Hasan A. AL NASSAR

Hasan A. AL NASSAR

Tra le brac­cia del soldato
non vedo una rosa

Hasan A. AL NASSAR (mort à Flo­rence la nuit de Noël 2017, à 63 ans) :

La nou­velle est arrivée, bru­tale, repliée sous un lien envoyé dans le mes­sage d’une amie : “è mor­to anche lui” ; et, au bout du lien, ce titre : L’ad­dio ad Hasan Al Nas­sar, poeta tra un vinaio e l’al­tro (CdS, éd. “Cor­riere fiorenti­no” — Cronaca, 28-12-2017). Que dire d’autre ? ce rap­port assez sys­té­ma­tique avec les marchands de vin (même sa notice sur it.wikipedia ren­voy­ait à la Casa del vino de Flo­rence – du reste dés­ac­tivée) m’a tou­jours paru un peu choquant, mais il est mort en état d’ivresse sévère, c’est vrai. Il avait fui l’I­raq de Sad­dam, juste avant l’in­ter­ven­tion améri­caine, en déser­teur, avait repris des études à Naples et avait été “adop­té” par Flo­rence – pour­suit le jour­nal, avec un peu plus de com­préhen­sion… Oui, adop­té con­vient mieux qu’intégré, dans son cas. Que dire d’autre ? Avec Ungaret­ti (sur l’a­mi sui­cidaire Mohammed Sceab) : qu’il ne savait pas, peut-être, pour trou­ver cette paix qu’on nomme adap­ta­tion, “déploy­er / le chant / de son aban­don” (In memo­ria, 1916) ; et que “tout à coup / il est ren­tré chez lui” (Roman ciné­ma, 1919). Ou encore, avec son recueil prin­ci­pal, “Bûch­ers sur l’eau de Baby­lone”, que “les poi­sons de la ville occi­den­tale / [le] pour­suiv­ent” encore, “là où un coeur se noie / dans le brouil­lard d’Orient”.

Il nous a lais­sé avec une élé­gance un peu rugueuse, en ital­ien, Poe­sie del­l’e­silio (Flo­rence 1991), Roghi sul­l’ac­qua babilonese (Flo­rence, 2005) et Il labir­in­to (Savone, 2015).

Le poète exilé Al Nas­sar (comme il aimait à se présen­ter lui-même) est présent aus­si dans Ai con­fi­ni del ver­so. Poe­sie del­la migrazione in ital­iano, impor­tante antholo­gie de l’écri­t­ure italo­phone procurée par Mia Lecomte (Flo­rence, Le Let­tere, 2006), et dans la pub­li­ca­tion en ligne du cen­tre CIRCE “Une autre poésie ital­i­enne” (avril 2017).

Poésie de l’exil

Pas de pain ; ni gorgée d’eau, ni feu extrême ;
il n’y a que deux présences : l’ex­ilé et l’exil.

Poe­sie del­l’e­silio, 1991

 

* * *

Jarres pleines

Le pays te dira qu’il est vaste.
Les mers te diront qu’il n’y a pas de passe pour faciliter l’accès.
Pas non plus de feu aux frontières.
Si le vent aboy­ait sur ton visage.
Que roulent les jours et ton refuge triste !

Ceci est l’épi de la terre,
ceci est l’éter­nel qui dort joyeux
et tu ne ressem­bles à aucun oiseau :
tu ne sais pas voler,
tu es les villes qui hurlent féroces
tu es l’in­fi­ni aux lim­ites de la mort.

Tu suis le blé sans ailes
du trot­toir à l’exil
du par­adis aux flammes
ou du feu au feu…

 Ton ciel sur le bureau où sont les soldats
et dix d’en­tre eux en attente
(immi­gré tu n’emportes pas de femmes dans ton Coran,
tu n’emportes pas de jar­res pleines)
ils s’en vont avec des lattes croisées.
Le pre­mier jour tu te couds le vagissement,
te cousirent les bédouins soldats
à part juste quelques-uns d’en­tre eux.
Je n’ai pas dit qu’ils sont dans notre sang.
Je n’ai pas dit que leurs casques ronds sont un présent du soir.
Je n’ai pas dit qu’une terre inter­dit à ses enfants
d’en­tr­er dans un jardin :
c’est une terre d’étrangers sauvages.

Et tu suis le blé sans ailes
du trot­toir à l’exil
du par­adis aux flammes
ou du feu au feu…

 

* * *

 

Ruine 

[…]

- Voici arrivé
le calme
pour tuer le rêve
des jours faméliques ;
c’é­tait le dernier
bat­te­ment qui criait
dans le sang
(Je veux une Patrie, je veux
un arbre sous lequel
puis­sent s’é­ten­dre les hommes
errants).

extait de Roghi sul­l’ac­qua babilonese, 2005

 

* * *

 

Dans les bras du soldat
je ne vois pas une rose

[…]

Pourquoi mon âme
dort-elle tranquillement,
pâle dans le matin ?

inédit 2016

 

 


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Jean-Charles Vegliante

Né à Rome, Jean-Charles Veg­liante a enseigné à la Sor­bonne N.lle — Paris 3, où il dirige le Cen­tre Inter­dis­ci­plinaire de Recherche sur la Cul­ture des Echanges http://circe.univ-paris3.fr Tra­duc­teur de Dante (prix Halpérine-Kamin­sky 2008) et des baro­ques, il a pub­lié en 1977 une antholo­gie française de la poésie ital­i­enne de la fin du XXe siè­cle (Le Print­emps ital­ien, bilingue) et traduit Leop­ar­di, D’An­nun­zio, Pas­coli, Mon­tale, Sereni, For­ti­ni, Raboni, A. Rossel­li, M. Benedet­ti et d’autres poètes ital­iens. Il a édité les textes ita­lo-français de De Chiri­co, Ungaret­ti, A. Rossel­li, Mag­nel­li. Il est l’au­teur de D’écrire la tra­duc­tion, Paris, PSN, 1996, 2000. Sa poésie paraît en revue (Le nou­veau recueil, Le Bateau Fan­tôme, L’é­trangère, Almanac­co del­lo Spec­chio) et sur le net (Recours au Poème, for­maflu­ens, Le parole e le cose) ; par­mi les titres pub­liés en vol­ume : Rien com­mun (Belin), Nel lut­to del­la luce / Le deuil de lumière (trad. G. Raboni, bilingue Ein­au­di 2004), Itin­er­ario Nord (Vérone, 2008), Urban­ités (Paris, 2014), Où nul ne veut se tenir (Brux­elles, 2016). Il a édité une nou­velle ver­sion de Dante Alighieri (La Comédie, bilingue) dans la col­lec­tion Poésie chez Gal­li­mard.. En 2019, Jean-Chal­res Veg­liante pub­lie Son­nets du petit pays entraîné vers le nord et autres juras­siques (L’ate­lier du grand tétras).