Pierre Andreani, Deux années sans mois d’août

2018-03-02T14:06:28+01:00

 

Soudaine allée mag­ique aux pro­fonds bor­ds de vase !
Avant-drame au soleil sous les vents maritimes !
La neige est lasse et lente, tout en rodomontades
et nous sur de grands arcs devisant sur nos peines,
nous adres­sons un signe au vieux page anobli,
qui nous répond, dis­trait, d’un sourire équivoque.

 

*

 

Déploiement vir­ginal des longs, des bras des hommes,
entourant cent étoiles dans la nuit noire et grise
et pro­fondé­ment triste et totale­ment noire,
dans la main un tick­et de loterie : froissé.
(Voiture rem­plie de protes­tataires alanguis)

Sur le pont d’un navire ceint de flammes,
l’é­vadé glisse et vole, se retient aux ram­bardes et
ter­mine sa course dans le lit de l’épave.

 

*

 

La majeure île rouge et sa tour défaite,
l’obélisque
agencée sous les ter­rains de nacre
et le nid alan­gui d’une pie de passage.

Sur la table imagée, plus rien ne s’é­tale que
d’un vieux bord à l’autre, horizontalement,
et vif coup de bec,
et vifs éboulis,
et la vive bril­lance des cou­verts en argent.
Ce n’est pas un cauchemar, mais un rêve-nervosité.

Je me sou­viens sou­vent quand la terre a tourné
de ce son fam­i­li­er qui noircit les refrains.

 

*

 

La rétine est sauvage et nous crée des images qui s’impriment à l’envers.

Rapid­ité des con­clu­sions qui com­man­dent à l’exalté.
Cloches qui son­nent à l’extérieur du bâtiment.
Ça joue courbe autour des rythmes légers, sinueux,
exta­tique, en fis­sure, sur ce beau mur lézardé d’amour !
Ah ! Ce qu’on se dit seul, quand on prie, zélé !
Tant d’espérance dans ce tam­bour qui sonne juste !
Si seule­ment je le pou­vais, de plaisir je vivrais,
tou­jours au trom­bone à dévers­er des cantiques.
Boum ! Un coup pour l’altitude, un autre pour la chaleur.
Bam ! On lève les dra­peaux, on danse et sonne et claque !

 

*

 

J’ai apporté le pain, j’ai apporté le glaive.
J’ai fait sem­blant, je n’ai fait sem­blant de rien.
Il deman­deront des comptes, ce sera l’heure enfin
de brûler ce qu’il reste de soi : le petit hori­zon tou­jours bien là
et qui mâchonne sérieuse­ment les neurones.

 

*

 

Les appeaux de la gloire sif­flotant dans l’abîme,
cette mélodie en rond et je n’ex­iste plus.

À mes oreilles mortes se sou­venant de vous,
je me dis « mais encore ! » et que « si j’avais su ! »,
un frot­te­ment de cuisse sur un canapé blanc.

 

*

 

On range les étals, le pois­son invendu
nég­ligem­ment jeté par dessus bord,
les mou­ettes hurlent et tournoient ;
l’homme s’ap­proche d’un groupe de touristes,
il a le teint hâlé des wan­der­ers,
il n’a pas mis d’eau sur son corps depuis des mois et sa barbe est roussie,
il porte égale­ment le béret.

 

*

 

Et sans haine, sans violence,
puisque le Prince est mort ce matin,
il se saisit des clés de la ville,
ancien étu­di­ant en prédication,
par la parole il exhorte,
dans la nuit sous un réverbère,
déclare qu’au­cune contrefaçon
ne lui plaît et qu’il s’ennuie,
qu’il n’at­tend rien en vérité de personne
et appelle au schisme sans hésiter.

 

*

 

« Le temps que je perds à m’alimenter,
à méditer, soleil qui fend la poupe et can­ot qui dessale…
autant de temps per­du pour faire le grand ménage
dans mon appartement…
J’ai lais­sé je crois la porte béante. »

 

*

 

Seule­ment soutenu par ses trois enfants
qui dépe­nail­lés se met­tent les doigts dans le nez
en remon­tant leur pantalon,
l’homme au regard d’aci­er, au béret noir
avec un ban­deau attaché à l’avant-bras,
sent que son calme est pro­fond devant l’insuccès.

 

*

 

Observ­er la sophis­ti­ca­tion du monde
d’un œil de vache, se laiss­er aller
au temps qu’il fait être celui qui s’enrhuma.
Un songe ryth­mique prend la place de l’élan furtif.

Je suis passé devant toi,
créa­ture bicéphale, dont le col remonte.

 

*

 

« As-tu vu les rangs, les sur­sauts de la rue,
les valis­es éven­trées, les cortèges appliqués
sur la route blo­quée par les forces de l’ordre ? »

Deux années sans mois d’août et tout un temps de solitude,
pass­er par l’humeur, inat­ten­du blasphème,
pour se faire remar­quer et entendre…

 

*

 

« Maîtresse aux yeux vairs,
Aphrodite élevée dans la haine et le froid,
en veux-tu, en voici, aux regrets éloquents :
des char­rues délaissées,
et cas­cades de chèvres qui sec­ouent en arrière
et moi en riant,
frap­pant un grand coup dans le dos de la bête, ivrogne ! »

 

(2017)

 

 

 

Présentation de l’auteur

Pierre Andreani

né à Ollioules (1983). Vit et tra­vaille à Marseille.
Diplômé en Art Visuels à l’u­ni­ver­sité Paul Valéry (Mont­pel­li­er III) où il suit le sémi­naire d’Alain-Alcide Sudre sur le ciné­ma expérimental.
Il crée en 2010 la revue Mila­gro, dif­fusée à quelques dizaines d’ex­em­plaires. Le cinquième et dernier numéro de la revue est con­sacré à la poésie de Roger-Gilbert Lecomte.
Il a pub­lié des textes dans les revues Ver­so, Bleu d’en­cre, Trac­­tion-Bra­bant, Comme en poésie, Lichen ain­si que deux recueils de poèmes (Un tel bom­barde­ment, ed. milagro/Bodbooks, 2015; Les sup­pli­ca­tions du monde (celui qui entend), ed. Cla­pas coll. Franche Lip­pée, 2017) et un réc­it de voy­age (Cahi­er d’Ar­gen­tine, ed. du Port d’At­tache, 2016).

 

Pierre Andreani
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