Ce livre, Melancholia, “bile noire” en grec ancien, inaugure une nouvelle collection chez Tinbad, “Tinbad-fiction”, composée de textes inclassables. Pas du roman, pas de la poésie mais une prose ente les deux : ce qu’on appelait du “texte” dans les années 70.
L’exergue trahit le sujet de l’histoire, laissant la place au “comment” : “Melancholia narre la fin de l’histoire (sans je) de deux belles âmes — la fille violette et le soldat - engagées dans un dernier dialogue à distance.” Les titres annonceront de même ce dont il sera question dans les quatre sous-parties.
Dès les premières lignes une sorte de courant de conscience - le garçon, fauché par une rafale dans un oued sec en Algérie, ” parle “, dans l’ultime seconde de sa vie, à sa fiancée restée en France, négligeant le pronom personnel sujet ( “te raconte cette histoire” ), use de répétitions comme dans une comptine de chansons d’autrefois qui illustre les souvenirs d’enfance ( “nous jouions dans la grange” ) et plante les deux thèmes principaux de l’opus, l’amour et la guerre : ” Les jeunes gens font font font la guerre en riant “.
Philippe Thireau, Melancholia,
éditions Tinbad, 2019, 11,50€.
Ces répétitions, dans la phrase mais aussi de la phrase dans le livre jusqu’à la toute fin, déstabilisent, d’après le préfacier, Gilbert Bourson, le pathos et font chanter le texte qui peut être classé comme poème et même comme épopée.
L’absence de ponctuation même forte, en dehors de quelques parenthèses, confère aux pages de cette agonie un rythme incantatoire tout en rapprochant présent et passé dans une semblable souffrance.
Les éléments, la faune et la flore accompagnent la mort prochaine. Comme des adjuvants, comme une extrême-onction poétique : “l’oiseau venu de nulle part planant au-dessus du corps étendait un voile de nuit sur les yeux bleus il passait et revenait…”. L’auteur sait également se faire peintre en décrivant superbement les myosotis des collines ou les pierres de sa “campagne française”.
Mais le réalisme est bien présent également, rappelant la cruelle vérité des faits : “les cheveux mêlaient leur parfum rance à celui des chairs décomposées”, et n’hésite pas à se mêler à la présence mythologique des “anges serviables” et du “char d’Hélios”.
Répond aux mots du mourant la lettre improbable de la fiancée restée en métropole et qui pressent un drame. On peut dire que Philippe Thireau pratique une forme d’esthétique de la surprise car les paroles se font soudain plus crues, plus rudes, que ce soit pour parler de sexe ou du corps en général : “la glue colle mes paupières obture mes oreilles serre l’anus…” ou même de la vie : “tremblement frissonnement soubresaut spasme sursaut tressaillement etc…”.
Délires peut-être de l’agonisant, identification certaine de l’auteur, dramaturge par ailleurs (il plantera plus loin une scène de théâtre), à l’homme et à la femme qu’il met en scène. Il y a, dans tous les cas, respect du pacte de lecture quand Philippe Thireau cite un extrait du journal intime de cette dernière et qu’il écrit plus loin en majuscules “Poursuivons monseigneur” ; c’est d’ailleurs bien elle qui parle du substantif éponyme, en harmonie avec la couleur violette de ses vêtements, lorsqu’elle dit : “la melancholia essaie de me grandir me déplie sous la bourrasque…” et qui ajoute, de façon crédible pour le lecteur : “te souviens-tu avoir lu avec moi un mince livre de tempête de grosses vagues tueuses ce Typhon de Conrad…”. Elle qui semble bien faire son testament, assistant à sa propre mort, sans pronom personnel aussi et sur fond d’apocalypse : “à mesure que écris les traces d’encre s’effacent les idées s’envolent meurs à chaque ligne…”. Comme si elle voulait prévenir celui qu’elle aime et l’écarter loin d’un destin pareil.
La fin du livre donne la parole à “l’oiseau planeur” qui, provoquant un psittacisme, répète les mots de l’incipit. Après avoir développé la mort prochaine de ce corps qui pleure, il conclut, comme dans la forme en boucle du rondeau, par les mots qui achevaient déjà la première partie : “la nuit les étoiles s’allument au-dessus de ma tête, le grand manteau noir ( l’oiseau planeur ) parle.”
Présentation de l’auteur
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