Le poème est un souffle de langage, une parole franche où s’édifie la relation du monde et de l’humain.
Le poète n’est ni un expert de la langue ni un maître de la culture. Ce n’est qu’un chasseur de papillons au filet troué, et encore. C’est juste une résistance offerte au maelström du langage. C’est tout.
Celui qui se possède ne possède rien.
Cette absence d’empire est la condition de toute réforme profonde de l’être.
Elle est incompatible avec les organisations politiques et économiques factuelles. Elle crée, au sein des systèmes matériels et idéologiques collectifs, les ferments de toute transformation, donc de la poursuite de l’histoire.
Les poèmes ne proposent aucune orientation à ces mouvements : ils n’expriment que l’accueil de l’inconnu, de l’autre.
Ils se distinguent à cet égard radicalement des discours prophétiques ou futurologiques.
Le poème en est la négation par sa seule présence. Il ne manifeste rien : son existence est causa sui.
Le poème est une entité spirituelle où l’humain ne se quitte pas : dans un poème l’humain se consolide et s’affirme comme infinité de liens avec l’Autre.
Les mystiques ont toujours dit : l’univers à l’intérieur de soi.
Le poème est écrit avec des mots de tout le monde pour tout le monde. Si son expérience ne se communique pas à autrui, il s’est coupé du monde.
En se coupant du monde, il n’y a que la vanité du moi.
Le poème n’implique ni le jugement ni la critique : seulement la révolution.
Le poème n’implique ni la littérature ni le département des Lettres. Il implique seulement de changer ses actes.
Le poème est dépossédé du pouvoir mais pas d’efficacité.
La distance entre le poème et l’individu : le pouvoir érigé sur l’inconsistance et l’isolement de l’individu, évidement de l’humain. Rapprochement du poème et de l’individu : reprise en mains de soi par soi, édification d’une majorité lumineuse, fraternité réelle avec autrui, l’humain cultivé.
Où le poème est accueilli : sur la porte d’un cordonnier, dans une chambre d’hôpital, dans l’oreille d’un enfant, dans la bouche d’un amoureux, dans une cuisine… n’importe où, par quiconque, jamais là où il est asservi à une force.
Où, avec les actes, il est la seule parole.
Il dit que l’humanité brûle, se révulse, convulse et se soulève. Comme l’ouvrier du temps jadis, il dit aussi : “À bientôt j’espère”.
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