Pierre-Antoine Navarette, Le Café du matin, Psychose, Les Espaces Chtoniens
Le café du matin
Au petit jour encore timide, tout juste levant, j’existe non de loin de toi, je dors même encore en entendant de manière diffuse, dans la cuisine éveillée, tes sons matinaux qui viennent effleurer la peau de mon corps nu, ensommeillé. Je sais, je devine que tu y exécutes ton rituel du matin, que tu y répètes des gestes quotidiens que tu manifestes inlassablement pour me mettre tout doucement en mouvement. D’abord tu saisis le pot de café, puis la cuillère, qui vient s’y engouffrer, vers la machine, pour un jus à l’ancienne, et tu pries pour ne pas perdre ton tour de main, pour que vienne le café chaud destiné à apaiser ma bouche en déhiscence, et mes sens, introvertis, privés de lumière vive : toi seule détiens ce pouvoir sur mon être, ma personne captive, tantôt fuyant le dehors, tantôt scrutant à la fenêtre, pour revivre avec le jour, et tes gestes bienveillants qui me rassurent et me tirent des limbes de mon esprit résilient, émergeant, à peine mûr, et je le sais, pour apprécier ton amour tendre et sincère qui jamais ne regimbe comme une douce prière.
Psychose
Et soudain, avec entrain sans prévenir, ce fut en moi la grande aventure en délire, la grande inconnue : des transformations des plus saugrenues que je tenais pour vraies, sont apparues. Dans les premiers instants, ma tête en interne prit feu je ne sais comment, l’esprit en berne, sans doute étaient-ce les premiers signes d’un état dément, d’un modus operandi psychique des plus insignes, des plus surprenants. Ensuite, comme je commençais à être souffrant, j’ai arrosé mon crâne avec ce qui me restait de liquide et de tempérament. Et dès lors, je suis devenu fluide, comme l’huile sur le feu, comme l’exil amoureux. Je suis passé à un autre état du moi délirant. A la suite des premières déconvenues, j’ai exécuté des rituels magiques pour recoudre ma psyché mise à nu : des gestes abracadabrants, automatiques et pour le moins excitants. Enfin, je me suis senti flottant, mon esprit comme des grains de sable mouvant qui s’enfonçaient dans d’autres temporalités fécondes du moi aliéné. C’était comme ça en moi, dans l’espace chtonien de l’esprit et dans le temps, au sein d’un processus des plus aliénants. O psychose tu as fait de moi un non-être ! Et dès lors je ne sais plus où me mettre, un sujet qui ne cesse de se transformer, d’apparaître, comme si s’ouvraient dans mon âme des fenêtres sur des réalités imperceptibles pour les sujets ordinaires et indivisibles. O esprit scindé en éternelle rémission ! O esprit fécond en perpétuelle refonte, en transformation ! Que le procès d’individuation est difficile quand on est fou, quand on est protéiforme, mais non pour autant imbécile au sens premier de la forme. Et la vie pour comprendre ce qui n’a eu de cesse de me surprendre. Aujourd’hui je suis à l’asile et je vais mieux même si encore j’hallucine par mes yeux. Je suis sous médi-calmants, sous antipsychotiques et je chante et ris de la démence avec mes camarades en résilience, ces autres cas psychiatriques !
Les espaces chtoniens
Quand tu verras ces espaces chtoniens se profiler sous toi, toi qui marche vers les profondeurs de ta psyché, tu sauras que tu rejoues, entre autre, ici et là, le mythe d’Orphée, que travaille en dedans de toi une œuvre plus importante que n’importe quel objet concret que tu confectionneras au dehors de ton for intérieur. Tu sauras que tu dois tantôt creuser au fond, aller chercher la pépite, la perle rare, tantôt remonter à la surface sans te retourner comme c’est le prix à payer pour un état que tu ne connais pas encore, que tu ne connaîtras pas dès lors si tu ne respectes pas ces principes mythiques, psychiques. Quand tu t’enfonces, quand tu t’engonces vers le centre de ton être, comme les héros de Jules Vernes dans Voyage au centre de la Terre, tu rencontreras d’autres êtres qui composaient la mosaïque fragile du moi, qui équilibraient ton système psychique depuis ta plus tendre enfance. Il te faudra les quitter, les faire sortir de toi, rejeter, refuser ces aliénations mentales, abandonner ces images parentales jadis structurantes pour te façonner toi, à ton image, à l’image de Dieu, sans te scinder en deux. Cette œuvre tant recherchée, c’est ton toi profond, ici résilient, là unique, une entité indivisible esprit-corps à bâtir, à structurer, non malléable mais pourtant souple, non rigide mais seulement ferme, comme le roseau penchant. Dans les espaces chtoniens dans lesquels tu as entrepris ce voyage introspectif, ce long processus intérieur, il y a de la matière première à faire remonter, une belle dame à sauver, des rencontres aléatoires à engager, il y a la quintessence du moi qui se restructure, s’auto-alimente, qui se façonne à neuf en interaction avec la surface qu’il te faudra rejoindre un jour, sans te condamner à la structure fermée repliée sur soi. Il te faudra jouer l’ouverture, quitter la chtonie pour revenir à la vie.