Louise Dupré, Plus haut que les flammes
Ton poème a surgi
de l’enfer
un matin où les mots t’avaient trouvée
inerte
au milieu d’une phrase
un enfer d’images
fouillant la poussière
des fourneaux
et les âmes
sans recours
réfugiées sous ton crâne
c’était après ce voyage
dont tu étais revenue
les yeux brûlés vifs
de n’avoir rien vu
rien
sinon des restes
comme on le dit
d’une urne
qu’on expose
le temps de se recueillir
devant quelques pelletées de terre
car la vie reprend
même sur des sols
inhabitables
la vie est la vie
et l’on apprend à placer
Auschwitz ou Birkenau
dans un vers
comme un souffle
insupportable
il ne faut pas que le désespoir
agrandisse les trous
de ton cœur
tu n’es pas seule
à côté de toi
il y a un enfant
qui parfois pleure
de toutes ses larmes
et tu veux le voir
rire
de toutes ses larmes
il faut des rires
pour entreprendre le matin
et tu refais ta joie
telle une gymnastique
en levant la main
vers les branches d’un érable
derrière la fenêtre
où une hirondelle veut faire
le printemps
il y a cet enfant
que tu n’attendais pas
arrivé avec ses bronches
trop étroites
pour retenir la lumière
cet enfant né de la douleur
comme d’une histoire
sans merci
et tu le regardes caresser
un troupeau de nuages
dans un livre en coton
en pensant
aux minuscules vêtements
des enfants d’Auschwitz
à Auschwitz on exterminait
des enfants
qui aimaient caresser
des troupeaux de nuages
leurs petits manteaux, leurs robes
et ce biberon cassé
dans une vitrine
cette pauvre mémoire
à défaut de cercueils
et les visiteurs
en rang serré
sous l’éclairage artificiel
tandis que tu attendais
le corps ployé
comme si le monde tout à coup
s’appuyait sur tes épaules
avec ses biberons cassés
car les enfants d’Auschwitz
étaient des enfants
avec des bouches pour la soif
comme l’enfant
près de toi
sa faim, sa soif
et des promesses que tu tiendrais
à bout de bras
s’il ne s’agissait que de toi
mais ici c’est le monde
et sa folie
puanteur de sang cru
et de chiens lâchés
sur leurs proies
même quand tu refais
ta joie
telle une gymnastique
ou une prière
sans espoir
il y a des prières
pour les femmes
sans espoir
Montréal, © Éditions du Noroît, 2010
© Éditions Bruno Doucey, 2015