Philippe Leuckx, Prendre mot

Quelque chose se finit. Le soir est là. C’est le moment de Philippe Leuckx. Celui qui rythme musicalement nombre des poèmes de ce recueil.

Un cœur endeuillé déplore « l’absence », qui a partie liée avec la « solitude » - le mot revient en litanie, à plusieurs reprises, pointant la basse continue de cette élégie de la vie esseulée. Avec ses jeux d’ombre et de lumière, au moins autant symboliques que réels :

La lumière remue le cœur.

Philippe Leuckx, Prendre mot, éditions Dancot-Pinchart, 41 pages, 2021.

Dans le recueil, le chant monte du deuil et du chagrin. La perte de l’être aimé est implicitement suggérée dans la visite au cimetière, comme en sourdine. Pas de pathos, pas de grande pose. Une lyrique douce se diffuse dans un paysage plus rêvé qu’authentique. La rue d’une ville aux « espaces vides », des terrasses, un décor de caténaires. Le paysage y semble menacé de dissolution. Il s’atténue en évanescences suscitées par de micro-événements météorologiques, brume, givre, neige, pluie qui le déréalisent et se transposent en variations affectives.

Les poèmes, petites proses ou vers, saisissent et laissent leur trace dans le lecteur en images essentielles. La première, le « balcon sur ma vie » ou cette autre : « Un voile. Une dentelle d’âme ». Autant de formulations du « peu », du « presque rien » qui manifestent cette attention du poète aux choses les plus banales, les plus petites de l’ordre de la brindille, « Si le peu pouvait délivrer quelque voie ». Elles suscitent une écriture du tressaillement :

C’est une petite musique qui vacille et tremble.
C’est la chambre de l’autre où n’entre que le silence. 

 

La mémoire est convoquée avec ses fondus et ses aplats. Celle de l’enfance, cette matrice si importante dans l’œuvre de ce poète. Celle du temps d’avant, tels ces vers :

 

Si j’interroge le vent sur l’amour
le sang brille et la réponse
me poisse le cœur.

 

C’est à cette écriture si subtilement suggestive que se reconnaît la voix de Philippe Leuckx. Une musique et une pluie qui font par moments un clin d’œil à la Verlaine : « il pleut au cœur ». L’expression se fait minimale, dépouillée, à l’image d’une certaine paix ; ainsi le présent du monde est-il donné à nouveau dans le regard sur de petites choses sans importance, sur les oiseaux, sur les arbres.

Avec un art de la mesure le recueil déploie son cheminement qui va de la vie empêchée exprimée dans « cette ferveur refusée/un parfum interdit » à un peu de la substance regagnée des choses. De l’ombre vespérale à une certaine lumière retrouvée, grâce aux mots du langage poétique traçant « leur gerbe fulgurante ». Et passe du Je du début du poème enfermé sur sa peine au On/Nous des derniers textes. « Prendre mot », l’injonction nue, impersonnelle du titre à l’infinitif, répétée deux fois dans le recueil semble pointer une direction du côté du langage qu’il importe de suivre sans tarder. Comme si là était ce qui sauve.

Car la traversée des mots du poème semble avoir eu ce pouvoir de transmuer ce qui s’éprouve de douloureux en élan de sortie de soi :

 

Quelqu’un se ramasse en un plan de son paletot. Il pourrait s’agir de toi, de lui, de toute figure en détresse.

 

Dans l’évocation de ce geste minuscule, remonter son col de veste, se lit le passage d’une expérience subjective de la perte à notre dimension pleinement humaine qui exhausse la solitude. Voici un recueil qui résonne superbement au plus profond de nous.

                                                                                                        

Présentation de l’auteur

Philippe Leuckx

Philippe Leuckx est écrivain et critique. Après des études de lettres et de philosophie, il consacre son mémoire de licence à Marcel Proust avant d'enseigner au Collège Saint-Vincent à Soignies.

Poète, critique, il collabore à de nombreuses revues littéraires francophones (Belgique, France, Suisse, Luxembourg) et italiennes.

