Platero y yo : élégie andalouse pour narrateur et guitare, Juan Ramón Jiménez

Voici, la première édition intégrale, et en plus bilingue espagnol/français, et en livre audio de « Platero y yo : elegia andaluza para narrador y guitarra » ; Enfin pourrait-on dire, pour une œuvre singulière, d’une forme peu courante; œuvre musicale elle même réalisée à partir de l’œuvre littéraire éponyme « Platero y yo » de Juan Ramón Jiménez ; entreprise méditerranéenne s’il en est : poète andalou, compositeur italien, interprètes vivants en Roussillon, éditeur situé en Provence…

Nous présenterons brièvement ici l’auteur de l’œuvre première, puis l’œuvre poétique elle-même, le compositeur ayant réalisé, à partir d’elle, l’œuvre commune, objet de la présente édition et nous terminerons par la genèse de cette édition et une brève description matérielle de l’objet livre-CD lui-même.

Juan Ramón Jiménez, (1881-1958) est un poète espagnol d’inspiration symboliste, contemporain de Federico Garcia Lorca (1898-1936) et Antonio Machado (1875-1939) ; ils se connaissaient et s’appréciaient : Machado a d’ailleurs écrit quatre poèmes dédiés à Juan Ramón Jiménez dont un spécialement dédicacé à l’auteur de Platero. Juan Ramón Jiménez a reçu le prix Nobel en 1956, deux ans avant sa mort et a laissé une œuvre immense.

Platero · Clément Riot, Miguel-Angel Romero, Varius Artists - Topic.

Ce poète a développé l’idée de « poésie pure », une poésie habitée par un idéal supérieur de beauté et détachée de tout contenu idéologique, politique ou social… du moins explicitement. Jiménez se veut avant tout un poète du raffinement et de la nuance, et ses compositions sont souvent dotées d’une large dimension musicale. Poète non militant certes, mais néanmoins fidèle à ses idéaux humanistes et à la République,  à la fin de la guerre civile, en 1939, il doit, comme beaucoup, s’exiler ; il vivra aux USA, puis à Puerto Rico où il mourut en 1958.

Moins connu que Federico Garcia Lorca ou Antonio Machado, certainement parce que moins visible politiquement, mais aussi, très probablement, parce qu’il n’eut pas leur fin tragique et ne bénéficia donc jamais, comme eux, d’une place de choix au panthéon de l’Exil. Pourtant, certes homme discret, il est toujours resté fidèle à ses convictions : des témoignages rapportent que, par exemple, lors de son exil aux USA, en pleine période de ségrégation, lui et sa femme refusèrent toujours d’occuper les places réservées aux blancs dans les lieux et transports publics ; par ailleurs, sa poésie, quoique discrètement, fait souvent l’éloge de la liberté et nous donnerons un exemple plus loin.

« Platero y yo : elegia andaluza para narrador y guitarra – Platero et moi : élégie andalouse pour narrateur et guitare »

L’œuvre comprend 138 courts chapitres, autant de petits poèmes en prose. Une première édition partielle, 63 chapitres, est publiée à Madrid en 1914, dans une édition pour la jeunesse. L’édition intégrale sort en 1917. Platero connut aussitôt un immense succès, devint livre de lecture scolaire dès 1920 et représente depuis lors un classique et l’un des livres les plus lus, non seulement en Espagne même, mais aussi dans toute l’Amérique latine où il a bénéficié d’une multitude d’éditions, la plupart bon marché, modestes et populaires. Il est ainsi devenu un modèle de langue et représente pour l’aire hispanique, ce que Pinocchio ou Le Petit Prince représentent pour les Italiens ou les Français : une œuvre d’auteur touchant au mythe, de celles dont on oublie le nom de l’auteur.

Le contenu : « Platero et moi » est sous-titré Élégie andalouse

L’élégie est une poésie lyrique, de longueur et de forme variables, mais caractérisée par un ton plaintif particulièrement adapté à l’évocation d’un mort ou à l’expression d’une souffrance due à un abandon ou à une absence. Ici, l’élégie décrit la vie et la mort de l’âne Platero, compagnon disparu de l’auteur, et c’est en même temps le prétexte à la description poétique de la vie andalouse, de sa nature, des saisons et des personnages. Platero est aussi un symbole : l’âne andalou, méditerranéen, et au-delà, l’animal domestique universel, à la fois outil de travail, moyen de transport, compagnon, ami et confident : synthèse, symbole et archétype de l’âne !

