Pierre Perrin, Des jours de pleine terre — Poésie, 1969–2022

Le journal intime d’un homme en colère.

Difficile de donner une vision d’ensemble d’un massif poétique s’érigeant de 1969 jusqu’en 2022. De multiples sujets y sont abordés, pour certains intimes, et qui connaît Pierre Perrin reconnaîtra facilement des épisodes racontés sous un autre angle dans son ouvrage autobiographique Une mère Le cri retenu, pour d’autres appartenant à l’actualité la plus contemporaine, comme la guerre en Ukraine, ou « sur un cliché qui a ému le monde », le corps de cet enfant migrant gisant sur une grève.

Mais ce qui unifie le tout, c’est un regard, une révolte, une façon de dire « non » à l’ordre des choses et du monde, et en cela, ce texte est « poétique » au sens étymologique du mot, parce qu’il crée, non pas un monde, mais ce désir d’un monde autre.

Une poésie non pas tout à fait sans musique mais sans mélodie, une poésie percussive. Un peu comme Nietzsche philosophait à coups de marteau. On y chercherait en vain la rythmique classique des vers, même si elle se présente versifiée de façon apparemment classique, la plupart du temps

À Jean-Jacques aussi, précoce à ce point attardé que,
Lisant Horace à cinq ans dans le texte, à cinquante,
Embarrassé de sa pisse, il reste le copiste qui s’interdit
De mendier une pension. Moi non plus. (P.119)

Alain Nouvel Pierre Perrin Des jours de pleine terre Poésie 1969-2022 Publié aux éditions Al Manar ISBN 978-2-36426-306-2.

Les mots-valises, comme « Occidécadentaux » ou « islamopithèques » entraînent très explicitement vers la satire et il y a, de fait, quelque chose de profondément satirique dans cette poésie, même si aucune opinion politique n’y est clairement affirmée. Une peur de la décadence, peut-être celle de la mort, après Paul Valéry qui a dit « Nous autres, civilisations, savons maintenant que nous sommes mortelles » ?...

Pierre Perrin pose des questions brutales rugueuses, polémiques : « Quelle consolation apporte à un cadavre l’âme ? » ou encore, parlant de Facebook qu’il connaît bien :

                             (…)Qui outrepasserait l’écran ? 
Chacun est facebooking, harassé. Éteignez l’écran, il
Se rallume. Toujours ailleurs, chacun gère son complot,
Son ragot, son garrot, son fagot, son rigoletto, ses totaux
Rauques. Totaux de clics ? Un cliquetis de dents, dehors (…) (p. 118)

A ces critiques acerbes répondent « trois épures une fresque », dédiées à René Guy Cadou, Jacques Réda et Jean Pérol. Trois presque sonnets pour des maître vénérés. Plus tard, « Gisant debout », un hommage à René Char, « « sans doute dernier grand poète français du XXème siècle » … Il y a, par ailleurs, tant de faux prophètes et de faux poètes !

Mais la colère de Pierre Perrin vient de plus loin que ces impostures contemporaines,

Entre naître et n’être rien, le cri, le silence
(…) Rien, qu’est-ce que vivre, sinon s’approprier seul
L’infini particulier d’une éclipse de mort ?
(…) Écrire à la craie devrait suffire sur une ardoise où lire
La tendresse (P. 129)

Cette colère, de façon très étonnante, peut se métamorphoser en tendresse comme on vient de le voir, ou encore en appel désespéré « Au vainqueur » : « S’il te plaît, n’achève pas qui s’enfonce dans la nuit. » ou en cette résignation devant la force des choses : « Nature reste reine chez elle, qui tout emporte. » ou en cet amour pour l’Enfant : « Je me coucherai pour le bonheur de te savoir rester debout. »

Dans cette somme poétique, on retrouve un goût certain pour la parataxe, un style qui se veut classique, sans gras, à l’os. « Sur le chemin des syllabes, rocailleux, abrupt », un usage surabondant du présent de vérité générale, celui même des Maximes et Proverbes des Moralistes français : « En sacrifiant à la réussite, aux sournois exercices du pouvoir, chacun écrase les idées de traverse. La raison châtre les illusions. Des remords restent dans la gorge. Les nouveaux prêtres d’aujourd’hui ne délivrent personne. Le consumérisme pollue. La poésie n’est pas remboursée. ».

