La thé­ma­tique du regard dans l’œuvre poé­tique de Pierre Reverdy ne tient pas unique­ment à la présence de dessins, de gravures et de pein­tures d’artistes comme Pablo Picas­so, André Derain, Juan Gris, Hen­ri Lau­rens, Georges Braque ou Hen­ri Matisse. Certes, nous pour­rions expli­quer cette omniprésence de l’œil et de l’image par des élé­ments d’ordre biographique. En effet, Pierre Reverdy est le descen­dant d’une famille de sculp­teurs, d’où un rap­port par­ti­c­uli­er au dessin. De plus, le poète s’est instal­lé le 1er avril 1912 au no. 13, Rue Rav­i­g­nan, à Mont­martre (aus­si appelé Bateau-Lavoir, haut lieu de la pein­ture et de la lit­téra­ture des années du cubisme, où il restera jusqu’au 15 févri­er 1913), dans l’atelier qui fai­sait face à celui de Juan Gris. Enfin, Reverdy a été le fer­vent défenseur des cubistes, notam­ment dans sa revue Nord-Sud. L’influence des pein­tres et des poètes de l’époque n’est pas anodine, mais ce qui atti­ra par dessus tout Reverdy dans la thé­ma­tique du regard sous toutes ses formes, c’est le souci con­stant de dégager la véri­ta­ble sub­stance des choses. Car le regard de l’œil, rela­tion fon­da­men­tale entre moi et l’autre, n’est qu’une par­tie de l’esthétique rever­di­enne. Le regard de l’esprit, traduit par le lan­gage, pos­sède cette supéri­or­ité sur la vue qu’il peut ren­dre lis­i­ble ce qui est invis­i­ble, ren­dre sen­si­ble l’imperceptible. D’où l’enjeu majeur de l’interaction entre poésie et pein­ture, entre ce qui est lu et ce qui est vu, deux domaines se com­plé­tant mutuelle­ment. Ain­si, le poète traite d’une expéri­ence de vision, non du monde pro­pre­ment dit, même si nous ne pou­vons nier le fait que ce regard de l’esprit sur le réel soit lui aus­si par­tie inté­grante du monde, tout comme notre œil qui per­met la vision est lui-même au monde. De plus, pein­ture et poésie, imag­i­naire et réel, vis­i­ble et invis­i­ble, l’autre et le moi, le dehors et le dedans, cherchent per­pétuelle­ment, dans la poésie de Reverdy, à entr­er en com­mu­ni­ca­tion. Or, dans cet acte de per­cep­tion du vis­i­ble ou de l’invisible, se con­stitue une activ­ité dynamique sym­bol­isée par le mou­ve­ment : de l’âme, du corps, du soleil, du dedans vers le dehors, du bas vers le haut, par le chemin, la trans­gres­sion des « murs », l’ouverture des portes et des fenêtres. Cette poésie met le regard en marche, le monde étant placé sous nos yeux et nos yeux étant au monde dans un même mou­ve­ment. C’est dans cette per­spec­tive que s’inscrit la lucarne chez Reverdy, ten­ta­tive de libéra­tion de l’ego per­ci­pio.

          Dans les recueils de Plu­part du temps, l’une des pos­si­bil­ités qui s’offre au poète est d’infiltrer la ligne de son regard par la brèche, l’interstice des volets :

 

Dans le cadre

Et par les volets

On peut regarder à travers 

« Même numéro », Les Ardois­es du toit, dans Plu­part du temps

 

            Ce « cadre », clos par­fois par des volets ajourés, implique au moins un dehors et un dedans, au sens pro­pre et au sens fig­uré, car ces ter­mes s’appliquent aus­si bien au bâti­ment dans lequel se trou­ve l’être regar­dant, qu’au poète lui-même qui s’extériorise en écrivant ou qui regarde vers l’autre pour l’atteindre. L’extérieur et l’intérieur ten­tent de se rejoin­dre dans la poésie de Reverdy. Ain­si, selon que l’on ouvre ou que l’on ferme le « cadre », c’est-à-dire la fenêtre, le monde nous appa­raît dans son être ou dans son paraître. C’est ce que veut dire Reverdy lorsqu’il définit dans Le Gant de crin « le vrai sens de la vie et sa défor­ma­tion dans les glaces du monde : Être, être, être. Paraître, être, paraître, être, paraître. Paraître, paraître, paraître ». L’alternance des ces deux anaphores met en évi­dence un aller-retour entre l’intérieur et l’extérieur, et peut-être une hési­ta­tion ou une dif­fi­culté. Toute­fois, elle mar­que aus­si un élan néces­saire pour saisir l’autre, ce qui est extérieur à soi. La poésie de Reverdy est donc défen­es­tra­tion car toute la matière poé­tique suit le mou­ve­ment du regard vers le dehors et, par procu­ra­tion, le mou­ve­ment du corps.

