Philippe Tancelin : 4 poèmes

2018-02-12T15:16:28+01:00

 

urgence urgence   notre lucid­ité se perd aux pieds des ruines
dans l’abîme berceau de ser­ments imaginaires
on n’en­tend plus que les hordes d’im­ages et de bruits assail­lir notre intel­li­gence amoureuse
la met­tre au pas du réalisme

urgence urgence nos faces d’hommes
nous n’en­ten­dons plus l’ul­time qui précède chaque événe­ment chaque instant d’allégresse
le sim­u­lacre agit sans relâche   tuant la chair du voir

urgence urgence nos faces d’homme
il ne nous reste plus que cette dis­cor­dance des mots avec notre pensée
pour agir juste­ment c’est à dire follement

urgence urgence nos faces faces faces dhomme
nous voulons  un monde au ciel prévoyant
au jour atten­tif à toute chose
avec un souf­fle de pureté au vent d’appel
nous cher­chons dans l’ob­scure forêt qui embrase l’idée d’homme
une pen­sée subtile
dévo­rant la nuit d’in­vin­ci­bles questions
Nous percevons les couleurs à la seule présence de l’autre
nous enten­dons le courage des mots engagés dans l’ascèse
et tenons la vie nouée au corps qui par­le l’insoumission
con­tre la médiocrité
nous pour­suiv­ons des­tin soli­taire d’une parole active
urgence nous sommes l’herbe haute de l’en­fance des siècles
l’herbe folle entre les pavés, dans les inter­stices des dieux et de l’homme

urgence urgence  nos faces d’homme d’homme
notre scène est cette lib­erté accourant sous le soleil de mille his­toires de la rencontre
entre l’homme et sa face   face  face d’homme
Aujour­d’hui plus que jamais nous ne nous men­tons pas
nous avons l’âme rebelle sans traces dans les livres
sans chiffre dans la com­péti­tion absurde de l’ex­is­tence et de l’être
nous sommes les heureux orphe­lins de fron­tières incultes et sauvages
nous sommes une sai­son de femmes d’hommes remon­tant à leurs corps depuis l’arbre
aux fruits déveil

urgence  urgence
urgence de dire l’om­bre des choses
le chant de l’in­nom­brable espoir
nous venons en dessous nos deuils en dessous nos plaintes
planter la langue des exclus au coeur du sens pre­mier de vivre

urgence urgence urgence nos faces d’homme d’homme
urgence de qui donne et ne retient pas
urgence du moin­dre asile pro­posant un règne
urgence du partage comme un manifeste
où le verbe est tou­jours à l’heure de ren­dre la nuit d’un rêve aux hommes
urgence de la flamme sec­ourant la braise
urgence de la fin des impos­teurs des dominateurs
urgence de l’af­fec­tion qui ne blesse pas l’ar­bre pour en punir la sève

urgence urgence urgence
de  ce cri qui monte au pas du monde
cri plus qu’il ne peut plus qu’il ne sait
cri.……crire    remon­tant du ser­rment des justes
où l’homme est ren­du à l’homme par son poème

urgence urgence  du par­ti des ombres  sur nos yeux
du par­ti des hum­bles sur nos mains

urgence urgence  d’une mai­son au point du jour
une grève où nous allons dix mille amants con­tre le précaire
urgence d’une nuit éclairée par l’in­cendie de nos marches
vers le front sub­lime des com­pagnons des camarades
dont l’amour est aux mains des meres des  filles des soeurs creu­sant les décombres
de leurs doigts de plumes pour retrou­ver le fils le père l’a­mant ensevelis

urgence de par­ler la démesure
l’ap­par­te­nance à un sourire
le dédale de ses mystères
urgence de hurler l’im­pa­tience tournée vers l’horizon
sans masque dans la voix
pour la seule place de la voix  d’or dans la parole

urgence d’ou­vrir la volière des plaintes
d’avoir les gestes de tout ce qui n’at­tend plus le print­emps en patien­tant de froid

