Pierre Stans, Opus niger

Ralentir pour échapper à l’accélération du corps et digérer l’histoire

Opus niger roule ses mots anciens au fil du fleuve de feu dévalant le volcan inouï, fleuve délétère courant toute poésie comme est courue la mort (toute la poésie est noyée, brûlée, en flammes). Pierre Stans, pseudonyme probable pour affronter celle-ci, place son œuvre au noir sous les cendres chaudes du Santorin. Plus loin recèle lave noire emporte le poème roulant sous les architectures utérines.

 

Pierre Stans, Opus niger, PhB Editions, 2018, 103 pages, 10 €.

Où porter l’épée de nuit ? souffle le masque du poète au corps étendu et blessé des signes tatoués sur (son) corps en des endroits dérobés.

Toujours ce lieu dérobé, forcément pétri de la négritude originelle, ce lieu de tous les tremblements, lieu écrit qui bée, tatoué pour vaincre l’éternité. Plus loin était hier et est, aujourd’hui encore.

Noirs sont les desseins du temps emportés par la vague des flammes et des eaux mêlées, Pierre Stans explore les contrées de chairs fabriquées dans l’espace de la remembrance, les interstices des peaux tannées ; l’écriture en est le lieu parfait, encore faut-il la retrouver, minérale, fragile, dans les bibliothèques des temps premiers de l’écriture où les manuscrits levaient en secret l’origine de toute chose.

Écrire sur le corps pour que ce corps ne perde rien. Sur le corps, sur les hanches pleines, toutes les bibliothèques rangées. Pour que l’esprit puisse lire ad vitam ce que recèle sa totalité.

Opus niger est le poème central de l’ouvrage éponyme qui l’enferme. À jamais le rêve létal organise ce livre de la première à la dernière ligne. Écoutons Antérieur, le premier poème, planté comme les deux jambes d’un corps sur lequel s’accomplit l’érosion errante de chaque jour avant de s’interroger sur le double de soi, cet éternel vivant vaquant le long de chemins obliques. Avant Opus niger, Antérieur note l’indifférence du ciel. 

Enjambons, passons à la Vision de l’ennemi où il est recommandé de ralentir pour échapper à l’accélération du corps. Ne pas aller trop vite, trop loin, voyager intime. Une vie comme un tunnel avant la chute dans le vide. Mais on recommence, dit Pierre Stans en quête d’écriture, toujours ; pour sauver les jours finissants il veut croire que de nulle part viendront à l’esprit des citations pour durer encore dans la langue. Dans la vie la langue. Alors cet ennemi ? ce soi-même répliqué agissant dans un vide ou il-ne-sait-quoi d’obstiné et d’insistant renvoie au tunnel. Cet ennemi qui vit aux dépends des cellules déjà moribondes, s’en délecte, avance dans le dos. S’il mourrait, lui, et pas moi. Eh bien non.

On le vit antan, sous la cendre de Santorin, voici près de 3800 ans, précisément à Akrotiri, Théra, lieu mythique de l’écriture exhumée mais non encore transcrite. C’est là que nous transporte Pierre Stans, rescapé de la tragédie et revenu par tunnel et vide, dans l’écriture même, en un bond prodigieux, réalisé à vitesse lente pour digérer l’histoire. L’histoire de l’écriture est toute entière recluse dans ce vestige (vertige) nommé Linéaire A, monument à l’écriture inventée par la civilisation mycénienne des Cyclades. Que disent ces 90 signes de nous-mêmes, ces 57 syllabes de nous-mêmes ? Pierre Stans est muet sur ce point. Il s’en remet aux images de la cité de cendres pour clore son exercice. Son chant résonne en traces menues, garde le secret de l’écriture ancienne car malgré l’effort conjugué du poète et de son double il y eut le constat d’un silence. 

Que le double l’emporte, semble dire Pierre Stans. Ce double était, il est, il sera et restera dans l’évidence de la matière, le mystérieux scripteur des manuscrits levant en secret l’origine de toute chose.

Opus niger réunit six poèmes organisés autour du poème éponyme et écrits, selon l’auteur, dans les années 1970 et suivantes, pour mourir dans Calcaire en 2014.