            Le lecteur pour­ra d’ailleurs inter­préter en ce sens le recueil La Lucarne ovale. En effet, le poète a parsemé ce recueil de poèmes en prose cen­trés sur la page, proches de l’épitaphe par leur brièveté, mais aus­si du con­te si l’on en croit l’expression lim­i­naire du pre­mier de la série :

 

                           En  ce  temps-là  le charbon

                           était  devenu  aus­si précieux

                           et  rare que  des pépites d’or

                           et  j’écrivais dans un grenier

                           où  la  neige, en tombant par 

                           les  fentes  du  toit,  devenait

                                              bleue

 

            Si nous nous pen­chons sur le sens du nom com­mun « lucarne », nous pou­vons le définir comme une petite fenêtre pra­tiquée dans le toit d’un bâti­ment pour don­ner du jour à l’espace qui est sous le comble. Elle peut être ronde, ovale – œil-de-bœuf – ou car­rée. Le titre du recueil nous pousse à choisir le deux­ième aspect pos­si­ble mais nous sommes retenus dans notre élan par la forme de ces courts poèmes et par un texte de Reverdy, dans Flaques de verre : « Rides de givre »

 

Je perds l’éclat du sourire de ce ciel lim­ité en quadri­latère éten­du mort comme une porte au-dessus du toit de mon lit

De même, l’idée d’une lucarne « quadri­latère » se retrou­ve dans le poème « Nuit », extrait du recueil Les Ardois­es du toit, lorsque nous lisons le vers suivant :

Je regarde le ciel par cet œil en losange

 

Quoi qu’il en soit, dans La Lucarne ovale, nous sommes en présence de sept petits poèmes comme autant de petites lucarnes dis­séminées tout au long des textes. Le terme « lucarne » plutôt que celui de « fenêtre » sem­ble aus­si avoir son impor­tance. De fait, son éty­molo­gie nous trans­porte dans un lieu fait de lumière. Le mot « lucarne » est né, en effet, de l’ancien français « luis­erne », c’est-à-dire « flam­beau, lumière », lui-même issu du latin « lucer­na », autrement dit « lampe ». Nous pou­vons à présent mieux saisir le sens de la cinquième petite « lucarne » poétique :

                               

                                                                On  ne peut plus dormir

                                                                tran­quille  quand  on   a

                                                                une fois ouvert les yeux.

 

            La « lucarne » pour­rait donc être le flam­beau guidant le regard et l’esprit vers la Vérité du monde, c’est-à-dire vers son Être. Ain­si, nous ne pou­vons qu’opter pour une « lucarne » en œil-de-bœuf puisqu’elle est liée étroite­ment au regard. Flam­beau pour l’esprit comme pour l’œil, La Lucarne ovale sem­ble de sur­croît mimer la forme semi-cir­cu­laire du globe ocu­laire. Lucarne et mou­ve­ment du regard sont effec­tive­ment intime­ment liés.

