Pierre Jakez Hélias, une œuvre poétique à (re) découvrir

      Pierre-Jakès Hélias aurait eu 100 ans le 17 février prochain. Si l’écrivain breton est d’abord connu pour être l’auteur du Cheval d’orgueil (Plon, 1975), il est aussi – on le sait moins – un poète authentique. C’est aujourd’hui l’occasion, pour le centenaire de sa naissance, de découvrir ou de redécouvrir un aspect encore trop méconnu de son œuvre.

     « Si on me demandait ce qu’est la poésie, je dirais que c’est une mauvaise herbe ». C’est par cette forme d’aveu que l’écrivain breton introduit La Pierre noire, le  recueil de poèmes qu’il publie en 1974. « Cette mauvaise herbe, explique-t-il, est parfois vénéneuse, mortelle, et elle peut être aussi médicamenteuse, pharmaceutique, salvatrice, purgative en tout cas. Mais elle perd une bonne part de ses vertus dès qu’on la cultive ». Constat lucide sur le paradoxe de la création poétique. « Il n’y a pas de poésie vraie, ajoute Hélias, dès qu’elle a revêtu sa forme et il faut bien qu’elle la revête si elle veut se montrer ».

         Et que dire alors d’une poésie écrite en langue bretonne dont l’auteur s’attache à effectuer, lui-même, la traduction en français ? Introduisant un autre de ses recueils, Le Passe-vie, le poète breton évoque, en effet, la tâche qui lui incombe de « faire passer dans la seconde langue le plus possible des éléments de la première, soit en serrant de près le texte, soit en prenant du recul par rapport à lui pour mieux l’embrasser ». Et d’avouer : « Il peut se faire qu’on n’y arrive pas, surtout quand il faut respecter une musique prééminente ». Hélias a suffisamment parlé de la langue bretonne comme de sa vraie patrie (« ar brezoneg eo ma bro ») pour que l’on comprenne le souci manifesté, ici, de pouvoir passer sans heurt d’une langue à l’autre.

         C’est d’abord depuis un monde rural bretonnant en voie d’effondrement, dont il est issu, que Pierre-Jakès Hélias s’adresse à ses lecteurs. « En l’honneur des anciens/ Qui peinèrent jadis/Sous la braie ou la robe/Pour faire un autre monde/Je raconte leur vie/En estime et pitié », écrit-il dans un de ses poèmes intitulé « Dédicace ». Haro, donc, dans La Pierre noire, sur  tous les charognards, sur ceux qui bradent son pays et qui lui volent son âme : « Mon pays est à vendre en gros et en détail/A la lourde bêtise, à la laideur ouverte/Au dieu argent qui est leur maître/Mon pays, on en fait commerce à toutes mains/Avec l’assentiment des tribus et des clans ». Dans sa « Ballade pour Morvan Lebesque », il parle même de « sagouins » et dans « La chanson de Dolly Pentraeth » (la dernière femme qui a parlé le cornique au 18e siècle), il parle, songeant à la Bretagne, d’un pays qui « sent très pur, très fort », mais dont « le parfum s’en va tous les jours/avec les noms des vieux chemins ».

         On ne peut pourtant cantonner l’œuvre poétique de Pierre Jakez Hélias à ce qu’elle dit d’un monde en perdition. Elle aborde beaucoup d’autres rivages : en Bretagne bien sûr, mais aussi  en Ecosse, au Canada ou en Chine, quand la notoriété amènera l’auteur à parcourir le monde : « Bouddhas, bouddhas imperturbables/Se masquant d’un demi-sourire/Qu’on dirait commercial/Mais que diable ont-ils donc à vendre/Sinon le désarroi des hommes ? », écrit-il à Cheng-Tou (Le Passe-vie)

   Car son ambition réelle, quelle est-elle au fond ? : « Tirer au clair un peu d’âme plutôt que de jouer de beaucoup d’esprit ou de trop de cœur », explique-t-il en exergue à son recueil Le Passe-vie. Car l’homme est pudique. Il se livre peu. « Je n’ai jamais rien eu à vendre/Pas même un petit grain de moi ». Oui, énigmatique Pierre Jakès Hélias – Bouddha à sa manière -  qu’il faut donc tenter de lire entre les lignes.  Evoquant son œuvre, Charles Le Quintrec a certes raison d’évoquer un auteur aux poèmes « parfumés de malice, de sagesse et de paysanne santé » (Anthologie des poètes bretons, La Table ronde, 2008).  Mais l’homme se cache. « Plus dur que tout de vivre en paix avec moi-même », écrit Hélias lui-même, le 25 juin 1956, concluant un poème de son recueil La Pierre noire.

        Au-delà de la langue bretonne - sa vraie patrie -  c’est sans doute sur ce terrain-là (celui du dur métier de vivre) que le poète breton a fait surgir ses textes les plus exigeants. « Il brûle un soleil de souci/ dans notre tête jour et nuit ». Et c’est bien cet auteur-là qui reste encore à découvrir. « A chercher qui je suis/A faire le tour de mon être/J’ai dévoré ma vie/Pour la tenir entière/Au-dedans de moi », souligne-t-il dans son dernier recueil Clair-obscur.  Dès 1964, n’écrivait-il pas dans Manoir secret : « J’ai rassemblé tout le poids de mon corps/pour peser plus lourd sur la terre/et nouer le silence en moi ». En nous quittant, le 13 août 1995, Pierre Jakez Hélias a emporté avec lui une grande part de son mystère.