Publié chez un nouvel éditeur (créé en 2013, Faï fioc ‑expression occitane- est le nom d’un quartier de Marvejols en Lozère, où l’animateur de cette maison d’éditons organise chaque année des résidences d’écriture et une semaine de la poésie; littéralement, Faï fioc signifie “il fait feu”), ce recueil est composé de quatre suites dont trois constituent un ensemble qui donne son titre à ce nouveau livre de Pierre Dhainaut, Progrès d’une éclaircie. L’originalité de celui-ci est la progression qui conduit d’une vision inquiète du réel intitulée IRM à une célébration apaisée du printemps intitulée Largesses de l’air. Déjà, l’avant-dernière suite, L’Ère d’avril, était un chant à la gloire du renouveau et se terminait par ces vers : “«Avril», nous répétons «avril», / demain le poème / progressera comme aujourd’hui”. La tentation serait forte de lire cet ouvrage comme un retour de l’espoir après un passage sombre. Mais avec Pierre Dhainaut, la poésie est beaucoup plus complexe, toute en nuances…
Si la poésie de Pierre Dhainaut est très libre à la fois quant à la forme mais aussi en ce qui concerne le ton et l’approche du réel, les contraintes ne sont pas absentes. La première suite, IRM, est composée de six poèmes de dix vers. La deuxième, Syllabaire, de dix poèmes de deux quintils plus un quintil final, la troisième, L’Ère d’avril, de huit poèmes de trois tercets et d’un poème de deux tercets tandis que la quatrième, Largesses de l’air, est composée de neuf poèmes de deux quatrains. Tous ces vers ne sont comptés, ni rimés… La contrainte est là pour éviter tout épanchement incontrôlé. L’unité de chaque suite est telle que le lecteur peut se demander s’il ne s’agit pas, à chaque fois, d’un seul long poème. Mais si la poésie est l’art d’aller à la ligne, c’est aussi l’art de changer de page pour signifier la fin du poème… Et l’unité de chaque page n’en est ici que plus évidente.
IRM prouve qu’on peut écrire de la poésie à partir de la situation la moins poétique. Ceux qui ont déjà passé un tel examen ou patienté dans la salle d’attente d’un hôpital savent que ces situations sont on ne peut plus prosaïques : l’attente, mais aussi la machine et le corps qui n’est plus qu’un objet. Pierre Dhainaut a l’art de tirer de cette réalité des expressions et des images signifiantes : “déjà la tête et la poitrine avancent / dans un tunnel opaque, étroit, qui les dévore, / l’éternité n’a pas une entrée différente”. Et puis il y a ce va-et-vient (et surtout le poème final) entre l’hôpital et l’écoute. Dans Syllabaire, Pierre Dhainaut élève l’effacement de soi au niveau du principe, c’est qu’il s’agit d’écouter l’enfant dans sa découverte du monde, d’un monde que l’adulte ne sait plus voir. N’écrit-il pas : “aimer ou mettre au monde les visages / des morts qu’elles appellent par leurs noms”. Toute la poésie de Pierre Dhainaut est là, dans cette écoute, cette attention aux enfants comme à ceux qui sont partis… Pas de complaisance mais une sincérité de chaque instant car recevoir la vie ou la donner, c’est la même chose que vivre. Aussi n’est-il pas étonnant que les deux dernières suites du recueil célèbrent la nature. La poésie se confond avec un art de vivre, le poème ne faisant que retranscrire pour les autres cette vie perpétuellement à l’écoute.
Ces poèmes sont fraternels. Ils apaisent celui qui les lit car ils n’imposent rien ; mieux, ils aident à respirer. C’est que Pierre Dhainaut aide le lecteur à mettre en forme sa vie… “Oiseaux de mer hors de portée, / leurs cris nous habitent, / avec eux la lumière.” : tout est dit dans ces vers.