            Cepen­dant, la per­cep­tion du dehors au tra­vers de la fenêtre se révèle insuff­isante. En effet, la vit­re de la lucarne per­met au regard d’aller vers l’essence des choses mais pas for­cé­ment de la saisir pleine­ment. Elle sem­ble tou­jours con­stituer un obsta­cle entre le moi et l’autre. Nous pou­vons d’ailleurs lire, dans le poème « Autres jock­eys, alcooliques » des Jock­eys cam­ou­flés, que le « je » poé­tique « ne voi[t] que l’ombre sur l’écran de la fenêtre ». L’utilisation du sub­stan­tif « écran » apporte à la phrase l’idée d’une cer­taine opac­ité, accrue par la présence de l’ombre. De plus, la redon­dance de la notion de cadre au tra­vers de « l’écran » et de « la fenêtre » peut nous faire penser au tableau artis­tique ou au miroir. Dans les deux cas, l’objet est mis en valeur par l’encadrement – la toile peinte pour le tableau et le reflet pour le miroir – mais, dans la poésie rever­di­enne, il finit à l’évidence par être figé ou défor­mé. Et nous retrou­vons le même con­cept en ce qui con­cerne les objets vus au tra­vers d’une vit­re. Dans le même poème des Jock­eys cam­ou­flés cité plus haut,

 

le feu se refroid­it dans les glaces où

il reste pris

 

Le feu est ici pris au piège par « les glaces ». Le lecteur est cepen­dant libre de s’interroger sur un éventuel jeu séman­tique : de fait, il peut s’agir soit de la cristalli­sa­tion de l’eau due au froid, soit du miroir, soit de la plaque de verre ou du châs­sis vitré.

            Avec le texte « Le reflet dans la glace, fête foraine » tiré du recueil Cœur de chêne, le poète s’épanche plus longue­ment sur le problème :

 

(…)Per­son­ne ne se lasse que cette expo­si­tion représente pen­dant des kilo­mètres des visions répétées de parades foraines

Même cer­taines de ces innom­brables têtes se lais­sent aller par moment et s’endorment

Ce qui peut alors laiss­er croire que le tableau s’est animé

Les lut­teurs sem­blent avoir une peau réelle qui se gonfle

        On voit fris­son­ner les cordes et les nerfs

                     On entend aus­si les voix des portes

                      La lumière tremble

                      Et le bruit meurt

                      Tout recommence

Enfin c’est cette vie qui en réal­ité n’existe pas

Ce qui avance ce sont ces têtes innombrables

Ce qui bouge ce sont ces épaules qui plient sous le brouillard

Et ce qui brille ce sont les yeux vivants des spectateurs 

 

Le reste est aus­si mort que les grandes façades

       Aus­si muet que l’angle du trottoir

Il y a der­rière un appareil qui fixe le regard

Une machine à part qui fait tourn­er la terre

        Un mou­ve­ment de vague aus­si faux que le

        rouge du fard (…)

 

            Le titre, tout d’abord, est révéla­teur puisque le « reflet dans la glace » est assim­ilé à une « fête foraine », et vice ver­sa. Or, la fête foraine est le lieu par excel­lence du fac­tice, des tours de pres­tidig­i­ta­teurs, de l’apparaître aux dépens de l’être. L’essence des choses y est défor­mée comme le souligne le vers suiv­ant : « les lut­teurs sem­blent avoir une peau réelle », sous-enten­dant que leur « peau » – autrement dit leur « façade » externe – est con­tre­faite. De plus, les allu­sions aux « expo­si­tions » et au « tableau » ne font qu’accroître l’impression de pétri­fi­ca­tion qui règne sur le poème, puisque les têtes qui s’endorment « peu[vent] alors laiss­er croire que le tableau est ani­mé ». Mais l’espace et les choses ou êtres qui le peu­plent ne sont pas les seuls élé­ments con­cernés par cette absence de mou­ve­ment. Le temps humain lui aus­si sem­ble être sus­pendu dans sa course car « tout recom­mence » infin­i­ment, comme si l’instant présent se répé­tait encore et encore.

            Ain­si, les yeux de l’ego per­ci­pio sont les seules choses vivantes et réelles, comme le sont ceux des « spec­ta­teurs » de cette étrange fête foraine, face au monde qui se donne à voir der­rière la vit­re défor­mante de la lucarne, comme der­rière le masque de vie déployé dans le texte. Certes, il suf­fi­rait d’ouvrir la fenêtre pour échap­per à cette malé­dic­tion de la Gor­gone ou bris­er la vit­re. Mais, mal­gré « les éclats » des vit­res qui « se bri­saient en tombant dans la rue » et la joie que cela lui pro­cure, la chute est ter­ri­ble puisque « même les per­si­ennes / Sont retombées »  (« Tête », Les Ardois­es du toit). De plus, les fenêtres restent somme toute des « trous » élar­gis, encer­clés de murs, et par où le corps ne peut pass­er, lais­sant l’être regar­dant à sa frus­tra­tion ini­tiale. Dans la poésie de Reverdy, le seul moyen d’outrepasser l’emprisonnement, corps et regard con­fon­dus, est donc de franchir la porte. Le poète fait mon­tre d’une forte volon­té de refaire l’unité entre le dehors et le dedans.