urgence de cette faim insoumise au ban­quet de l’écriture

urgence de cette langue du poème qui nous réap­prend le méti­er d’innocence

urgence nos faces d’homme urgence   urgence

si nous ne voulons pas être vic­time à l’aube
alors il fau­dra chanter plus tôt que les oiseaux
il nous fau­dra être nus de toute la nudité de l’indicible
avoir des mots effrayés
des mots cardiaques
des mots à vifs du silence
des mots de face avec le chant
des mots ter­ri­bles d’excès
jamais entendus
jamais osés dans nos   gorges d’urgence
des mots trem­blés de nos faces d’homme
   faces   faces faces  faces d’hommes     d’hommes d’hommes d’hommes d’hommes

 

 

***

13h30 métro concorde

Péné­trant la chair jusqu’aux os
sans jamais resssortir
blessante lame
ce courant d’air glacial
du métro en hiver

Il ne se voit rien
ne s’en­tend rien
ne se dit rien

…rien dans le cer­cle de rien
que décrit la présence étale
dans cette main petite­ment tenue
par quelques pièces

Elles
Ils
sont des cen­taines par les rues
les sous-pentes
bouch­es urbaines
les poètes maudits
sans abri de recueil

vien­nent à la ren­con­tres depuis
ce quelque part qui se con­fond ici
avec le nul ailleurs

sont assis
se fondent au gris-patience gris-souffrance
du détour qu’ils suscitent
                          risquent  jusquà l’indifférence
qui les multiplie

Familière
bien ordon­née détresse
envelop­pant leur aura
jusqu’à l’effacement
les jetés-là repe­u­plent le désert
des mul­ti­tudes séparées
                 rassem­blent en cristaux de peur
                 la soli­tude col­lec­tive des agités

Mais celui-là
sur la marche la plus haute dans le courant glacial

Celui-là au vis­age décou­vrant de sa capuche
soix­ante dix ans de traits tirés
à bout por­tant d’une chance
tou­jours à côté

celui-là
à peine la main
cueil­lant la douleur au bord de lui

Celui-là
je l’ai pris dans poitrine
à pleine tête
sur le chemin de honte de mon pays
par temps qui passe
paisiblement
entre les gouttes d’infâmie

 

 

***

 

DES MOTS … DES BOMBES … DES MOTS ENCORE… ENCORE DES BOMBES…

 

NOUS AVONS DES MOTS
VOUS AVEZ DES BOMBES

le long de vos ram­pes de lancement
II fait déjà si froid
sous les saules blancs…

mais on entend  toujours
au con­cert des mésanges
ce grand avertissement :
mon­té du fond des âges :
« au faîte de la démocratie
pend l’en­seigne de l’armurier »
et dans le sein des dieux
pèsent les larmes sur le soleil couchant

Qui croy­ait en ce monde
qu’à dépein­dre vos lib­ertés ensanglantées
les mots eux-mêmes seraient rougis

Con­tre le jeu de vos armes
nous avons celui des mots
jusqu’à la quin­tes­sence du poème
guet­té par la descente
autant que la danse du phénix

Nous avons sur la poutre l’hirondelle
et sous l’ondée de paille
les peurs de vos héros
repen­tis d’inculture

VOUS AVEZ LES BOMBES
NOUS AVONS LES MOTS

Vous vous épuisez d’habileté
dans vos sci­ences du désespoir
Nous errons à l’aven­ture du verbe
comme un vais­seau libéré de ses haleurs

Vous recherchez des preuves
quand il en est
où elles ne se par­lent plus
ne s’en­ten­dent plus
ne s’of­frent plus au verbe

qu’il est enfin puri­fié d’elles

En ces temps mau­dits de vos encombres
vous usez de noms de jouets
pour enfan­ter la guerre
com­met­tre  dans les cours vos crimes d’école

mais nos enfants de leurs prunelles sages
ne deman­dent que le vert du jardin
sans abri

NOUS AVONS DES MOTS
d’un pou­voir transcendant
QUI DE VOS BOMBES
détru­isent l’argutie

