Philippe Tancelin : 4 poèmes

 

urgence urgence   notre lucidité se perd aux pieds des ruines
dans l'abîme berceau de serments imaginaires
on n'entend plus que les hordes d'images et de bruits assaillir notre intelligence amoureuse
la mettre au pas du réalisme

urgence urgence nos faces d'hommes
nous n'entendons plus l'ultime qui précède chaque événement chaque instant d'allégresse
le simulacre agit sans relâche   tuant la chair du voir

urgence urgence nos faces d'homme
il ne nous reste plus que cette discordance des mots avec notre pensée
pour agir justement c'est à dire follement

urgence urgence nos faces faces faces dhomme
nous voulons  un monde au ciel prévoyant
au jour attentif à toute chose
avec un souffle de pureté au vent d'appel
nous cherchons dans l'obscure forêt qui embrase l'idée d'homme
une pensée subtile
dévorant la nuit d'invincibles questions
Nous percevons les couleurs à la seule présence de l'autre
nous entendons le courage des mots engagés dans l'ascèse
et tenons la vie nouée au corps qui parle l'insoumission
contre la médiocrité
nous poursuivons destin solitaire d'une parole active
urgence nous sommes l'herbe haute de l'enfance des siècles
l'herbe folle entre les pavés, dans les interstices des dieux et de l'homme

urgence urgence  nos faces d'homme d'homme
notre scène est cette liberté accourant sous le soleil de mille histoires de la rencontre
entre l'homme et sa face   face  face d'homme
Aujourd'hui plus que jamais nous ne nous mentons pas
nous avons l'âme rebelle sans traces dans les livres
sans chiffre dans la compétition absurde de l'existence et de l'être
nous sommes les heureux orphelins de frontières incultes et sauvages
nous sommes une saison de femmes d'hommes remontant à leurs corps depuis l'arbre
aux fruits déveil

urgence  urgence
urgence de dire l'ombre des choses
le chant de l'innombrable espoir
nous venons en dessous nos deuils en dessous nos plaintes
planter la langue des exclus au coeur du sens premier de vivre

urgence urgence urgence nos faces d'homme d'homme
urgence de qui donne et ne retient pas
urgence du moindre asile proposant un règne
urgence du partage comme un manifeste
où le verbe est toujours à l'heure de rendre la nuit d'un rêve aux hommes
urgence de la flamme secourant la braise
urgence de la fin des imposteurs des dominateurs
urgence de l'affection qui ne blesse pas l'arbre pour en punir la sève

urgence urgence urgence
de  ce cri qui monte au pas du monde
cri plus qu'il ne peut plus qu'il ne sait
cri.......crire    remontant du serrment des justes
où l'homme est rendu à l'homme par son poème

urgence urgence  du parti des ombres  sur nos yeux
du parti des humbles sur nos mains

urgence urgence  d'une maison au point du jour
une grève où nous allons dix mille amants contre le précaire
urgence d'une nuit éclairée par l'incendie de nos marches
vers le front sublime des compagnons des camarades
dont l'amour est aux mains des meres des  filles des soeurs creusant les décombres
de leurs doigts de plumes pour retrouver le fils le père l'amant ensevelis

urgence de parler la démesure
l'appartenance à un sourire
le dédale de ses mystères
urgence de hurler l'impatience tournée vers l'horizon
sans masque dans la voix
pour la seule place de la voix  d'or dans la parole

urgence d'ouvrir la volière des plaintes
d'avoir les gestes de tout ce qui n'attend plus le printemps en patientant de froid

urgence de cette faim insoumise au banquet de l'écriture

urgence de cette langue du poème qui nous réapprend le métier d'innocence

urgence nos faces d'homme urgence   urgence

si nous ne voulons pas être victime à l'aube
alors il faudra chanter plus tôt que les oiseaux
il nous faudra être nus de toute la nudité de l'indicible
avoir des mots effrayés
des mots cardiaques
des mots à vifs du silence
des mots de face avec le chant
des mots terribles d'excès
jamais entendus
jamais osés dans nos   gorges d'urgence
des mots tremblés de nos faces d'homme
   faces   faces faces  faces d'hommes     d'hommes d'hommes d'hommes d'hommes

 

 

***

13h30 métro concorde

Pénétrant la chair jusqu'aux os
sans jamais resssortir
blessante lame
ce courant d'air glacial
du métro en hiver

Il ne se voit rien
ne s'entend rien
ne se dit rien

...rien dans le cercle de rien
que décrit la présence étale
dans cette main petitement tenue
par quelques pièces

Elles
Ils
sont des centaines par les rues
les sous-pentes
bouches urbaines
les poètes maudits
sans abri de recueil

viennent à la rencontres depuis
ce quelque part qui se confond ici
avec le nul ailleurs

sont assis
se fondent au gris-patience gris-souffrance
du détour qu'ils suscitent
                          risquent  jusquà l'indifférence
qui les multiplie

Familière
bien ordonnée détresse
enveloppant leur aura
jusqu'à l'effacement
les jetés-là repeuplent le désert
des multitudes séparées
                 rassemblent en cristaux de peur
                 la solitude collective des agités

Mais celui-là
sur la marche la plus haute dans le courant glacial

Celui-là au visage découvrant de sa capuche
soixante dix ans de traits tirés
à bout portant d'une chance
toujours à côté

celui-là
à peine la main
cueillant la douleur au bord de lui

Celui-là
je l'ai pris dans poitrine
à pleine tête
sur le chemin de honte de mon pays
par temps qui passe
paisiblement
entre les gouttes d'infâmie

 

 

***

 

DES MOTS … DES BOMBES … DES MOTS ENCORE... ENCORE DES BOMBES...

