Écrire est l’acte le plus riche, le plus « engageant », celui qui entraîne le plus d’éléments dans son mou­ve­ment. Auprès duquel une action pure et sim­ple n’est que bagatelle. 

Georges Per­ros

 

 

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Jean-Marie Cor­busier
Georges Perros/ Un pas en avant de la mort

 

La page du livre

 

Extraits :

Per­ros est ter­ri­ble­ment dan­gereux quand il par­le des autres. Le dan­ger vient de la pro­fondeur de ses remar­ques qui sem­blent par­fois, au départ, aller con­tre l’humanisme. Il n’en est rien  quand on dépasse le stade de la pre­mière lec­ture. Per­ros nie, rejette, vocif­ère pour mieux accepter et même pour mieux aimer. En quelques lignes, il dresse le por­trait de quelqu’un à pren­dre ou à laiss­er. Il est toute rigueur, toute sévérité. Juge­ment sans appel, il ne con­damne pas, il dit et émer­veille à la fois. Il se mon­tre dur pour les poètes qui écrivent mal.
 

 

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Il y a des mis­es au point avec le monde, avec les autres, avec lui-même. Per­ros, lucide, dit ce qu’on ne dit pas ou dit tout bas au sujet de cer­tains thèmes : l’amour, l’amitié. Il prend le con­tre-pied des idées reçues ou fausse­ment reçues, il frappe juste, là, où per­son­ne ne veut enten­dre parce que c’est plus confortable.

 

 

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VIVRE

Pour Georges Perros

 

Rejoin­dre un autre état des lieux : notre vie ordi­naire. Par quel chemin d’ombre et de lumière rem­pli de vent et de soli­tude? Rejoin­dre un sourire, un regard à peine, et qui n’étaient pour per­son­ne. Quelle pen­sée ou quelle image encore saisir du bout des doigts comme cette main un instant aban­don­née au bord d’un rivage incon­nu. C’est un autre état des lieux beau­coup plus rêvé que vécu, com­ment lui ren­dre vie à tra­vers la dés­in­vol­ture du quo­ti­di­en plié sur lui-même ? La lumière des sous-bois, ce matin, lais­sait des tach­es de lumière épars­es. Seraient-elles comme la journée insai­siss­able ? Rejoin­dre, serait-ce répon­dre à quelque chose d’absent et qui appelle ? Un regard lais­sé sur une route, dans une salle d’attente, au fond d’une soli­tude, d’un égare­ment. Ce qui échappe, cette voix très loin­taine, accordée par inter­mit­tence à notre voix, tel un par­fum de ros­es déposées sur la table. Voix élé­men­taire, dis­parue à la pre­mière écoute. Il n’en reste que l’écho, ou moins encore, ce sou­venir devenu soudain doute, nou­velle attente au creux de la journée.

Rejoin­dre sans direc­tion, aller seule­ment quand il n’y a plus de chemin, plus aucune trace sur l’herbe rase ou la terre asséchée. Aller vers cette voix présente et inaudi­ble, serait-ce notre voix intérieure qui se serait échap­pée en avant de nous ? Ou bien, toutes ces voix enten­dues seraient-elles dev­enues une seule voix, un même accord à la fin d’une sym­phonie et qui se pro­longerait comme un écho éteint, audi­ble encore mais où ?

Serait-ce la crainte de toute vie, ce dou­ble qui n’a pas existé, comme ce mau­vais rêve, cette nuit, où tu glis­sais sur la neige. Impos­si­ble de t’arrêter, de te rejoin­dre. Puis la tête frap­pant l’angle du mur, tête ensanglan­tée, per­due et tu restais debout à sourire. Rejoin­dre ce courage du face à face, ce trem­ble­ment seul dans l’air et pour lui-même. Un point fixe devant soi, au milieu du désert de la journée et du temps qui passe. Venir cogn­er con­tre la mal­adie, quelque chose qui ne s’effacera plus même au plus pro­fond des nuits. Le sourire d’une femme aimée, l’étendue d’une plage, un mot soudain tombé juste des lèvres incon­nues, main à peine posée sur une autre main. La vie est une veilleuse sans nom, présente jusqu’un fond de la douleur, de la détresse et de la joie. Elle est la porte ouverte quand il n’y a pas de porte, le tour­bil­lon d’air dans la chaleur suf­fo­cante, la dernière ombre debout quand il n’y  a plus rien, quand la vision se brouille et s’éteint.

Et puis ce doute, encore. Rejoin­dre, ne serait-ce que par ces mots gravés dans la blancheur, venus au bout des doigts par hasard, par néces­sité et pour nous tromper.  L’ordinaire des jours se relève par un cer­tain sens du sacré mis en évi­dence par une parole des­tinée à l’autre.

Rejoin­dre, serait-ce par­ler jusqu’à épuise­ment, l’illimité de toute parole ?

 

Quel sens ? Il n’y en a pas, mais il est à rechercher, cela occupe, diver­tit. Le graal sera tou­jours l’émotion que l’on pro­jette en avant. Il n’est jamais allé de l’autre côté du miroir, celui du mer­veilleux. Il n’existe pas, la poésie n’existe pas, c’est du trafi­co­tage pour per­son­ne en mal d’exister. Ou plus exacte­ment, elle se fab­rique, cha­cun la sienne. C’est la Poésie qui existe quand il y a exacte coïn­ci­dence entre sa vie et la manière de l’exprimer. Fait rare. La Poésie n’est qu’un signe. Per­ros ne va nulle part, il va partout. Sa vision du monde est celle de l’épervier : il voit tout de loin et net­te­ment. Il plonge et c’est le bistrot. Les proies sont là, tenues à dis­tance, l’autre mon sem­blable qui me désigne la vie, celle qui est à fuir.

 

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Les hommes comme la plu­part des ani­maux, préfèrent la cage à la jun­gle. Il n’est pas néces­saire de les dompter.

Georges Per­ros

 

 

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