Porfirio Mamani Macedo, Amour dans la parole

Max Alhau poursuit son travail de passeur de la poésie hispanophone. Cette fois, c'est un poète péruvien, Porfirio  Mamani Macedo qu'il traduit. Amour dans la parole (Amor en la palabra, le titre original) est un recueil de 77 poèmes en prose, célébrant l'amour et la femme aimée. Rien de mièvre, ainsi qu'on aurait pu le craindre, dans ce chant ; mais, au contraire, une voix singulière qui se fait entendre et une manière originale d'aborder le thème.

Ce qui frappe, dès la lecture d'une dizaine de poèmes, c'est l'usage que fait des mots Porfirio Mamani Macedo : c'est une poésie du ressassement qu'il écrit. Les poèmes sont construits avec les mêmes mots (les mêmes éléments auxquels ces mots se réfèrent) : parc, soleil, mers, vent, colline, ombre… Mais agencés différemment. Les poèmes en deviennent fascinants, au sens propre de l'adjectif. Mais il n'y a pas que les mots du paysage, il y a aussi ceux de l'individu : cœur, yeux, rêve, âme… Le lecteur a l'impression que rien n'existe en dehors du couple et de l'univers qui accueille ce dernier. Cependant, à lire attentivement les textes, il se rend compte que cette poésie est un chant de l'éloignement, de l'absence, car il n'y a pas de fusion des corps. Mais le miracle,  (est-ce celui du poème ou du poète ? je ne sais ) c'est "qu'il n'est ni temps ni distance" entre l'homme et la femme.  C'est une solitude peuplée que vit le poète dans sa quête de la femme aimée : une solitude à partager car il n'est nul égoïsme dans le chant de Macedo. J'ignore si le poète connaît le "dernier" poème de Robert Desnos et ce vers "ombre parmi les ombres" mais je remarque que le thème de l'ombre est repris de diverses façons et que "Ni les siècles ni la poussière ne pourront séparer ton ombre et mon ombre". De même, je ne sais pas si Porfirio Mamani Macedo connaît Liberté de Paul Éluard, ce poème écrit pour célébrer la femme qu'il aimait mais transformé, in fine, en remplaçant dans le dernier vers le nom de celle-ci par le mot Liberté. Macedo écrit (et le hasard - ? - est frappant) : "J'écris ton nom chaque jour" ou "Sous la pluie, à l'aube de ce nouveau jour, j'écrirai ton nom" ou encore "… j'écris ton nom chaque jour"… Mais par ces allusions (involontaires ?) l'amour devient cosmique. Cependant, cette poésie se fait aussi l'écho de ce qui se passe au pays de l'aimée : ainsi peut-on lire dans le quarante-deuxième poème ces mots : "… il y a un bruit de bottes dans les rues, il y a des cris désespérés d'enfants et de leurs parents. Ils sont en train de tuer le jour et d'engendrer la nuit. […] On maltraite l'automne et les feuilles et il y a les bruits de ceux qui fuient dans les rues, il y a des cris et des coups de feu et un enfant tombe par terre avec un œil en moins." La distance entre le poète et celle qu'il aime s'éclaire alors. De même la raison d'être de ce chant singulier. Depuis une vingtaine d'années, la vie politique du Pérou a été marquée par la corruption, l'autoritarisme gouvernemental, les escadrons de la mort, la stérilisation forcée des "indigènes", la répression… (et, tout récemment, à l'heure où ces lignes sont écrites, par l'arrestation de Gregorio Santos Guerrero, président de la région de Cajamarca, qui menait la lutte contre la surexploitation des ressources minières coupables de priver les communautés paysannes de leurs terres et de mettre en danger les sources d'eau nécessaires à l'irrigation…). Est-ce à cette situation que fait allusion Macedo ?

Et qui est ce poète ? Sinon celui qui écrit : "Qui suis-je ? Un voyageur qui cherchait à écrire ton nom quelque part." ou  "Je veux rêver un autre rêve à tes côtés, je veux écrire ton nom sur la neige et dans le temps." Sans doute faut-il souhaiter à Porfirio Mamani Macedo de remplir le vide profond qu'il avoue avoir dans le cœur… Mais à celui qui insiste tout au long de son livre sur l'inscription du nom de l'aimée sur les supports les plus divers et les plus rêvés, j'ai envie de répéter ce que disait Paul Éluard : "C'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde" ou "Un rêve sans amour est un rêve oublié". Je souhaite à Macedo de dire toujours oui au monde (tout en disant non à l'injustice) et de ne pas oublier ses rêves.