekeuche, Poème à l’impossible, Peintures de Jean Dalemans , Editions Le Taillis Pré 20 euros.
Tout nous entraîne vers un humanisme qui n’est pas celui de la défaite mais d’un regard porté sur l’horizon à la recherche au moins d’un soulagement. Matière même de la vie mentale, mise en exergue qui s’inscrit dans le monde au quotidien dont la plus grande part, sinon la seule, est la quête de l’amour dans la multiplicité de ses sens et de ses agissements. Le poète a délégué sa pensée au poème : Ce n’est pas moi qui pensait, c’était lui. Une forme d’amortissement du choc, d’une mise à distance pour une meilleure compréhension. Le poème serait une visitation, un heureux événement, une grâce comme celle accordée aux chrétiens, une voix venue d’ailleurs, une récompense, un acte qui sauve. C’est un appel à la divinité et à l’autre qui mêle espoir et désastre qui provoquent parfois une petite mort. Le poème est un concentré de vie qui s’ouvre sous la pression d’un souffle venu de l’extérieur. Il nous émeut et nous tient à distance à la fois, moitié acceptation, moitié révolte. Mouvement d’oscillation, un détachement qui attache, une parole lente à se libérer, certaine d’elle-même. On a l’impression que parfois, le poète et le poème ne coïncident pas, le poème étant l’autre, le confident, celui que le poète ne pourra jamais être. Feu qui brûle dans la sécheresse de la vie, comme d’une salle vide que l’on voudrait remplir de présences et de présent. Et cependant nous ne sommes pas dans le rêve, mais dans l’espace terre à terre, traversant l’allée au crépuscule vers notre maison, suggère Philippe Lekeuche. N’est-ce pas les mots qui ont la part la plus belle dans ce recueil, eux qui s’élèvent au-dessus de l’événement pour le transcender. Il s’agit, en fait, d’un journal d’ordre mental qui déborde et converge vers : ton apparition bénie.
En tant que lecteur quelque chose échappe, il y a de l’insaisissable, quelque chose de sacré qui monte des paroles et qu’on ne peut matérialiser par les mots. Je me demande si plutôt que d’écrire cette recension, le silence n’aurait pas été préférable par respect, par complicité.
C’est une écriture sobre, déliée des plaintes du lyrisme, des accouplements de mots pompeux qui ne crient plus qu’eux-mêmes. C’est une énergie de vie que des paroles simples et directes traduisent. Nous sommes en limite du langage parlé qui n’a rien à cacher mais se dévoile dans la pureté de sa nudité. Philippe Lekeuche a osé être lui-même jusqu’au plus profond des mots. Il a jeté le masque d’une poésie à sens multiples, incompréhensible avec des lourdeurs parfois d’une expression par laquelle on se croit important parce qu’on a fait joli et intelligent. Rien de tout cela, du direct, face à face…du vrai.
Sobriété aussi des peintures de Jean Dalemans, très suggestives, très épurées à peine posées sur la page dans leurs habits noir et blanc, leur transparence et leur symbolisme. Ces peintures accompagnent les poèmes par une belle connivence, d’une présence forte et discrète.
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