            Dans « Pour le moment » (La Lucarne ovale), nous pou­vons lire :

 

Je ris au bas de l’escalier

Devant la porte grande ouverte

Dans le soleil éparpillé

Au mur par­mi la vigne verte

Et mes bras sont ten­dus vers vous

C’est aujourd’hui que je vous aime

 

Nous pou­vons not­er ici la présence de deux inter­venants car­ac­térisés par la pre­mière per­son­ne du sin­guli­er et la deux­ième per­son­ne du pluriel. Les indi­ca­tions ne sont pas suff­isantes pour dire si cette dernière mar­que le vou­voiement de politesse envers une per­son­ne bien déter­minée ou si elle mar­que au con­traire un sim­ple pluriel. Quoi qu’il en soit, l’effort du moi pour saisir l’autre est évi­dent : le « je » lyrique tend sans réti­cence les bras vers ce qui est extérieur à lui. Ain­si, l’ouverture de la porte de la mai­son est aus­si celle des tré­fonds de l’être, dans un désir de con­quérir l’autre.

 

Le mys­tère des portes

On fran­chit l’émotion qui barre le chemin

Et sans se retourn­er on va tou­jours plus loin

La mai­son ne suit pas

La mai­son nous regarde

« Les Jock­eys cam­ou­flés », Les Jock­eys camouflés

 

Une fois la porte ouverte, c’est un nou­veau moi qui se pro­file puisque le départ se fait sans regard en arrière. Le fran­chisse­ment du seuil se des­sine donc comme une pal­ingénésie. Dans un pas­sage des « Jock­eys mécaniques », le thème de la re-nais­sance est d’ailleurs flagrant :

 

En bas tout le monde lev­ait la tête et regardait

On ouvrait les portes de der­rière avec fracas

Les jardins se rem­plis­saient d’enfants mal

réveil­lés

Et sur les fenêtres où les bal­cons manquaient

des gens en chemise

grelot­taient

 

Ceux qui passent l’embrasure sem­blent retourn­er à un âge d’innocence ou du moins un âge d’apprentissage. « Mal réveil­lés », ils posent prob­a­ble­ment leur regard embrumé et éton­né sur le monde extérieur qui, au sor­tir d’un long som­meil – le même que celui de l’ego per­ci­pio pris­on­nier ? – , doit leur paraître dif­fi­cile à saisir. Et ces « enfants » ne sont pas frileux – au sens pro­pre et au sens fig­uré – comme le sont ces « gens en chemise ». Mais aux dif­fi­cultés immé­di­ates du monde extérieur se sub­stitue finale­ment un ailleurs fuyant.

            En effet, les poèmes des recueils de Plu­part du temps sont ponc­tués d’images de fuite, d’écoulement ou de pas­sage. Les élé­ments vont et vien­nent dans un mou­ve­ment inces­sant : temps changeant, « sable mou­vant », vent qui hante l’espace et les blancs de la typogra­phie, nuit et jour qui se dérobent. Les êtres s’approchent puis se détour­nent. Les portes et fenêtres des autres bâti­ments se fer­ment plutôt qu’elles ne s’ouvrent. Les lumières s’allument mais surtout s’éteignent : « chute » des étoiles et du soleil dans la bouche béante de l’horizon, éclairages qui décrois­sent. Le poème « Haut ter­rain vague », tiré de la Gui­tare endormie, pour­rait d’ailleurs venir étay­er cette impres­sion générale de fuite du monde du dehors avec sa dernière strophe :

 

La porte s’entre-bâille

La rue s’éloigne

Il n’y a plus rien

Seule­ment la façade

Le vis­age

Et la place d’un regard

La palis­sade

 

