Poème à propos de mes droits
traduction Cécile Oumhani
Même ce soir j’ai besoin d’aller me promener et me remettre
les idées en place sur ce poème sur pourquoi je ne peux pas
sortir sans changer mes vêtements mes chaussures
la position de mon corps mon identité sexuelle mon âge
mon statut de femme seule le soir/
seule dans les rues / seule n’étant pas la question /
la question étant que je ne peux pas faire ce que je veux
avec mon corps parce que je suis du mauvais
sexe du mauvais âge de la mauvaise couleur de peau et
supposons que ce n’est pas ici en ville mais là-bas à la plage /
ou au fond des bois que je voudrais aller
seule à penser à Dieu / ou à penser
à des enfants ou à penser au monde / tout cela
révélé par les étoiles et le silence :
je ne pourrais pas aller et je ne pourrais pas penser et je ne pourrais pas
rester là-bas
seule
comme j’en ai besoin
seule parce que je ne peux pas faire ce que je veux avec mon
corps et
qui diable a fait que les choses
sont ainsi
et en France ils disent que si le type pénètre
sans éjaculer alors il ne m’a pas violée
et si après l’avoir poignardé si après il hurle si
après avoir supplié le salaud et si même après lui avoir écrasé
un marteau sur la tête si même après ça lui
et ses copains me baisent
c’est que j’ai consenti et il n’y a
pas eu viol parce que finalement vous comprenez finalement
ils m’ont violée parce que j’avais tort j’avais
encore tort d’être moi où j’étais / tort
d’être qui je suis
ce qui est exactement comme l’Afrique du Sud
pénétrant la Namibie pénétrant
l’Angola et cela veut-il dire que je veux dire comment savez-vous si
Pretoria éjacule à quoi ressembleront les preuves comme
la preuve de l’éjaculation monstre de la soldatesque sur la Terre Noire
et si après la Namibie et si après l’Angola et si après le Zimbabwe
et si après
tous mes parents et mes parentes résistent à même à
l’auto-immolation des villages et si après ça
nous perdons néanmoins que diront les grands garçons prétendront-ils
avoir mon consentement :
Est-ce que vous me suivez : Nous sommes les mauvaises personnes de
la mauvaise couleur de peau sur le mauvais continent et de quoi
diable tout le monde est-il responsable
et selon le Times de cette semaine
en 1966 la C.I.A a décidé qu’ils avaient ce problème
et que le problème c’était un homme appelé Nkrumah alors ils
l’ont tué et avant c’était Patrice Lumumba
et avant c’était mon père sur le campus
de mon école Ivy League et mon père avait peur
d’entrer dans la cafétéria parce qu’il a dit qu’il
avait le mauvais âge la mauvaise couleur de peau la mauvaise
identité sexuelle et il payait mes droits d’inscription et
avant ça
c’était mon père qui me disait que j’avais tort de dire que
j’aurais dû être un garçon parce qu’il en voulait un / un
garçon et que j’aurais dû avoir une peau plus claire et
que j’aurais dû avoir les cheveux plus raides et que
je ne devrais pas être aussi obsédée par les garçons mais qu’au lieu de
ça je devrais
juste en être un / un garçon et avant ça
c’était ma mère plaidant pour une chirurgie esthétique pour
mon nez et mon appareil pour mes dents en train de me dire
de laisser mes livres de les laisser en d’autres
termes
je suis très au courant des problèmes de la C.I.A
et des problèmes de m’Afrique du Sud et des problèmes
de la société Exxon et des problèmes des professeurs
et des prédicateurs et du F.B.I et des assistants
sociaux et de ma Maman et de mon Papa en particulier / je suis très
au courant des problèmes parce que les problèmes
s’avèrent être
moi
je suis l’histoire du viol
je suis l’histoire du rejet de ce que je suis
je suis l’histoire de l’incarcération terrorisée de
moi-même
je suis l’histoire de coups et blessures et d’armées
sans fin lancées contre ce que je veux faire avec ma pensée
et mon corps et mon âme et
qu’il s’agisse de sortir seule la nuit
ou qu’il s’agisse de l’amour que j’éprouve ou
qu’il s’agisse du caractère sacré de mon vagin ou
du caractère sacré de mes frontières nationales
ou du caractère sacré de mes leaders ou du caractère sacré
de chacun de mes désirs
je sais du fond de mon cœur à moi qui m’est propre
indiscutablement seul et singulier
que j’ai été violée
par-
ce que j’ai eu tort d’être du mauvais sexe du mauvais âge
de la mauvaise couleur de peau avec le mauvais nez les mauvais
cheveux le
mauvais besoin le mauvais rêve le mauvais moi géographique
et vestimentaire
j’ai été le sens du viol
j’ai été le problème que tous cherchent à
éliminer par une pénétration forcée avec ou sans la preuve de
mucosités et /
mais qu’on ne s’y trompe pas ce poème
n’est pas un consentement je ne consens pas
à ma mère ou à mon père aux professeurs au
F.B.I à l’Afrique du Sud à Bedford-Stuy
à Park Avenue aux American Airlines aux fainéants
en érection aux sales types sournois dans
les voitures
je n’ai pas tort : Tort n’est pas mon nom
Mon nom est à moi à moi à moi
et je ne peux pas vous dire qui diable a fait que les choses sont ainsi
mais je peux vous dire qu’à partir de maintenant ma résistance
ma seule détermination de jour et de nuit
peut très bien vous coûter la vie