Les éditions du Castor Astral nous ont habitués à des anthologies bilingues de qualité, toujours audacieuses, jamais complaisantes. Ce panorama de la poésie néerlandaise contemporaine se découvre avec curiosité et impatience.
Le lecteur ne peut que savoir que cette profusion de voix va donner lieu à un plaisir certain de lecture et à des découvertes. Victor Schiferli, écrivain, poète et conseiller international sur la fiction à la Fondation néerlandaise des Lettres soutenant la traduction de livres, est le maître d’œuvre de cet ouvrage. Il écrit dans sa préface : Il est difficile de comparer notre poésie contemporaine à celle qui s’écrit actuellement en français, en anglais ou en allemand. La poésie française actuelle semble tendre vers moins de concision, davantage d’expérimentation et une plus grande proximité avec la prose que la poésie néerlandaise. Il a choisi vingt-quatre poètes écrivant toujours en 2020, il faut les citer tous , tant, et c’est le propre des anthologies réussies, leurs voix, chacune gardant sa singularité, s’entrechoquent, se lient, puisent les unes dans les autres vigueur et beauté :
Poésie néerlandaise contemporaine, édition bilingue, 2019, 336 pages, 20 €.
Simone Antangana Bekono, Anneke Brassinga, Tsead Bruinja, Ellen Deckwitz, Arjen Duinker, Radna Fabias, Ingmar Heytze, René Huigen, Astrid Lampe, Erik Lindner, Lieke Marsman, K. Lichel, Tonus Osterhoff, Hagar Peeters, Ester Naomi Perquin, Ilja Leonard Pfeuffer, René Puthaar, Marieke Lucas Runeveld, Alexis de Roode, Alfred Schaffer, Mustafa Stitou, Anne Vegter, Nachoem Wunberg. Les traductrices et traducteurs sont Bertrand Abraham, Kim Andringa, Danial Cunin, Pierre-Marie Finkelstein, Paul Gellings et René Puthaat. La quantité de poèmes dévolue à chaque poète est telle que le lecteur ne se fait « pas seulement une idée » mais saisit la particularité de l’auteur(e). Ainsi se joue la force de l’anthologie, sans être oubliée, la voix précédente laisse toute la place à la suivante, elle est appropriée par le lecteur qui, plus que la découvrir et la recevoir, la pénètre toute.
Une question peut apparaître : quelle est la particularité de la poésie néerlandaise ? La réponse risque d’être réductrice voire subjective. Cependant, il est essentiel de s’attacher à l’extraordinaire vigueur des voix choisies, l’appétence des poètes pour la langue est exceptionnelle, tonifiante et vectrice d’originalité et d’audace. Les tonalités sont multiples, les sources d’inspiration variées, les thèmes diffèrent, l’un va opter pour une poésie prosaïque, l’autre lyrique, l’une s’attachera à un rythme proche du slam mais à la scansion travaillée par le sens, l’autre écrira sous forme de distiques… Le trait commun entre ces poètes est l’unicité de leur voix, leur force et l’originalité des registres utilisés. S’ils s’inspirent les uns les autres c’est uniquement dans l’attachement pris à rester soi et à ne pas chercher « à faire comme », on ne relèvera donc aucune similitude entre les poètes et c’est un bonheur. La poésie néerlandaise, et je serai là particulièrement affirmative, est vivifiante, rassurante (pour sa fougue et sa qualité) et prometteuse par l’énergie engagée. Le penchant d’un auteur pour un style qui lui correspond n’est ici le signe d’aucune complaisance, l’adhésion à la langue est entière : En poésie seule nous singeons les oiseaux (Astrid Lampe) le langage révèle ce que pourrait être le bonheur (Erik Lindner) Il faut noter dans cette poésie la présence fréquente d’un humour féroce, une ironie non dénuée parfois d’auto-dérision voire d’accents tragiques :
Comprenez-moi à loisir de travers.
Dans un coude du fleuve
il m’a été donné de faire un fils ;
et dans la lumière vaporeuse du petit jour,
je lui ai appris à faire mes nœuds.
Benno Barnard
Benno Barnard op de nacht van de Poëzie 2018, Benno Barnard à le Nuit de la Poésie 2018.
Pour rentrer
chez moi, il faisait
nuit, j’ai pris le raccourci dans le parc,
j’ai entendu un écureuil
dire ta mort est la première
chose réelle qui va t’arriver.
Si c’est vrai, ai-je pensé, un
écureuil dit parfois la vérité.
Mustafa Stitou
Aujourd’hui, la poésie
me semble un pays pour lequel
on ne m’a pas accordé de ticket
un vieil amour dont je n’ose
toujours pas effacé le numéro
de mon téléphone
une île lointaine
peuplée de pingouins.
Lieke Marsman
Lieke Marsman, Identiteitspolitiek is een modegril, zeg je, La politique identitaire est une mode, dites-vous ?
La poésie, plus qu’un champ d’expression, est une ressource sans failles et c’est ce que prouvent ces voix néerlandaises. L’extrême variété de cette poésie mise en évidence dans cette anthologie, outre signifier un avenir prometteur, affirme combien chaque poète a sa place dans ce qu’il dit, dans ce qu’il fait. Aucune restriction ne lui est édictée, aucun modèle ne l’assujettit, aucune auto-censure n’a lieu, il est libre d’écrire et d’être dans sa singularité.
Dans la diversité des voix, les résonances entre les poèmes opèrent cependant, oppositions subtiles parfois, ou correspondances surprenantes, mais toujours présents la sensibilité du poète et l’attachement à la langue comme filigranes.
Il suffit parfois
d’un seul
regard
sur la saisissante nature sauvage
pour se rendormir comme
une bête sauvage
par exemple comme une bête d’’eau
qui dans l’eau
n’aime pas l’eau
Anneke Brassinga
Anneke Brassinga op de nacht van de Poëzie 2015, Anneke Brassinga à la Nuit d la Poésie 2015.
dire une nouvelle fois
ce qu’un autre a dit
et dans cette chose autre
trouver un abri
dire ce qu’un autre a dit
et employer ces mots
jusqu’à leur faire confiance
Tsead Bruinja
Tsead Bruinja op de Nacht van de Poëzie 2018, Tsead Bruinja à la Nuit de la Poésie 2018.
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