Peut-on être philosophe et poète ? Quelle dynamique unit alors ces deux disciplines ? Pour toi, quel philosophe a vraiment pensé la poésie ?
Avant la philosophie qui naît avec Héraclite ( VIè s av JC) et nous a laissé des fragments o combien inspirateurs de réflexion, puis avec la naissance de celle-ci en occident (Socrate - Platon) jusqu'à aujourd'hui, avec des philosophes poètes comme Gaston Bachelard, Yves Bonnefoy, Geneviève Clancy, René char), la poésie et la philosophie n'ont cessé de s'entretenir suivant un dialogue qui est demeuré souvent éloigné de la scène publique.
Le XXe et le XXIe siècle voient réapparaître plus clairement le dialogue entre philosophie et poésie où la créativité de la philosophie redécouvre, grâce à l'utopie vivante de la poésie, une dynamique nouvelle.
Je crois profondément que les deux sources de la connaissance (source poétique et philosophique) sont comme le disait Brecht, la condition nécessaire à la vie en commun des hommes. C'est à dire lorsque chacun, pour reprendre la belle expression du petit Prince de St Exupéry, chacun est pour l'autre, « unique au monde » et dans la perspective de l'apprivoisement. Il est aussi ce « tous ensemble », ce « vivre », cet « être ensemble » qu'on entend si souvent mais o combien difficile.
Au 19ème siècle le poète Hölderlin et à sa suite au 20ème siècle, le philosophe Heidegger posaient une question essentielle qui résonne mondialement dans la période que nous traversons. Ils écrivaient : « Pourquoi des poètes en temps de détresse » ? A cette question il était répondu tant par Hölderlin que par le commentaire de Heidegger : « La poésie est seule capable de capter la lumière dans la minuit du monde ». Mais me direz-vous, il y à bien des paroles sacrées, prophétiques qui disent la même chose et c'est en cela qu'elles relèvent du poétique. En retour, il y à du prophétique dans le poétique. On pourrait en parler une autre fois.
De même que pour les poètes, on doit se poser la question de savoir ce qu'il faut attendre aujourd'hui des philosophes. Ce pourrait être dit ainsi : « comment des philosophes en nos temps de troubles ? » ou encore : « la philosophie n'est-elle pas indispensable à la compréhension de ce qui trouble en ce temps notre monde » ? Je préciserai : ne nous permettrait-elle pas d'être éclairés sur l'objet réel de nos peurs ?
A n'en pas douter, hier comme aujourd'hui et peut-être encore plus aujourd'hui, étant donné une certaine confusion qui s'est introduite dans notre pensée et une perte de repères, ce que nous avons à chercher n'est pas tant une vérité au-dessus des vérités, que le chemin qui peut nous mener à la compréhension de nos troubles. Ce chemin, passera sans doute par la remise en cause de vérités établies, la reconquête d'une grande humilité face aux égarements multiples et variés de ce qui demeure envers et contre tout, la communauté humaine en ses capacités d'intelligence sensible.
La remise en cause, le questionnement vis à vis de vérités dites établies, n’est pas un moment ou une étape de la pensée sur le chemin de notre connaissance. C'est un mode de penser, une façon de penser autrement et en particulier, cesser d'avoir peur de penser car penser et comprendre quelque chose ne signifie pas accepter cette chose mais apprendre à la combattre si cette chose est néfaste.
Pourquoi aujourd'hui comme jadis, la question que peut poser la philosophie aux troubles du monde est-elle importante ? Peut-être parce qu'il y a une certaine peur de penser aujourd'hui, peur d'y voir trop claire, peur d'être non pas aveuglé mais éclairé sur nous-mêmes avant de vouloir à tout prix éclairer l'autre.
Nous traversons une époque de bouleversement radical. Nous sommes sous la fascination d'une ère technologique de la communication que nous ne maîtrisons pas. Nous sommes comme des enfants qui grandissent à hauteur de la sophistication de leurs jouets. Sommes-nous encore dans la création au sens de l'éthique lorsque nous inventons les outils de notre propre aliénation (Intelligence artificielle) sans contrer, limiter leurs dégâts ?
N'y a-t-il pas autant besoin du philosophe que du poète pour illuminer l'enthousiasme de l'intelligence sensible ?
Depuis Arthur Rimbaud on le sait, la poésie ne rythme pas l'action. La poésie n'embellit pas les choses et les êtres, la poésie n’ornemente, elle n'enjolive pas la réalité. La poésie est en avant de la réalité, elle vient du plus lointain derrière au plus lointain devant, elle est résolument moderne disait Rimbaud c'est-à-dire voyante, à l'inverse de l'action, de l'activisme, de l'agitation qui sont plutôt aveugles ou trivialement, « les yeux dans le guidon ».
Nous voici arrivés à la rencontre de nos deux amants terribles.
D'un côté la philosophie qui prépare et forge les outils de la connaissance et avec elle, l'illumination poétique qui la guide au-delà des choses tangibles et d'une connaissance rationnelle.
Poésie et philosophie sont donc liées souvent dans les pires situations mais pour le meilleur même si, dans l'histoire de la pensée occidentale, on a eu tendance à les séparer parce que ces amants-là sont terriblement contagieux et porteurs du virus de la connaissance utopique. Cette connaissance entend poursuivre ses rêves toujours inachevés.
À l'inverse d’enjoliver la réalité, comme certains aimeraient qu'elle le fît pour nous plier et accepter cette réalité dans toutes ses turpitudes, la poésie nous immerge dans une réalité transformée par le réel et ses infinis possibles. Il y à quelque chose de poétique à aimer entendre : « Impossible n'est pas français ».