1.
t’ont-ils confié ce qu’ils disaient entre eux
ils parlaient de choses
que tu ne pouvais comprendre
de chemins indécis
de clairières trop lointaines
ils recueillaient des signes sur la table
pour préserver l’aurore et le silence
en s’arrêtant sur une feuille
et tant de nuits penchées à la fenêtre
tu les voyais border le ciel de flammes et de pétales
ce n’était pas une parenthèse
rien de tout cela ne leur appartenait
leur travail était ici et faisait d’eux des hommes
sinon leurs yeux et leurs poitrines
que garderas-tu de tous ces noms
la cendre de la pluie ?
le poids d’une rose qui les vit naître ?
les mots d’une femme tombés de leur visage ?
une trouée une brûlure
le bruit des choses inquiètes
qui s’accomplissent et se prolongent ?
peut-être la mélancolie du vent
quand ils s’en vont un peu plus loin
blessés par la lumière
courbés en toi chassés d’eux-mêmes ?
2.
à l’autre bout de ton silence
je me mêlerai à l’eau de ton visage
au rire de ta présence
j’accrocherai des confidences
aux pierres posées sur ta patience
à tes joues fraîches comme l’enfance
j’écouterai la femme et le ruisseau
la bouche de nos aurores
l’ombre féconde de nos fatigues
ensemble
nous laverons nos mains dans la lumière
le vent léger dans les cheveux
l’ivresse ouverte à l’invisible
notre maison avec les fleurs
sera offerte aux heures passées
aux rêves d’éternité
aux jours à venir sous le feuillage
je t’écrirai un seul poème
pour approcher ce qu’il dira de toi
et les mots au repos
tomberont plus loin
entre chacun de nos espaces
3.
l’air vibre
tout chante tout respire
le silence a rejoint
le feuillage et le pré
la mémoire creuse l’horizon
le temps nous reconnaît
la fenêtre du regard
tremble près du chemin
il y a tant de sourires
dans le bleu de l’instant
tant d’écoute
tant de fleurs
on s’assied à la table
de la lumière
on lâche l’ancre
de nos îles
à recueillir le bruit
de l’eau dans la rivière
on pourrait presque
se blesser à ce qui passe
on ramasse
des bribes sur la rive
on moissonne
l’invisible de l’eau
on dénoue
les visages perdus
posés pieds nus
sur chaque pierre
où irons nous en solitude
quand le soleil
sera couché
sur notre joie ?
4.
la main est pluie
sur le corps des amants
offerte au feu de vivre
livrant le chant du monde
sur elle reposent
les chagrins de la terre
la pensée en mouvement
le désir du soleil dans les arbres
sur elle se glissent
les secrets de chaque voix
la beauté et les sons
aux clartés déchirantes
on la regarde
comme une louange
plongée
dans l’eau de la rivière
et on ne saurait dire
de la rivière ou de la main
laquelle s’en va
laquelle reste
pour nous offrir
la transparence
la lumière
et la mer.
5.
ils parleraient
dans l’élan indécis d’un matin
d’une soif sans remède
où l’âme confuse
se cache auprès des feuilles
pour n’avoir pas dormi en vain
pour s’être nourris aux étoiles
ils ouvriraient les mains
aux visages inconnus du silence
au bruit léger des sources
ils parleraient
à la splendeur de ce qui vient
d’une parole libre
plus vaste que le sang
en équilibre sur le miracle ou la fatigue
d’être encore là
vivants
pour le rester
dans le frisson
de ce que la langue ignore.
6.
ils se demandent
mais que serait la fin de l’été
si elle n’apportait son lot
de sable et de prières
la mer s’en va revient
comble les trous
ramasse les souvenirs
échappée du grand large
brûlant des sourires tièdes
ou encore bleus
l’heure veille courbe et creuse
les mots étendent sur l’eau calme
une mélodie plus tendre qu’une larme
ils se demandent encore
serait-ce cela
le pinceau sans limite de la joie
ce manque qui nous reste
ce fragile espoir
d’apprendre à naviguer
de ne plus fuir la solitude
cette vague sans promesse
gonflée aux cris et aux silences
livrant sa soif comme la partie d’un Tout.
7.
on portera plus loin
la flamme de la nuit
l’eau des rivières
et le silence de chaque peur
à quels printemps
se soumettront les certitudes
l’avenir de nos louanges
et cet espace de trop de mots
on mélangera aux fleurs
la terre à bout de souffle
la soumission des morts
les choses muettes qui nous guettent
la joie chauffera
une autre nécessité
la phrase inachevée de ce qui nait
dans le parfum des mimosas
8.
des yeux parfois questionnent la douleur
les profils perdus
la tendresse trop avide
ce temps qui tue enrage et file
mais sous nos pieds
des bateaux vont et viennent encore
l’eau trouble vient battre et réveiller nos tempes.
9.
tu portes
la source d’un murmure
l’essence d’un paysage
nourri au blanc du vent
porterais-tu
à l’étoile claire
l’empreinte
de son errance ?
10.
l’air lourd et chaud
remue le bleu
et le chemin
on demeure là
stupéfaits confondus
prenant le risque de la lenteur
on ne sait plus
on s’approche
on pleure doucement
on brûle des vestiges
un affolement
une volupté sublime
un désir de rupture
on doute
on fait silence
on ruse avec le monde
on entre dans la présence
une attention nouvelle
aux gestes aux rencontres
à la matière dont nous sommes faits
on se réconcilie
au vivant en marche
doux rugueux
visible ou invisible
on se lave au présent
au temps qui nous relie
nous porte nous emporte