Bibliographie

Poésie

a) livres, plaquettes

  • Une ombreuse solitude, 1994, L'arbre à paroles.
  • Poèmes d'entre-nuits, 1995, Le Milieu du jour (F).
  • Comme une épaule d'ombres, 1996, L'arbre à paroles.
  • Le fraudeur de poèmes, 1996, Tétras Lyre.
  • Et déjà mon regard remue la cendre, 1996, Clapàs. Préface de Philippe Mathy(F).
  • Une sangle froide au cœur, 1997, L'arbre à paroles.
  • Une espèce de tourment ?, 1998, L'arbre à paroles.
  • Nous aurons, 1998, Clapàs. Préface de Marcel Hennart (F).
  • Puisque Lisbonne s'écrit en mots de sang, 1998, Encres Vives (F).
  • Un obscur remuement, 1999, La Bartavelle (F).
  • Un bref séjour à Nad Privozem, 2000, Encres Vives (F).
  • La main compte ses larmes, 2000, Clapàs. Préface de Frédéric Kiesel (F).
  • Le fleuve et le chagrin, 2000, Tétras Lyre.
  • Poèmes de la quiétude et du désœuvrement, 2000, L'arbre à paroles.
  • La ville enfouie, 2001, Encres Vives (F).
  • Celui qui souffre, 2001, Clapàs. Préface de Georges Cathalo (F).
  • Poèmes pour, 2001, La Porte (F).
  • Touché cœur, 2002, L'arbre à paroles.
  • Sans l'armure des larmes, 2003, Tétras Lyre.
  • Faubourg d'herbes flottantes, 2003, La Porte (F).
  • Te voilà revenu, 2004, Les Pierres. Préface de Pierre Dailly.
  • Rome cœur continu, 2004, La Porte (F).
  • Errances dans un Bruxelles étrange, 2004, Encres Vives (F).
  • La rue pavée, 2006, Le Coudrier. Présentation de Jean-Michel Aubevert.
  • En écoutant Paolo Schettini, 2006, Encres Vives (F).
  • Résonances (en collaboration), 2006, Memor.
  • Photomancies (en collaboration), 2006, Le Coudrier.
  • L'aile du matin, 2007, La Porte (F).
  • Un dé de fatigue, 2007, Tétras Lyre.
  • Étymologie du cœur, 2008, Encres Vives (F).
  • Rome rumeurs nomades, 2008, Le Coudrier. Postface de Walter Geerts.
  • Résistances aux guerres (en collaboration), 2008, CGAL.
  • Périphéries, 2008, Encres Vives (F).
  • Terre commune (en collaboration), 2009, L'arbre à paroles.
  • Le cœur se hausse jusqu'au fruit, suivi de Intérieurs, 2010, Les Déjeuners sur l'herbe.
  • Le beau livre des visages, 2010, Bookleg no 67, Maelström.
  • Selon le fleuve et la lumière, 2010, Le Coudrier.
  • Passages,(en collaboration), 2010, L'arbre à paroles.
  • Piqués des vers, 2010, Espace Nord no 300.
  • Rome à la place de ton nom, 2011, Bleu d'encre.
  • De l'autre côté, (en collaboration), 2011, L'arbre à paroles.
  • Dans la maison wien, 2011, Encre Vives (F).
  • D'enfances, 2012, Le Coudrier.
  • Métissage, (en collaboration), 2012, L'arbre à paroles.
  • Un piéton à Barcelone, 2012, Encres Vives (F).
  • Au plus près, 2012, Ed. du Cygne (F).
  • Déambulations romaines,(en collaboration), 2012, Ed. Didier Devillez.
  • Quelques mains de poèmes, 2012, L'arbre à paroles.
  • Dix fragments de terre commune, 2013, La Porte (F).
  • Momento nudo, (en collaboration), 2013, L'arbre à paroles.
  • D'où le poème surgit, 2014, La Porte (F).
  • Lumière nomade, 2014, Ed. M.E.O.
  • Carnets de Ranggen , 2015, Le Coudrier.
  • L'imparfait nous mène, 2015, Bleu d'encre.
  • Etranger, ose contempler, 2015, Encres Vives, coll. Lieu (F).
  • Les ruelles montent vers la nuit, 2016, Ed. Henry, coll. La main aux poètes (F).
  • D'obscures rumeurs, 2017, Ed. Petra, coll. Pierres écrites/ L'oiseau des runes (F).
  • Ce long sillage du coeur, 2018, Ed. la tête à l'envers (F).
  • Une chèvre ligure à Ischia, 2018, Encres Vives, coll. Lieu (F).
  • Maisons habitées, 2018, Bleu d'encre.
  • Le mendiant sans tain, 2019, Le Coudrier.
  • Doigts tachés d'ombre, 2020, Editions du Cygne (F).
  • Poèmes du chagrin, 2020, Le Coudrier.
  • Solitude d'une sente, 2020, Les Chants de Jane n°24.
  • Nuit close , 2021, Bleu d'encre.
  • Prendre mot, 2021, Dancot-Pinchart
  • Rien n'est perdu Tout est perdu, 2021, Les Lieux Dits (F).
  • Le rouge-gorge, 2021, Ed. Henry, coll. La main aux poètes (F).
  • Frères de mots, 2022, Le Coudrier, en collaboration avec Philippe Colmant.