Le regard accom­pa­g­né du corps qui peut se fau­fil­er par la « porte []entre-bâill[ée] » ne parvi­en­nent pas à s’emparer de quoi que soit. Seul reste un vague « rien » et, bien sûr, la « façade » de la mai­son d’où sort l’ego per­ci­pio. Comme le temps, le sable, le vent et la lumière, les objets du monde extérieur glis­sent entre les doigts :

 

Il faut par­tir coûte que coûte

Et l’ombre qui passait

Celui qui regardait

Le monde qui riait

S’évanouissent

« Ecran », Les Ardois­es du toit, dans Plu­part du temps

 

Le regard, et plus générale­ment le moi, tente vaine­ment d’adhérer au mou­ve­ment du monde ou, tout du moins, de pour­suiv­re ce dernier. Les objets ne con­stituent donc plus véri­ta­ble­ment des obsta­cles mais échap­pent au moi. Dans une let­tre du 16 Mai 1951 à Jean Rous­selot, Reverdy écrit à ce propos :

 

La ter­reur du monde réel n’a jamais cessé de peser sur ma des­tinée. Je crois qu’on n’a jamais vu, dans mes poèmes, que la terre n’a jamais été solide sous mes pieds – elle chavire, je la sens chavir­er, som­br­er, s’effondrer en moi-même. Le sens de cette insta­bil­ité cos­mique que j’ai ressen­tie, ne m’a jamais tant frap­pé que depuis que cette crainte sem­ble avoir gag­né un peu tout le monde.

 

Or, il paraît évi­dent, d’après ce que nous venons de dire, que la poésie de Reverdy – quoi qu’il en dise – tran­scrit une cer­taine angoisse liée à l’impossibilité de saisir pleine­ment le « monde réel » per­pétuelle­ment en fuite.

            Ain­si, une cer­taine nos­tal­gie des espaces clos et du cocon de la mai­son peut se faire ressen­tir. Le dedans l’invite à venir à nou­veau se réfugi­er dans ses entrailles. Le poète sem­ble être con­sumé par l’incertitude :

 

Une porte qui s’ouvre éclaire un car­ré de pavés et laisse voir un intérieur pais­i­ble où dort sans inquié­tude un enfant, près du poêle qui ron­fle. Mais l’homme seul qui sort hésite à s’éloigner pour marcher dans la nuit.

« Fan­tômes du dan­ger », Poèmes en prose

 

La mul­ti­tude d’images de départ man­qués ou regardés de loin sem­blent d’ailleurs être une des con­séquences directes de cette con­tin­gence. Le poète tente dés­espéré­ment de rat­trap­er le « monde réel », d’après les ter­mes de Reverdy, mais la plu­part du temps il reste à quai dans une atti­tude d’attente.  

            Il s’avère donc que la dernière atti­tude de l’ego per­ci­pio plein de regret soit celle de l’attente « sur le seuil » de la mai­son (« Moi-même », La Gui­tare endormie). De fait, il ne peut ni ren­tr­er à nou­veau, ni attein­dre l’ « autre ». Entre deux mon­des, « avec le seul mou­ve­ment déréglé de l’horloge / le bruit du train passé / J’attends », écrit le poète dans le dernier texte de Cra­vates de chan­vre. Ain­si, « la plu­part du temps », durant lequel le poète « attend », s’achève sur une « langue sèche ». Nous pou­vons donc en con­clure que la parole – et plus encore la poésie – est un pal­li­atif au sai­sisse­ment avorté ou par­tiel du réel. Reverdy écrit d’ailleurs dans En Vrac :

 

La poésie c’est ce lien entre moi et le réel absent. C’est cette absence qui fait naître tous les poèmes

 

mais aus­si :

 

La poésie est dans ce qui n’est pas. Dans ce qui nous manque. Dans ce que nous voudri­ons qui fût. Elle est en nous à cause de ce que nous ne sommes pas… La poésie c’est le bouche-abîme du réel désiré qui manque.

 

C’est pourquoi nous ne pou­vons par­ler de libéra­tion totale de l’ego per­ci­pio au tra­vers du regard lancé par la lucarne. Le poète doit donc se con­tenter d’un sché­ma imper­fec­tif qui « tend vers » l’affranchissement, sché­ma qui, en défini­tive, per­met à la poésie de voir le jour.

 

 

 

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