Platero · Clément Riot, Miguel-Angel Romero. Provided to YouTube by Believe SAS.

La forme

Un récit, donc en prose, mais poétique, une sorte de transition entre le roman et le poème ; suite de brefs chapitres, pas plus longs qu’un poème en prose, à la fois autonomes et liés entre eux car, s’il n’y a pas de continuité entre deux chapitres, le tout forme assurément un ensemble cohérent et unitaire. Le récit poétique ne raconte pas une histoire, le déroulement d’une vie, mais seulement une suite d’instants privilégiés, heureux ou malheureux, où trois éléments sont primordiaux :

Le personnage, souvent exprimé à la première personne : le narrateur, ici le poète. L’espace, ici la campagne, une société rurale et particulièrement le lieu de l’action : Moguer (Andalousie, province de Huelva), village de l’auteur. Et enfin le temps : dans ce lieu, à la fois typique et banal, les mois et les saisons suivent leur cours, non datés, comme les mois d’une année quelconque ou de n’importe quelle année. Ce n’est pas le temps de l’Histoire, c’est un temps atemporel, mythique, qui découpe la réalité en une suite discontinue faite de moments choisis où les éléments de la nature – animaux, végétaux, minéraux – sont fréquemment humanisés.

Ce livre mérite donc, – comme Le Petit Prince – plusieurs niveaux de lecture ; apparemment basé sur de simples souvenirs, des anecdotes du quotidien, Platero délivre aussi en réalité une leçon de vie : la campagne, le paysage sentent, bougent, varient, changent de couleur ; la vie n’est pas seulement héroïsme mais aussi quelque chose de plus intime, tendre et chaleureux.

Livre pour la jeunesse donc, mais, comme le Petit Prince, lu aussi – voire autant ou plus – par des adultes, c’est à ce titre que l’âne Platero, comme tout personnage mythique, a suscité, à son tour des recréations, des adaptations, des transpositions à d’autres arts (musique, cinéma, sculpture…). Citons : en 1974 un Platero y yo du compositeur espagnol Cristobal Halffter pour chœur, voix solistes et récitant ; en 1964 un film du réalisateur espagnol Alfredo Castellón (loin d’être inoubliable il est vrai, comme l’essentiel de la production cinématographique espagnole de cette époque, pour des raisons évidentes liées au franquisme triomphant de ces années-là) ; ou encore en 1960 le « Platero y yo : élégie andalouse pour narrateur et guitare », opus 190 du compositeur italien Mario Castelnuovo-Tedesco, dont il est question ici.

Le compositeur, Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968) est, comme Juan Ramón Jiménez un artiste de l’exil : il dut fuir en 1939 l’Italie fasciste après les mesures antisémites de Mussolini. Réfugié aux USA il y passa le reste de sa vie. Compositeur de tendance impressionniste et néoromantique très prolifique, Mario Castelnuovo-Tedesco a écrit pour tous les genres et ses sources d’inspiration sont souvent littéraires ; il a ainsi écrit beaucoup de “musiques à programme” pour le théâtre, l’opéra, le ballet, les marionnettes, le cinéma (48 Films entre 1941 et 1958, films d’aventures ou films fantastiques comme « le retour du vampire » ou « Dr Jekyll et M Hyde » en 1941) …, des mélodies sur, ou des compositions d’après, des textes poétiques ou narratifs (Shakespeare, Machiavel, Musset, Oscar Wilde, Dante…) ; ses très nombreuses pièces pour piano ou guitare – ses instruments de prédilection – sont souvent conçues comme des poèmes symphoniques en miniature. C’est tout naturellement qu’il s’intéressa à Platero y yo, cette œuvre d’auteur touchant au mythe.

Juan Ramon Jiménez, Platero et moi, élégie andalouse, présenté et traduit par Clément Riot, editions Oui'Dire

Parmi les 138 courts tableaux du livre, il en choisit 28 – les indispensables, comme le début et la fin, ainsi que les plus beaux ou ses préférés en tout cas…pour en faire une œuvre nouvelle, à part entière, où musique et texte s’harmonisent parfaitement, vont main dans la main, comme pour une mélodie, une chanson, un opéra, sauf qu’ici la voix est parlée, parlée mais calée précisément sur la musique comme en atteste la partition (éditions Perben), laissant toutefois une certaine marge d’interprétation aux interprètes.

