Philippe Tancelin, Autre jour dans la nuit
En quel temps..me diras-tu ?
Celui très tôt dans les ruines
quand se lève de la poussière
l’infatigable soleil éclairant
les songes de notre maison
Par quelle voie..me diras-tu ?
Celle des figures de rosée
entre les corps massifs d’oliviers
et connurent tes pas sans las
Jusques aux portes closes du désert
Comment..me diras-tu ?
Sur un air de musique
dans tes cheveux en boucles
dressés sur ton courage
à démasquer l’impasse blême
dans ses formes invisibles
Pour qui..me diras-tu ?
Toi ou ton frère tant recherché
pour son cœur brisé sans guide
ce ressentir de promesse fatiguée
en la colombe que ne délivre plus
le rêve attesté de ses ailes
Avec quoi...me diras-tu ?
Si le miroir ne reflète plus le souffle
sur la terre ouvragée des amants
et que s’exile la noce des dieux
dans les bas quartiers d’étoiles
pour ne pas voir se mourir la mer
En quelle langue..me diras-tu ?
Celle de la pierre à nu à bout de larmes
Cette autre encore des images disparues
que prophétise la soif ouverte sur la terre
sa capture en longs cris perdus dans le lointain
le bannissement des murs adossés aux légendes
Je vais te dire..quelle heure…
Portera le sang des espoirs simples
coulés à même la corde du luth
Lancera ce fougueux pas du danseur
sur le fil-frontière aux senteurs d’éden
Je te dis maintenant l’autre jour dans la nuit
Celui que dresse la langue conjuguée des mémoires
leurs témoins sabliers du devenir fou des choses
Je te dirai l’extrême brisant
des mots lucides
leur lumière gravissant
ton ombre complice
Ton âme d’enfant
à sa suite impénétrable
∗∗∗
Rien ne sera ravi à la lumière
qui crie de Gaza
le nom retrouvé d’un enfant
de l’espoir au milieu des ruines
Nous avançons sur le fil d’histoire
avec le visage incandescent du rêve
irréductible à la douleur du jour
Poèmes extraits du dernier recueil 2023 « l’in-sûr et certain aux marges débordantes »
Col, Poètes des 5continents l’harmattan
Déclaration-Rempart
Quand s'infinit la vague
répétée dans l'image
de son mouvement surpris
le regard rallie ses semblables
sur la crête
et les mots à l'aveugle
survolent le sens
dépouillé de la mer
Ils errent dans l'oubli
des pays intérieurs de l'écume
Ce n'est ni la nuit
ni le jour
mais leur écart de givre
une lame invisible
insomniaque
guettant l'instant
d'une pure envolée
sous l'orage
et couvre sans las la plainte
de l'espace
vois l'arbre à son faîte
ll discerne
la clairière
Vois l'abeille
Ivre de parfum
elle séduit
la fleur hésitante
N'abandonne plus la langue
sur l'épave
de ton nuage
Sous aucun mirage
ne dérobe les sables
à leur château
∗∗∗
Les Naufragés
Ils sont mille
et huit cents
partis de loin
sur des barques pourries
pour un lointain plus inhumain
que la misère qui les poursuit
Ils sont mille
et huit cents
ce jour
à ne plus respirer l'air du large
ni entendre ce qui des abîmes
les attend tous ensemble
Ils sont mille
et huit cents
abreuvant de leur rêve
l'indifférence de l'autre monde
qui s’étend invisible
à leur espoir
Ils sont mille
et huit cents
martelés par la soif
sur les miroirs brûlants
dont les flots accompagnent
leur danse à corps et cris
Ils sont mille
et huit cents
à scruter au-delà
l'horizon qui les cache
à ce côté pour eux perdu
consentant à la fatalité
Ils sont mille
et huit cents
peu à peu
peur à peur sans demain
leurs paumes serrées
contre la nuit qui s'offre
intense et éternelle
Ils sont mille
et huit cents
ni les mêmes ni autres
qu'ils voulaient devenir
une ombre dessine
en-deçà de leurs barques
leur âme vendue aux requins
Ils sont mille
et huit cents
détaché déchirés
largués en pages du naufrage
qu'écrivent à l'infini
nos rivages protégés
Ils sont mille
et huit cents
confondus sur la mer-encre
murmurant entre midi minuit
l'adieu des humbles
qui perdent en silence
la nudité de leur espoir
Ils étaient mille
et huit cents
combien seront demain après demain
dont leur mort arrime nos lits
bat nos lèvres muettes
défient les mots
accourus de l'amour
Ils sont par milliers
anonymes, interdits
sur la grève
relégués à l'écume
puis happés par les fonds
où triomphe leur supplice
entre hélices de tankers
et de bâteau-plaisance
Leur fin dernière n'annonce plus
ses chiffres d'infortune
elle suit la bourse des pertes
et profit de nos passeurs de calme
siégeant parmi les dieux nouveaux
qui les broient en toutes nos certitudes
Nous voici parvenus
au moment extrême
de vos lambeaux de ciels
dispersés par les vents prédateurs
Quel oiseau de ses ailes translucides
réfléchira les ombres
de vos mers d'embarque?
Quel horizon sous vos doigts tendus
trace encore vos exils
attache sur nos cils
vos mémoires
du grand large souffert !
Quelle de nos mémoires
devant vos clairs perpétuels
d'autres mondes
saura donner vos noms
de vivre aux mers étrangères !
∗∗∗
Dit de l'aimer
Au surgir du désir
tes courbes d'absolu
où j'aborde de mal-monde
nos temps d'innocence
croyant en l'horizon
de rêves qui ne mentiraient pas…
Au surgir de tes détresses
quand la nuit
passe à ton cou
son collier de silence
pour adoucir les larmes
de noces qui ne saigneraient plus…
Que voyons-nous l'inséparable
de toi
de moi
nous confier ses croquis
aux couleurs de vertiges
pour la mémoire ensemble
d'aimer sans lèvres au rouge
de quelques braises retournées
L'authentique nuit d'amour
monte à l'abordage mystérieux
des grands fonds de confiance
que ne double sur la vague
aucune ombre de formes
Aucune esquisse
d'aucune nuit
n'éclaire la chose étreinte
et le dit ne retient
que les plis en mémoire
Je ne crois pas l'amertume
savoir abuser la beauté
pour lui donner séjour parmi les défaits
Je sais le ressentir d'infini
consoler le cœur de ses brisures
Je nous vois plus loin qu'à portée de poème
∗∗∗
Dit de l’incessant
Est-ce l’œuvre d’un jour
de décider si la fenêtre donnant sur le jardin
est libre de s’ouvrir
et la lumière de bercer les fleurs
les nourrir de la rosée
percer le vrai visage
qui rallierait les chants
de l’ineffable ?
Assis à ma table
qui ne dessine aucune frontière
entre la conviction et l’espoir de défier la raison
J’apprends de chaque mot
tous les matins
le grand détachement qu’ils couvent en moi
et l’inséparable brisure
de mon ombre sur les choses
Est-ce feuillet vierge battu d’un souffle d’ailes
l’éphémère accueillant l’infini ?
Je n’en ai pas fini de la ronde enfantine
maintenant mon séjour