Poésie Lusophone, premier épisode
POÉSIE LUSOPHONE
Traduite par Stéphane Chao
Présentation
Voici une sélection d’une douzaine de poèmes signés par trois auteurs venus du Brésil et du Portugal. Édités dans leur pays, ces poètes ont pour la plupart la particularité de publier dans la revue littéraire brésilienne Philos, l’une des plus actives et les plus soucieuses de dénicher les talents, en se jouant des frontières, avec une prédilection pour les auteurs de langue latine.
Chez le lisboète Pedro Belo Clara, l’écriture a pour fonction de dire un bonheur irréfutable quoique ténu à travers des métaphores qui débouchent sur une sorte de panthéisme bucolique où tout est matière à chant. Ici nulle métrique, fût-elle déstructurée, subvertie, mais une prose délicate, ductile qui épouse l’épiphanie printanière des choses et procure l’expérience florale de la communion avec les saisons.
Pour Regina Alonso, en revanche, le poème consisterait moins en cette fusion cosmique qu’en une opération alchimique chargée d’extraire la quintessence des choses à seule fin de manifester leur mystère.
Dans la poésie du Carioca Carlos Cardoso, le désir de métamorphose affecte principalement le sujet, qui attend de l’Autre la transsubstantiation qui le délivrera, ou qui sait, le rendra à lui-même. Expérience presque toujours déceptive.
Pour Tereza Du’Zai, cet Autre hors d’atteinte, c’est Dieu, à telle enseigne que sa poésie semble consister en une apologétique tourmentée qui a pour but d’affirmer Son existence à travers le blasphème.
NILTON RESENDE
As aves
São aves imundas
de imenso negror.
Passeiam aos pares,
centenas, milhares
— miríades de miríades de miríades de aves.
Passeiam em rondas,
agouros, caixões —
um ruflar de asas,
funestos sermões.
São pelos, não plumas, que orlam, adornam os corpos tufões.
São setas girando,
são dardos gritando,
são bicos sorrindo,
são olhos luzindo.
Os bicos, os bicos — beijam, cortam estes lábios famintos
Levantam-se aos ares,
abrindo suas fendas.
Recebo suas fezes
em minha garganta.
Corpo após outro visita-me a fenda, me abre, me encanta.
Insone torpor
recolhe meus pés,
me toma lilás,
partindo do ventre.
Raro gemido me toma o corpo, e rio descontente.
Eu rosno, eu grito,
eu abro as asas.
Eu salto e não vôo,
as asas pesadas.
As aves, as aves — onde? As aves. Empurram-me à larga
Um ventre? Que ventre?
Empurram por dentro,
soltando-se em estalos.
Eu grito, eu calo.
As asas das aves volteiam vermelhas, roxas. Acres.
Os céus são de chumbo.
Os céus são de carne.
Os céus são qual filhos nascidos em aves.
Meus filhos, meus filhos, são látegos, são bicos. E ardem
Les oiseaux
Ce sont des oiseaux souillés
par une immense noirceur.
Ils se promènent par paires,
par centaines, par milliers -
des myriades de myriades de myriades d'oiseaux.
Ils se promènent en rond,
formant augures, cercueils -
le ronflement de leurs ailes
est un funeste sermon.
Ce sont des poils, non des plumes, qui ourlent, ornent leurs corps de typhon.
Ce sont des flèches qui tournent,
Ce sont des pointes qui crient,
Ce sont des becs qui sourient,
Ce sont des yeux qui flamboient.
Leurs becs, leurs becs embrassent et découpent ces lèvres affamées.
Ils s’élèvent dans les airs
tout en déployant leur fente.
Je reçois leurs excréments
à l’intérieur de ma gorge.
Leurs corps, l’un après l’autre, visitent ma fente, m’ouvrent, me réjouissent.
Une torpeur insomniaque
recroqueville mes pieds,
et remontant de mon ventre,
un teint violacé s’étend.
Un frêle gémissement me saisit le corps, et je ris mécontent.
Je grogne, je pousse un cri,
J’ouvre mes ailes en grand.
Je saute, mais ne vole pas
avec mes lourdes ailes.
Oiseaux, oiseaux – mais où sont-ils ces oiseaux ? Ils me repoussent au large.
Ventre ? Quel ventre ? Ce ventre
qu’ils enfoncent en prenant
leur essor à grand bruit.
Je pousse un cri, je me tais.
Les ailes des oiseaux virevoltent rouges, violettes. Aigres.
Les cieux sont chargés de plomb.
Les cieux sont chargés de chair.
Les cieux sont comme mes fils
nés sous la forme d’oiseaux.
Mes enfants, mes enfants, ils sont fouets, ils sont becs. Et ils m’embrasent !
Ils s’amassent en nuages,
et se retournant vers moi,
me jettent des excréments,
mes enfants, mes volatiles,
Et je les lèche et je les mange, et me dilue en parties intimes.
REGINA ALONSO
Poèmes tirés du recueil AZUIZ (éd. Kazuá, São Paulo)
Alquimia
Seca retorcida és outra
te soltas
ao fundo verde vivo
folha morta
és presa
ao fio da teia
e balanças
Aranha não te estranha,
só os humanos que da vida
querem a casca, a seiva, a carnadura
Inerte, és só entrega
ao possível instante
que sustenta
o olhar
Pipa de seda no ar selvático
és concretude do mistério
vida-morte
matéria do poema
não te esgotas
Alchimie
Torse sécheresse tu es autre
tu te détaches
sur le fond vert vif
feuille morte
tu es prisonnière
du fil de la toile
L’araignée ne te déconcerte pas,
seulement les hommes qui de la vie
veulent la coquille, la sève, la pulpe
Inerte, tu n’es qu’abandon
à l’instant possible
qui soutient
le regard
Cerf-volant de soie dans l’air déchaîné
tu es la concrétude du mystère
vie-mort
matière du poème
tu ne t’épuises pas.
