« Dansez, dansez, sinon nous sommes perdus » Pina Bausch
Pina Bausch
Danse avec les yeux
Elle regarde
Même les yeux clos
Elle voit
On sent l’appui léger
De son regard
On sait que c’est là
Que commence
La danse
On comprend :
Le bleu n’est pas une
Couleur froide
Qui brûle
Sans brûlure ni cendre
La mer
N’est la mer que sous
La vague
Le reste
Bruits d’écume
Sur des gestes de noyé
Le ciel et la mer
Sont de même couleur
L’horizon
N’a jamais de frontière
Pas plus que la mort ne
Sépare l’âme et
Le corps
L’âme et la chair
Dansent sous l’unique
Paupière
Pina Bausch
Commence où se retire
Le regard
On comprend
Qu’elle veut se joindre
A l’universelle
Cécité
Pour commencer
Où tâtonne le Sensible
Comme danse
L’éphémère sans poids
Ni attaches
Indifférente
Au côté du vent
Qui emporte son désir
Mais jamais à la claire
Lumière où elle
Mourra
Comme l’aigle de face
Quand le soleil
Aveugle
Pina Bausch
Danse d’abord avec la
Paume
La carte muette
Des lignes à ciel ouvert
L’élégant cou de cygne
De son poignet à
La renverse
Le roseau d’un geste
Sur l’ombre courbe
De l’horizon
Avec ses doigts
Le long de l’amiante
Echevelée
D’éruptions solaires
Cherchant
Les aurores boréales
Et l’étoile filante
Du désordre d’aimer
Avec l’ombre
Du catalpa à l’empan
Large de sa main
La longue
Palme blanche du bras
Ramenée
Sur sa poitrine osseuse
Et nue de bréchet
Neigeux
Sur les pétales
D’un souffle accastillé
De magnolias
Qu’emporte la brume
Blême et l’haleine
Sous le poids
De la rosée du silence
Et la charge
Des beautés qu’on ne
Peut retenir
Pina Bausch danse avec
Son buste
Lettrine
Portail d’église
Clé de voûte des ogives
Du chœur
Où elle entraîne et nous
Et sa troupe
Café Müller
Où les chaises du monde
Sont bousculées
Car qui est-elle
Qui marche ainsi au bord
Du vide
Car qui est-elle
Qui déshabille la solitude
Du désir
Car qui est-elle
Qui danse ce que nous
L’homme
Et la femme
Avons de plus fragile et
Qui fait fuir
Et revenir
Et trembler devenir fou
Et connaître
Parce que toucher déjà
Est de l’amour
Et danser
Un exorcisme
Et l’envoûtement
Pour n’être pas dissous
Se perdre
Après l’apocalypse
De la pudique approche
Ce dernier soleil il périra
Disent l’inca
Gomara puis Montaigne
Lévi-Strauss :
On a dépassé le point de
Non retour
Sixième destruction
Du monde bleu mais pas
De la vie
Pina Bausch
Danse la panique divine
Du corps
Comme un temple
Quand tremble la roche
Qui le fonde
Comme un couple
Sous l’orgasme agoniste
De la foudre
Pina Bausch
Danse avec un bassin de
Chair où bougent
Se nouent
Virent réapparaissent
Se montrent les brelans
Sous la glauque
Profondeur interdite des
Bancs de poissons
Du désir
Et les monstres inédits
De la solitude
A l’amère ressemblance
Des grands fonds
De corail mort
Avec l’espace aux astres
Eteints
Pina Bausch
Peut danser un tableau
Que les cimaises
De la beauté tiennent
Accroché au ciel
Tant il est vrai
Tout bouge on ne sait
Pas où mettre
Les pieds
Lancer dans l’espace
Son corps
Faire face aux murs
Qui cernent l’air
Au poids qui pèse sur
Les surfaces de
La peau
Au temps qui s’use en
Durant
Pina Bausch
Peut danser immobile
Et montrer
Ce qui danse
Et constitue la matière
Des poupées russes de
L’univers
La marche contenue
Dans la chute
Et les bonds
Les sauts de cabri du
Désir
Qui ne
Peut rester tel sans
Retomber
Dans l’ordre violent
Dans la posture
Où Pina Bausch attend
Le passage
Des comètes de l’amour
L’obstiné goutte à goutte
De la beauté
Qui percera l’acier le plus
Dur de l’âme