Mais derrière cet apparent classicisme, le baroque de métaphores parfois provocantes, étranges, hyperboliques :

                                                chaque séparation
Pire que si chacun s’était dépecé vivant sans un mot
                                                        ∗
                                                qui regrette
D’avoir battu ses paupières mieux qu’un briquet
Sur cet envol des jours
                                                        ∗
L’église fermée, la morale reste ouverte pire qu’un rasoir
                                                        ∗
Le blé qui tire vers le soleil
Éjacule sous la dent 

Et derrière cette apparente dureté, une générosité qui se réserverait pour d’autres causes. « L’Équilibre », par exemple : « un jour le vent se lève, la voix chante et le poète se découvre aussi à l’aise dans sa langue que l’on peut l’être dans sa peau. (…) Le poète à maturité ne se demande pas d’où lui arrive la voix ; il travaille de son mieux la merveille et l’épouvante, le dégradé entre les deux et il respire ; il fend l’air de son existence. »

Présentation de l’auteur

Pierre Perrin

Pierre Perrin de Chassagne est un poète, romancier et critique littéraire français.

Il a participé en tant que critique au magazine "Poésie/Vagabondages" en 1997 et participe toujours en tant que critique à "La Nouvelle Revue française" et à une douzaine d'autres revues et périodiques.

Il a été rédacteur en chef de la revue "La Bartavelle" 2e série publiée par La Bartavelle Éditeur de 1994 à 1997. Il dirige depuis 2015 la revue numérique "Possibles" et écrit régulièrement des articles de recension pour "La Cause Littéraire".

En 1996, Pierre Perrin est lauréat du prix Kowalski de la ville de Lyon, pour son recueil "La Vie crépusculaire".

Bibliographie

Poésie :

Pleine Marge (La Presse de Gray, 1972),
Le Temps c’est aujourd’hui (éditions Saint Germain-des-Prés, 1974)
Dans l’ordre des hommes (éditions Possibles, 1977)
Chroniques d’absence (éditions Possibles, 1979)
Manque à vivre, poèmes 1969-1984, postface d’Yves Martin, (éditions Possibles, 1985)
Le Temps gagné, (La Bartavelle éditeur, 1988)
La Bartavelle présente Pierre Perrin (La Bartavelle éditeur, 1989)
Lumière et poésie, avec 42 reproductions couleur de Michel Lescoffit, (Galerie St-Laurent éditeur, 1990)
Un cœur sans amertume (La Bartavelle éd., 1992)
La Naissance recommencée, poème accompagné de cinq gravures de Philippe Debiève, (La Truite qui Trotte éditeur, 1994)
La Vie crépusculaire, prix Kowalski de la ville de Lyon, (Cheyne éditeur, 1996)
Offrandes jumelles, poème accompagné de huit gravures de Philippe Debiève, (les Runes de l'Oréade éditions, 1998)
La Paix au large, poème en sept jours, sur sept gravures de Florence Crinquand, (2005)

Proses :

Lycée-passions, récit, (1986)
Un voyage sédentaire, notes, (éditions Possibles, 1986)
Toccata en rêve, roman, (éditions Possibles, 1987)
L’Enfant de la terre, roman, (éditions de la Vallée, 1991)
Les Caresses de l’absence chez Françoise Lefèvre, essai, (éditions du Rocher, 1998)
Franche-Comté, avec cent photographies de Marc Paygnard, (Castor & Pollux, 1999)
Au cœur de la vallée de la Loue, avec Jean-Louis Clade, (éditions Cabédita, 2000)
Une Mère – Le Cri retenu, récit, (Le Cherche Midi éditeur, 2001)
Histoire de famille, avec quarante photographies d’Éric Toulot, (éditions du Parasol, 2001)

Anthologies :

Les cent plus beaux poèmes de Victor Hugo, préface et choix, (Club France Loisirs, 1987)
Choses vues (de Victor Hugo), préface et choix, (éditions de la Vallée, 1990)
La Poésie romantique II, Victor Hugo, (in La Bibliothèque de Poésie en 16 vol.), préface et choix, (Club France Loisirs, 1992)

Poèmes choisis

Autres lectures