Phoenix n°18
La revue Phœnix existe depuis 2011 et en est à son numéro 18. Elle publie chaque fin d'année un recueil distingué par le prix Léon-Paul Gros et le reste de l'année (soit trois livraisons par an) une revue au sens traditionnel du terme qui s'ouvre toujours par un dossier consacré à un poète qui mobilise divers contributeurs. Cette fois-ci, c'est Georges Drano qui y a droit…
Le dossier Drano, coordonné par André Ughetto (le rédacteur en chef de la revue) réunit une introduction à ce dossier, trois suites de poèmes inédits de Georges Drano, un entretien de ce dernier avec Daniel Leuwers (l'animateur du Livre pauvre) et, outre un texte curieux (mi-analyse, mi-centon) de Nicole Drano-Stamberg quatre contributions d'auteurs différents…. Dans les poèmes inédits (deux des trois suites sont dédiées à Nikou, l'épouse, Nicole Drano-Stamberg aussi poète) on reconnaît ce ton si particulier qui est celui de Georges Drano : attention aux choses les plus humbles (souvent du paysage), vive conscience de la présence au monde, amour et intérêt de tous les instants pour celle qui vit à ses côtés… Dans l'entretien qu'il accorde à Daniel Leuwers, on peut retenir son goût pour la densité de la parole poétique, pour l'élémentaire et ces mots «Le poème tente de fixer l'éphémère, ce qui s'éloigne ou disparaît, c'est un édifice fragile où s'affrontent le dicible et l'indicible». Ainsi que ces autres qui en disent long sur la situation de l'édition de poésie : «Le poème est sans cesse menacé d'absence, s'il ne rencontre personne, s'il n'a aucun écho». On se prend à rêver à ces pays où un recueil de poèmes était épuisé dans les dix jours qui suivaient sa parution ! Autres temps, autres mœurs ! Au total, c'est un dossier qui présente bien Drano, un dossier auquel le lecteur curieux se référera maintes fois…
Suivent ensuite les parties traditionnelles d'une revue : une section anthologique (ici joliment appelée «Partage des voix», une courte étude (mais très éclairante) de Philippe Biget sur L'Image perturbée du père (chez Baudelaire et Alain Borne), une vingtaine de pages consacrées au poète suédois Bengt Emil Johnson (présentation et choix de poèmes en suédois et en traduction française), des Sporades qui réunissent quatre écrivains étrangers l'un à l'autre en un archipel littéraire et les rubriques qu'on trouve communément dans une revue (expositions, théâtre, poésie, roman, essai).
La partie anthologique a retenu particulièrement mon attention. S'il est difficile pour le lecteur de juger de la pertinence d'une démarche au travers de quelques poèmes, je me suis cependant intéressé aux poèmes de Matthieu Baumier : ils s'interrogent sur l'origine du monde (éternelle question). Si l'on peut ne pas partager toutes les réponses qu'on devine dans ces vers (mais qui sont légitimes) on sera sensible au vocabulaire rare et au rythme du poème mais surtout au rôle assigné au poème que je partage totalement. Si Maryline Bertoncini s'interroge, elle, sur l'origine du langage (ce qui est normal même si le poème reste très métaphorique et n'entre pas dans les détails de la complexité de la matière qui permet justement le langage et la pensée), j'ai beaucoup aimé son poème Souvenirs de la maison désaffectée qui dit bien le temps qui passe, notre tragédie à tous, sur un ton singulier voire charnel, mais en tout cas attentif aux choses les plus humbles (comme ici la sandale). Et j'ai été pris par Répondre de Murièle Camac… Mais surtout ce qui retiendra l'attention du lecteur, c'est l'aspect éclectique de ce choix d'une douzaine de poètes qu'il faut lire attentivement… et qui permet d'avoir une vision élargie de la production poétique actuelle qui reste très ouverte…