b) en revues

  • Paume tournée vers le temps, janvier 1995, Arpa n°56 (F).
  • Heure de fronde lente, 1997, Estuaires n°31 (L).
  • Heure de fronde lente, printemps 1998, Ecriture n°51 (S).
  • Heure de fronde lente, été 1998, Courant d'ombres n°5 (F).
  • Le ramasseur d'ombres, 1998, Multiples n°55 (F).
  • Quelques grelots de fête, février 1999, Sources n°22.
  • Une paix trop friable, 2001, Pollen d'azur n°13.
  • Dans l'ampleur heureuse, 2002, Pollen d'azur n°17.
  • Une ombreuse solitude, frammenti, nov-déc. 2002, Issimo n°34 (Palermo), traduction en italien par Bruno Rombi.
  • Nos demeures et nos mains, 2003, Pollen d'azur n°21.
  • Poèmes, été 2004, Le Fram n°11.
  • Les 16 élégies de ruine, 2004, Multiples n°64 (F).
  • La ville enfouie, frammenti, mars-avril 2005, Issimo no 42, traduction en italien par Bruno Rombi.
  • Elégie du nomade, 2006, Bleu d'encre n°16.
  • Heure proche, 2007, Bleu d'encre n°17.
  • Rome nuit close, automne 2007, Traversées no 48.
  • Un cœur nomade, extraits, septembre 2009, Autre Sud no 46.
  • Piéton de Rome, frammenti, octobre 2010, Issimo no 67, traduction en italien par Bruno Rombi.

Critique

  • Jacques Vandenschrick,1998, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Mimy Kinet, 2000, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Michel Lambiotte, 2001, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Claude Donnay, 2002, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Sallenave : une mémorialiste des vies ordinaires, décembre 2002, Francophonie Vivante n°4.
  • André Romus, 2003, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Paul Roland, 2003, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Retour à Léautaud?, extraits de Journal de dilection, mars 2004, Francophonie Vivante n°3.
  • Anne Bonhomme, 2004, Service du Livre Luxembourgeois.
  • Frédéric Kiesel : La recherche du mot juste, juillet 2004, La Revue Générale n°6-7.
  • Ecrire est égal au sang qui manque in Dominique Grandmont, septembre 2005, Autre Sud n°30 (F).
  • Echelle I de Dominique Grandmont, mars 2006, Francophonie Vivante n°1.
  • Relire Curvers : Tempo di Roma, juin 2006, Francophonie Vivante n°2.
  • Philippe Besson chez nous, septembre 2007, Francophonie Vivante n°3.
  • Hubert Mingarelli ou le traité de tendresse, mars 2008, Francophonie Vivante n°1.
  • Bertrand Visage et l'atmosphère du Sud, mars-avril 2008, Reflets Wallonie-Bruxelles.
  • Rose-Marie François et ses Carnets de voyage, septembre 2008, Francophonie Vivante n°3.
  • Annie Ernaux. Les Années", octobre 2008, La Revue générale n°10.
  • Petit abécédaire. De Belamri à Zrika : huit auteurs entre langue et filiation. Assia Djebar, Tahar Ben Jelloun, Mohamed Choukri, Abdellah Taia, Wassyla Tamzali, Rabah Belamri, Rachid Mimouni, Abdallah Zrika, décembre 2011, Francophonie Vivante n°4.
  • Pavese ou le métier de lire le monde-poème, février 2018, Rumeurs n°4.
  • Le cœur même des victimes, étude sur Simenon, Cahiers Simenon n°31, février 2019, pp.50-56.
  • Les entrelus de Philippe Leuckx, Aux hautes marges, Le Coudrier, 2021.

Narration

  • Célina D, 1er trimestre 2004, Le Spantole no 335.
  • Proses romaines, 2005, Pollen d'azur n°25.
  • Variations oulipiennes sur les trois glorieuses, 2007, Français 2000.
  • Rendez-vous en Sardaigne, hiver 2007, Bleu d'encre n°18.
  • Difficile de quitter Rome, 2e trimestre 2008, Le Spantole n°352.

Prix et bourses

  •  Bourse d'écriture 1994 de la Communauté française
  • Prix Pyramide 2000 de la Province de Liège
  • Bourse de résidence d'écrivain à l'Academia Belgica de Rome en 2003, 2005, 2007
  • Prix Emma-Martin 2011 de poésie pour Selon le fleuve et la lumière, décerné par l'Association des écrivains belges de langue française.
  • Prix Gros Sel 2012 - Prix du jury pour Au plus près.
  • Prix Robert Goffin 2014 pour Lumière nomade (Ed. M.E.O).
  • Prix Maurice et Gisèle Gauchez-Philippot 2015 pour Lumière nomade (Ed. M.E.O).
  • Prix Charles Plisnier 2018 pour L'imparfait nous mène (Ed. Bleu d'encre).

Autres lectures

Philippe Leuckx, Lumière nomade

« Rome, me disait un ami érudit, est un grand estomac qui peut tout digérer, parce que son suc profond est baroque. » Philippe Leuckx aussi, à sa manière, est un érudit. Lecteur prolifique, cinéphile, [...]

Philippe Leuckx, Prendre mot

Quelque chose se finit. Le soir est là. C’est le moment de Philippe Leuckx. Celui qui rythme musicalement nombre des poèmes de ce recueil. Un cœur endeuillé déplore « l’absence », [...]

Philippe Leuckx, Matière des soirs

 Lorsque j'eus refermé ce livre après ma première lecture, ma pensée fut tout entière condensée par cette impression : c'est le livre du chagrin. Elle fut certes influencée par le mot, employé maintes fois [...]