Insistons clairement : il ne s’agit pas d’une ‘lecture musicale’ comme il y en a tant (texte dit sur une nappe sonore ou un habillage musical décoratif et non spécifique), la musique n’est pas ici un fond sonore utilisé pour la circonstance, mais une œuvre à part entière et spécifiquement écrite en soutien, complément et harmonie avec le texte ; elle s’inscrit dans le genre, assez rare en musique classique, d’œuvre pour « voix parlée et instrument ou ensemble instrumental » : citons l’emblématique « Pierre et le Loup » ou, moins connu, « Histoire du Soldat » d’Igor Stravinsky sur un conte de Charles Ferdinand Ramuz. Pour cette édition intégrale audio et texte couplés, une nouvelle traduction française s’imposa d’emblée, afin que le discours musical de la guitare épouse aussi étroitement et aussi naturellement que dans l’orignal espagnol, le texte narratif français.

Papillons blancs · Clément Riot, Miguel-Angel Romero. Provided to YouTube by Believe SAS.

Genèse du projet

En 2009 Oui’Dire éditions a publié le premier enregistrement intégral en langue originale et en français : 2 doubles CD qui reçurent un bel accueil de la critique (Guitare classique, l’Humanité, Les langues néo latines…). D’où le projet, dix ans plus tard, de clore l’aventure en réalisant un outil complet qui puisse servir, modestement, hors études universitaires bien sûr, d’ouvrage de référence pour…Pour qui d’ailleurs ? Comme le dirait le poète s’adressant à son ami Platero – « pour qui écrivent les poètes? » – répondons simplement pour : les amateurs de poésie, pour les francophones voulant découvrir cette œuvre espagnole et universelle, les hispanophones voulant, à travers cette œuvre connue d’eux, se familiariser avec le français, les musiciens et mélomanes voulant découvrir un genre assez peu connu et pratiqué dans son exigence précise de composition pour voix parlée et instrument.

Comme les Moineaux du chapitre XVII, nous ne saurions trop recommander à « nos frère, nos tendres frères » humains… de se mettre en état de poésie, « Contents, sans fastidieuses obligations, sans ces Olympes ni ces enfers qui mettent en extase ou qui tourmentent les pauvres hommes esclaves »… de se promener, comme nous l’avons fait, en toute liberté dans cette œuvre, de s’y « baigner partout, à tout moment ».

Cette union étroite de poésie et de musique, retrouvera alors, dans toute sa variété, sa vie propre, sa musicalité unique : lecture collective ou individuelle, à voix haute ou en voix intérieure : sans oublier les leçons de vie que l’âne Platero délivre à tout un chacun selon le niveau de lecture choisie : la vie n’est pas seulement héroïsme mais aussi quelque chose de plus intime, tendre et chaleureux.

Parmi les 28 chapitres de l’œuvre, commentons-en ici trois :

Platero

Juegos del Anochecer · Clément Riot, Miguel-Angel Romero. Provided to YouTube by Believe SAS.

Incontournable, c’est le premier, la présentation de l’âne ; pour entendre les correspondances musique/texte : d’abord l’espagnol, puis le Français. L’âne est Humanisé (Miroirs de jais : yeux miroirs de l’âme, noirs, vitreux, brillants) et présenté comme à la fois fragile et résistant : au début comme une peluche, doux, moelleux, sans squelette,… puis Acier (dur, solide, résistant) et enfin Argent de lune (pierre de lune, bijou délicat,…).

Gorriones/Les moineaux

Nous sommes le 25 juillet (fête de Santiago, le patron de l’Espagne). Ce poème en prose, d’apparence anecdotique, est en fait un hymne à la liberté : d’entrée le poète revendique discrètement son agnosticisme « Tout le monde est allé à la messe. Nous sommes restés dans le jardin des moineaux, Platero et moi » puis termine, décrivant les moineaux, par une ode à la libre liberté « […] Contents, sans fastidieuses obligations, sans ces Olympes ni ces enfers qui mettent en extase ou qui tourmentent les pauvres hommes esclaves, sans autre morale que la leur, sans autre Dieu que l’azur, ce sont mes frères, mes tendres frères. Ils voyagent sans argent et sans bagages, changent de maison quand ça leur chante ; ils devinent un ruisseau, pressentent une frondaison, et ils n’ont qu’à ouvrir leurs ailes pour atteindre le bonheur. Pour eux, point de lundi ni de samedi ; ils se baignent partout, à tout moment ; ils aiment l’amour sans nom, l’amour universel. Et le dimanche, quand les humains – les pauvres humains ! – s’en vont à la messe, verrouillant leurs portes, eux, en un exemple joyeux d’amour sans rite, s’abattent aussitôt, en un brouhaha frais et jovial, sur le jardin des maisons verrouillées, dans lesquelles quelque poète – vieille connaissance déjà – et quelque ânon tendre – tu te joins à moi ? – les contemplent fraternellement. »

On comparera aux « Oiseaux de passage », le poème tiré du recueil de Jean Richepin, « la chanson des gueux » (1876), rendu célèbre bien plus tard, en 1969, par Georges Brassens. Les thématiques, voire les images, sont si ce n’est identiques, du moins très proches et il n’est pas absurde de penser que JR Jiménez, francophone et francophile, eut connaissance de ce poème et s’en inspira ? C’est une hypothèse.