 

NOUS AVONS DES MOTS
VOUS AVEZ DES BOMBES

le long de vos rampes de lancement
II fait déjà si froid
sous les saules blancs...

mais on entend  toujours
au concert des mésanges
ce grand avertissement :
monté du fond des âges :
« au faîte de la démocratie
pend l'enseigne de l'armurier »
et dans le sein des dieux
pèsent les larmes sur le soleil couchant

Qui croyait en ce monde
qu'à dépeindre vos libertés ensanglantées
les mots eux-mêmes seraient rougis

Contre le jeu de vos armes
nous avons celui des mots
jusqu'à la quintessence du poème
guetté par la descente
autant que la danse du phénix

Nous avons sur la poutre l'hirondelle
et sous l'ondée de paille
les peurs de vos héros
repentis d'inculture

VOUS AVEZ LES BOMBES
NOUS AVONS LES MOTS

Vous vous épuisez d'habileté
dans vos sciences du désespoir
Nous errons à l'aventure du verbe
comme un vaisseau libéré de ses haleurs

Vous recherchez des preuves
quand il en est
où elles ne se parlent plus
ne s'entendent plus
ne s'offrent plus au verbe

qu'il est enfin purifié d'elles

En ces temps maudits de vos encombres
vous usez de noms de jouets
pour enfanter la guerre
commettre  dans les cours vos crimes d'école

mais nos enfants de leurs prunelles sages
ne demandent que le vert du jardin
sans abri

NOUS AVONS DES MOTS
d'un pouvoir transcendant
QUI DE VOS BOMBES
détruisent l'argutie

A la beauté qu'exhale leur envol
sans seconde
les mots de plein ciel
s'épanouissent dans l'espace
de vos nids d'armes
détruits
sans que vous puissiez jamais suivre
leurs traces

Ils versent en secret
tout au long de vos fers
dans le mutisme de vos geôles
le souffle des mélanges
des croisées de sens
étrangers les uns les autres

Ils savent de vos terrorisantes certitudes
effacer les demeures

VOUS AVEZ DES BOMBES démocrates
NOUS AVONS DES MOTS tisserands d'herbes folles
vous avez les bombes de vos morales punitives
nous avons les mots du poème levant
vous larguez des deuils
nous lançons des respirations
vous enterrez les fleurs
nous berçons leur pistil
VOUS AVEZ LES BOMBES
NOUS AVONS LES MOTS
qui pour vous
plus rien ne signifieront
A vous plus rien
ne diront

Se pourrait-il que l'histoire
manque encore ses seuils ?

***

 

AUX PEUPLES JEUNES DE LA RÉVOLTE

 

Le visage de l'histoire prend ses quartiers de devenir sous chaque pas
dans chaque poitrine
pour chaque souffle
à chaque instant de la rencontre
entre votre dessein radical d'espoir
et le ressentir de l'intolérable

Place d'appel des peuples
à l'ouvert
du pari de vivre
selon la faim et la soif
de l'éternel levant

Vous allez
mystère du courage en tête
vers l'inapprochée
l'insondée saison
du sens d''exister
à plein vertige d'étonnement
entre vous

Vous marchez depuis l'invisible rêve
dans l'éveil du visible
vous empruntez la voie de clarté en vous
contre l'obscure abandon d'absolu

votre exigence est de cette épaisseur d'Être
qui défie la fatalité
et rend à l'avenir
son urgence de vérité

Il est un  chant nuptial de votre refus
qui regagne le pays perdu
de nos ciels
à hauteur illimitée
de votre verticale ensemble

Le poème est le passeur
infini de l'indompté
en vous
qui éprouve le monde
dans sa nudité sensible
où sa beauté apparaît par votre accueil
de toutes nos présences
 

Présentation de l’auteur

Philippe Tancelin

Philippe Tancelin est né Le 29 mars 1948 à Paris. Docteur d’Etat en Philosophie-Esthétique. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont :

  • Ecrire, ELLE 1998 ;
  • Poétique du silence, 2000 ;
  • Cet en-delà des choses, 2002 ;
  • Ces horizons qui nous précèdent, 2003 ;
  • Les fonds d’éveil, 2005 ;
  • Sur le front du jour, 2006 ;
  • Poétique de l’étonnement, 2008 ;
  • Poétique de l’Inséparable, 2009 ;
  • Le mal du pays de l'autre ;
  • L’ivre traversée de clair et d'ombre, 2011 ;
  • Au pays de l'indivis aimer (…) éd. l’Harmattan, 2011. 
  • Tiers-Idées, Hachette 1977; En collaboration avec G. Clancy ;
  • Fragments-Delits,  Seghers 1979 ;
  • L'été insoumis, 1996 ;
  • Le Bois de vivre, l'harmattan, 1996 ;
  • L'Esthétique de l'ombre, 1991 ;
  • La question aux pieds nus ;
  • En passant par Jénine, 2006 (éd. l''Harmattan) ;
  • Le Théâtre du Dehors, Recherches, 1978 ;
  • Manoel De Oliveira, Dis-voir I987 ;
  • Théâtre sur Paroles, Ether Vague 1989 ;
  • Entretiens avec Bruno Dumont, Dis-voir, 2002.

 

Philippe Tancelin

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