Port Saïd
Sentez-vous, en frissonnant, la lame de couteau du monde ?
Regardez, traversez la ville, écoutez les rues métalliques,
Traversez le pont noir et voyez les lavandières échevelées
sur les galets, elles font de la peine, battant
le linge taché, se cassant
les reins, écoutez ces pieds
Montant tristement le sentier ombragé au-dessus de l’eau ;
Les voyageurs tirant des sables les augures de la guerre ;
Les espions aux aguets et sur leur garde
Comme dans les tournois ; les chants douloureux
Des nègres, avec à leurs côtés
Ceux qui de leur longue main blanche
Ni masculine ni féminine tracent l’emblème d’Hermès
En bas, leurs seins comme il se doit : en haut leurs yeux,
Perles dans la blanche coquille des visages, et pensent :
« Est-ce si dur de mourir ? La mort
Est-elle une douce amante ? » Et les filles étendues
Par deux murmurent des mensonges.
Pas très agréable ; pensez aux autres villes ; les villes mortes
Les prêtres en robes teintes précédant les urnes et les vierges
De soie portant des nectarines gelées,
Ceux que l’on conduit au sacrifice, ceux
Qui souffrent, les filles bouclées
Aux yeux comme des perles,
Malades d’un monde disparu, et sur la rivière les rameurs
Nus et rasés, appellent les bergers, vieillards centenaires
Et sages ; les plongeurs saignent, les veuves brûlent,
Les conseillers mettent en garde,
Les poètes chantent les princes
Idéaux, ainsi parlent-ils
D’un autre âge, l’âge d’argent, et de ce couteau
Qui entaille la race, cet âge de glace qui drape
Les tours terrifiées, les falaises vitrées et
Les corps comme des fleurs mortes
À l’esprit envolé, protégeant
Tendrement leur solitude comme un amant.