A la beauté qu’ex­hale leur envol
sans seconde
les mots de plein ciel
s’é­panouis­sent dans l’espace
de vos nids d’armes
détruits
sans que vous puissiez jamais suivre
leurs traces

Ils versent en secret
tout au long de vos fers
dans le mutisme de vos geôles
le souf­fle des mélanges
des croisées de sens
étrangers les uns les autres

Ils savent de vos ter­ror­isantes certitudes
effac­er les demeures

VOUS AVEZ DES BOMBES démocrates
NOUS AVONS DES MOTS tis­serands d’herbes folles
vous avez les bombes de vos morales punitives
nous avons les mots du poème levant
vous larguez des deuils
nous lançons des respirations
vous enter­rez les fleurs
nous berçons leur pistil
VOUS AVEZ LES BOMBES
NOUS AVONS LES MOTS
qui pour vous
plus rien ne signifieront
A vous plus rien
ne diront

Se pour­rait-il que l’histoire
manque encore ses seuils ?

***

 

AUX PEUPLES JEUNES DE LA RÉVOLTE

 

Le vis­age de l’his­toire prend ses quartiers de devenir sous chaque pas
dans chaque poitrine
pour chaque souffle
à chaque instant de la rencontre
entre votre des­sein rad­i­cal d’espoir
et le ressen­tir de l’intolérable

Place d’ap­pel des peuples
à l’ouvert
du pari de vivre
selon la faim et la soif
de l’éter­nel levant

Vous allez
mys­tère du courage en tête
vers l’inapprochée
l’in­sondée saison
du sens d”exister
à plein ver­tige d’étonnement
entre vous

Vous marchez depuis l’in­vis­i­ble rêve
dans l’éveil du visible
vous emprun­tez la voie de clarté en vous
con­tre l’ob­scure aban­don d’absolu

votre exi­gence est de cette épais­seur d’Être
qui défie la fatalité
et rend à l’avenir
son urgence de vérité

Il est un  chant nup­tial de votre refus
qui regagne le pays perdu
de nos ciels
à hau­teur illimitée
de votre ver­ti­cale ensemble

Le poème est le passeur
infi­ni de l’indompté
en vous
qui éprou­ve le monde
dans sa nudité sensible
où sa beauté appa­raît par votre accueil
de toutes nos présences
 

Présentation de l’auteur

Philippe Tancelin

Philippe Tancelin est né Le 29 mars 1948 à Paris. Doc­teur d’Etat en Philoso­­phie-Esthé­­tique. Il est l’auteur de nom­breux ouvrages dont :

  • Ecrire, ELLE 1998 ;
  • Poé­tique du silence, 2000 ;
  • Cet en-delà des choses, 2002 ;
  • Ces hori­zons qui nous précè­dent, 2003 ;
  • Les fonds d’éveil, 2005 ;
  • Sur le front du jour, 2006 ;
  • Poé­tique de l’étonnement, 2008 ;
  • Poé­tique de l’Inséparable, 2009 ;
  • Le mal du pays de l’autre ; 
  • L’ivre tra­ver­sée de clair et d’om­bre, 2011 ;
  • Au pays de l’in­di­vis aimer (…) éd. l’Harmattan, 2011. 
  • Tiers-Idées, Hachette 1977; En col­lab­o­ra­tion avec G. Clancy ;
  • Frag­­ments-Delits,  Seghers 1979 ;
  • L’été insoumis, 1996 ;
  • Le Bois de vivre, l’har­mat­tan, 1996 ;
  • L’Esthé­tique de l’om­bre, 1991 ;
  • La ques­tion aux pieds nus ; 
  • En pas­sant par Jénine, 2006 (éd. l”Harmattan) ;
  • Le Théâtre du Dehors, Recherch­es, 1978 ;
  • Manoel De Oliveira, Dis-voir I987 ;
  • Théâtre sur Paroles, Ether Vague 1989 ;
  • Entre­tiens avec Bruno Dumont, Dis-voir, 2002.

 

Philippe Tancelin

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