Alvará de demolição
Brincava na sombra, era menina. Cresci
abandonei a casa, desfiz a velha sina
A luz do sol no descampado
corta o pensamento
sem saber quem sou deixo-me levar
ao vento
Pouso no rio à margem esquerda
afetiva, vermelha de papoulas
que não brotam deste lado do Atlântico
Imaginária não é
a seda das pétalas nos dedos
Vou no redemoinho sem molhar os pés
mistério das águas
Envelheci para voltar a ser criança
procurar a casa
onde mora a sombra
do que sou
Permis de démolition
Je jouais à l’ombre, j’étais petite fille. J’ai grandi
j’ai délaissé la maison, défait le destin
La lumière du soleil sur le pré
coupe la pensée
sans savoir qui je suis je me laisse porter
par le vent
Je me repose sur la rive gauche de la rivière,
affectueuse, rouge de coquelicots
qui ne poussent pas de ce côté-ci de l’Atlantique
Imaginaire n’est pas
la soie des pétales sur les doigts
J’avance dans le tourbillon sans mouiller mes pieds
mystère des eaux
J’ai vieilli pour redevenir enfant
pour retrouver la maison
où habite l’ombre
de ce que je suis.
Ilha nua
A âncora me fisga
subo as encostas da ilha
o pai me ampara
Pesam em mim a história e o mar,
águas da vida em jorro perpétuo
O céu desce na curvatura dos corpos
que vão ao cimo sem cordas
A noite dá forças ao oceano
que nos molha
do único tronco a semente brota
Os filhos tantos verão a árvore,
a flor e provarão o fruto
Sobre a mesa de tábuas, a menina
se alimenta, na inocência de que tudo
está pronto desde sempre
O homem e a mulher em travessias
mar e terra
ilha nua que se veste de promessas
em cada pedra do chão
em cada gesto do cuidar
Île nue
L’ancre m’agrippe
je gravis les coteaux de l’île
mon père me soutient
En moi pèsent l’histoire et la mer,
eaux de la vie qui jaillissent perpétuellement
Le ciel descend par la courbure des corps
qui vont vers la cime sans corde
La nuit donne des forces à l’océan
qui nous trempe
de l’unique tronc germe la graine
Les fils nombreux verront l’arbre,
la fleur et goûteront le fruit
Sur la table en planches, la fillette
mange dans l’innocence de tout ce
qui est prêt depuis toujours
L’homme et la femme traversent
mer et terre
île nue qui se revêt de promesses
à chaque pierre sur le sol
à chaque geste attentionné
TEREZA DU'ZAI
Condor et autres poèmes
Condor
A noite se encheu de estrelas mortas,
estrelas de sombra,
filhas, netas, bisnetas de meus antepassados;
esposas de Deus, amantes de Maria,
penetradas e lambidas.
Invejei-as,
clamei pelo sêmen divino.
Desnudei-me, santifiquei-me.
Um minuto de silêncio, um sussurro débil,
e renasci como um poema oculto no ventre de uma casa vazia, presa à sombra de um verso nu.
Um dia, talvez, Deus haverá de me comer.
Condor
La nuit s’est remplie d’étoiles mortes,
étoiles d’ombre,
filles, petites-filles, arrière-petites-filles de mes ancêtres,
épouses de Dieu, amantes de Marie,
pénétrées et léchées.
je les jalousais,
je réclamais la semence divine.
Je me suis dénudée, je me suis sanctifiée.
Une minute de silence, un fragile murmure,
et je renaissais comme un poème caché dans le ventre d’une maison vide, prisonnière de l’ombre d’un vers nu.
Un jour, peut-être, Dieu me baisera-t-il.
Publié dans la revue brésilienne Philos, le 28 février 2018.
Predestinada
Certo dia, ao descobrir-me imoral,
Deparei-me com o destino em riste.
Tentei correr,
Mas sucumbi lançada ao chão, de costas e pernas abertas,
Ele atacou-me por trás.
Prédestinée
Le jour où je me suis découverte immorale,
Je me suis retrouvée face au destin tout droit.
J’ai essayé de courir,
Mais j’ai succombé, jetée par terre sur le ventre, jambes ouvertes,
Il m’a attaqué par-derrière.
Définitivement
Je n’écris pas des poèmes,
Je décris la mort.
Mes vers sont des lames aiguisées
Ils découpent les secrets,
Saignent les vérités,
Blessent les vanités,
Sans avoir la prétention de soigner.
Mudez
Desprezo o silêncio,
mesmo o mais diabólico,
a quem dedico o pior de mim.
Desprezo seus nervos, sua respiração,
deixo-o, porém, que deslize por minha língua, que desça por minha garganta,
e adormeça em meu peito,
Deixo-o,
este assombroso asilo de morcegos,
apenas para que eu possa cavalgar
e errar,
e errar,
e errar.
In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.
Mutisme
Je méprise le silence,
même le plus diabolique,
auquel je consacre le pire de moi-même.
Je méprise ses nerfs, sa respiration,
je le laisse cependant glisser sur ma langue, descendre dans ma gorge,
et dormir sur ma poitrine,
je le laisse faire,
cet effroyable asile de chauves-souris,
juste pour pouvoir chevaucher
et fauter,
et fauter,
et fauter.
In nomine Patris et Filii et Spiritus Sancti. Amen.
Epitáfio
Este corpo,
Morte e vida
Funde-se à terra agora.
Infinitamente.
Não terminará.
Épitaphe
Ce corps,
Mort et vie,
Se fond à la terre à présent.
Infiniment.
Il ne terminera pas.