L’édition suisse nous offre la possibilité de lire en langue française le premier recueil poétique publié par Pierre Lepori en 2003. Le poète est une figure importante de la vie intellectuelle suisse, versant « italien ». Romancier, (Sexualité, éditions d’en bas, Lausanne, 2001), auteur d’essais et spécialiste du théâtre, fondateur de la revue queer, Hétérographe, revue des homolittératures ou pas, il est aussi journaliste pour différentes radios du territoire suisse.
La langue est « simple, des accents lyriques modérés, des élans métaphoriques et parfois une veine précieuse, mais qui reste ténue, accessible, soutenue par un rythme contrôlé ; une langue écorchée, pourtant, et rendue puissante par la force d’images vives et d’enchaînements fougueux qui projettent le lecteur dans une dimension très vaste, entre atmosphère onirique (plus de l’ordre du cauchemar que du rêve), ombres aux archétypes enfouis, histoire vécue dans la chair, tourmentée, qui tremble derrière chaque vers, et une dimension chorale, allégorique » écrit Fabio Pusterla dans son éclairante préface. Une poésie dont on perçoit la lente maturation dans le cœur même de sa simplicité, une poésie où l’on sent la difficulté du devenir poète. Certains le sont d’emblée, d’autres se découvrent, s’acceptent progressivement poètes. Lepori en Suisse, comme Baumier en France, est dans ce dernier cas. Du coup, la parole vient des profondeurs de l’être et de l’âme, elle surgit de l’obscurité, en même temps affrontement avec l’ombre et résultante en mots de ce conflit intérieur. Alors le poème passe de l’horizon de l’intériorité à celui de l’extérieure Polis : il devient ce que le poète est.
Mais l’enfant est un bois, et les feuilles
sont pourries ; les pieds scandent
un bruit de marécage très lent,
il avance et descend vers le noir des opposés :
là où l’attend la peur
dont le corps se souvient,
au milieu, vers les bords
qui soudent la toile de la mort,
au point exact où l’inanité se déchiffre
Et seul, les pieds nus, il erre.
[extrait de Formes d’eau]
III
Et voici qu’enfin
comme dans un rêve sans
éboulement du temps tu te retrouves
à prier seul
de l’autre côté.
Aucun dieu à l’horizon,
mais l’ombre d’un chant à peine perceptible
qui t’accueille,
tiédeur.
Combien de temps durera
ce soulèvement de draps dans le vent
et ces prés scintillants
ce presque éveil ?
[extrait de Du Purgatoire]
Vers la revue Hétérographe, revue des homolittératures ou pas
http://www.heterographe.com/