Amistad/Amitié 

Ici nous retrouvons tout le talent de Juan Ramón Jiménez qui, sous l’apparence d’une description factuelle, anecdotique, avec des mots simples et sans abstraction, idéalisation ou théorisation aucune, nous décrit magistralement la puissance de l’amitié, ses caractéristiques et ses composantes : la confiance (il s’endort sur son dos) ; la liberté, toujours de règle entre amis qui ne s’imposent rien (« je le laisse aller à sa guise et lui… m’amène toujours où je veux») ; la solidarité, la compassion (« je descends pour le soulager… » ; la tendresse, l’amour (« Je l’embrasse, le taquine… ») ; la complicité, l’affinité (le fameux ‘qui se ressemble s’assemble’ : « il rêve mes propres rêves »).

 

« Platero et moi : Platero y yo, élégie andalouse pour narrateur et guitare » de Juan Ramón Jiménez et Mario Castelnuovo-Tedesco. Un livre audio bilingue présenté et traduit par Clément Riot, suivi de « Un personnage littéraire nommé Platero » par Jacques Issorel et de « la poésie de Juan Ramón Jiménez et la musique de M Castelnuovo-Tedesco main dans la main » par Alicia Diaz de la Fuente, une biographie du poète et du compositeur, une biblio-discographie (138p) et un CD Mp3 (246mn) narration en français et espagnol Clément Riot, guitare M A Romero. Ouï-dire éditions, ODL 928.

Présentation de l’auteur

Juan Ramón Jiménez

Juan Ramón Jiménez, est né à Moguer, en Andalousie, le 23 ou 24 décembre 1881 et mort le 29 mai 1958 à San Juan, à Porto Rico, est un poète espagnol de la génération de 14.

Opposant au régime franquiste, il s'enfuit à Porto Rico en 1939. Il y reçut le prix Nobel de littérature en 1956 alors qu'il vivait en exil avec d'autres figures marquantes de la Péninsule, telles que Pablo Casals et Francisco Ayala.

Il a notamment développé l'idée de « poésie pure », qui recherche à atteindre à un idéal supérieur de beauté détachée de toute idéologique, politique ou social. Jiménez développe de nouvelles recherches esthétiques et rythmiques dans l'expression d'un lyrisme mélancolique. Ses compositions sont par ailleurs dotées d'une grande dimension musicale.

Son récit poétique le plus célèbre est Platero y yo, sous-titré Elégie andalouse et dont l'édition intégrale parut en 1917. 

Espaces, trad. de Gilbert Azam, Paris, Éditions José Corti, 90 p., 1989,  (ISBN 978-2-7143-0270-0)

Pierre et Ciel, trad. de Bernard Sesé, Paris, Éditions José Corti, 287 p., 1990,  (ISBN 978-2-7143-0401-8)

Fleuves qui s'en vont, trad. de Claude Couffon, Paris, Éditions José Corti, 109 p., 1990,  (ISBN 978-2-7143-0402-5)

Sonnets spirituels [« Sonetos espirituales »], Paris, Paris, Éditions Aubier-Montaigne, 1992, 189 p. (ISBN 978-2-7007-1415-9)

Poésie en vers, trad. de Bernard Sesé, Paris, Éditions José Corti, 220 p., 2002,  (ISBN 978-2-7143-0795-8)

Beauté, [« Belleza »], trad. de Bernard Sesé, Paris, Éditions José Corti, 214 p., 2005,  (ISBN 978-2-7143-0895-5)

Journal d'un poète jeune marié, traduit et préfacé par Victor Martinez, Toulon, Éditions de la Nerthe, 2008, 296 p., (ISBN 978-2-916862-13-2)

Juan Ramón Jiménez (auteur) et Claude Couffon (traducteur), Platero et moi [« Platero y yo »], Paris, Éditions Seghers, 2009, 294 p.(ISBN 978-2-232-12306-1)

 

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