La rencontre de Cécile Guivarch avec l’écriture du poète argentin Roberto Juarroz a été fondamentale, ce fut pour elle la découverte de la poésie contemporaine facilitée ensuite grâce à des sites comme celui de Silvaine Arabo ou remue.net.
Cécile Guivarch contribue à son tour, depuis plusieurs années à faire connaître la poésie française contemporaine et étrangère, puisqu’elle anime depuis 2008 le site Terre à Ciel, pour dit-elle : « Permettre à d’autres d’accéder à la lecture des poètes et donner des liens vers d’autres sites. » On y trouve de belles traductions, la traduction est pour Cécile qui est bilingue une création à part entière
Ce qui caractérise ce site, c’est une ouverture au monde : « Je suis moi-même un petit mélange franco espagnol, cubain, breton, argentin, normand, ce qui doit avoir un lien avec mon attirance pour les voix du monde. »
Avant Terre à Ciel, elle a animé un groupe Yahoo intitulé « Voix du monde »
« Ecrire et surtout de la poésie me permet d’exprimer ce que j’ai au plus profond » dit-elle.
Son écriture est comme une pulsation, un battement de cœur, les mots souvent au rythme du souffle et de l’oralité, une écriture marquée par toutes ces langues qui ont bercé son enfance : le français sa langue paternelle, l’espagnole la langue maternelle, sans oublier le galicien et le patois normand ; toutes s’inscrivent dans sa filiation, comme son œuvre dont la singularité repose sur un travail de mémoire qui ne cesse de puiser dans les archives familiales.
En exergue de son dernier recueil Sans Abuelo petite, Cécile Guivarch a choisi cette phrase de Jean Cocteau : « Le poète ne chante juste que dans son arbre généalogique » une citation qui illustre parfaitement son chant poétique qui se nourrit de la mémoire familiale le plus souvent transcrite par la mère. Cécile Guivarch ne cesse de tisser toutes ces histoires, de renouer avec les vies de ses ancêtres, comme ce grand père inconnu, exilé à Cuba, cette tante qui a fui le franquisme et est partie en Argentine ou l’ancêtre paternelle Renée qui vivait en Bretagne.
Toutes ces vies qui l’habitent, la poète les réunit dans son œuvre au fil de ses recueils; parce qu’elle est de leurs sangs, elle revient vers eux, tend l’oreille, les écoute et écrit dans leur sillage :
J’accompagne l’écriture de vieilles photos, vieux courriers et aussi recherches dans mon arbre.
Mes chantiers d’écriture sont de vastes fouilles sur la filiation et tous ces gens dans notre sang et qui nous habitent.
« Tu me coulais dans le corps avant même ma naissance » dit-elle lorsqu’elle parle de ce grand-père parti à Cuba.
Elle les console et par l’écriture entre en empathie avec toutes ces vies simples qui n’ont laissé que peu de traces de leur passage : un prénom, un acte de naissance, une adresse, une photographie, un métier, une tombe ; des hommes et des femmes aux destins ordinaires, parfois au destin douloureux, la douleur qui traverse les générations, Cécile Guivarch la revit comme celle de Renée qui donne le titre éponyme au recueil publié aux éditions Henry :
Cette nuit je l’ai prise dans mes bras, elle sanglotait comme un petit enfant, blottie contre moi. J’ai essuyé les larmes de ses joues et elle est restée longtemps, le regard dans le vide (..) Je ne sais toujours pas ce qui la fait pleurer autant Renée (…) elle me semble si fragile et en même temps sa peau est si dure, ses yeux sont de pierres. Des pierres par lesquelles s’écoulent des larmes et du sang.
Dans l’œuvre de Cécile Guivarch, la maternité est un thème majeur, il y a beaucoup de mères qui ont lutté pour la vie, la leur, mais surtout pour celle de leurs enfants, comme ces mères qui ont pleuré leurs fils morts en 14–18, ces disparus du très beau recueil S’il existe des fleurs paru aux éditions L’arbre à Paroles. En 50 poèmes brefs, dont Syvie Dubin dit dans une critique : « Au bout du chemin de croix, des hommes ressuscités au sens premier du mot, c’est-à-dire relevés, debout dans nos mémoires ». Car en ce recueil Cécile nous emporte de sa mémoire familiale à notre mémoire collective.
Pour Cécile Guivarch le silence des disparus est assourdissant :
Je ressasse sans cesse l’histoire
qu’on avait crue enfouie
elle remonte et déborde
Il en est pour la poésie de Cécile Guivarch, où se mêlent souvenirs réels et imaginaires, comme pour le roman et l’on pense à l’essai de Marthe Robert Roman des origines et origines du roman
On a envie de reprendre ce titre et pour la poésie de Cécile Guivarch , dire: Poésie des origines et origines de la poésie.
Pour elle, écrire c’est aussi être responsable et de soi et des autres, ces aïeux dont elle poursuit le chemin en chair et en esprit.
vous durez
sous terre ou au ciel
vous vous poursuivez
à travers nous.
dit-elle dans le recueil Vous êtes mes aïeux (Éditions Henry).
Tous sont présence au monde, ils sont la vie qui traverse les mots du poète, qui traverse les siècles , comme dans Le cri des mères ed La Porte où à deux ou trois siècles l’une de l’autre, les petites filles se rejoignent ; ce recueil offre à la petite Zélie du XXIe siècle, comme le dit Françoise Urban Meninge : « Le cadeau incommensurable d’une lignée de femmes dont le cri de lumière irradie au cœur des ses très beaux poèmes de chair, de sang et d’âmes mêlées. »
L’œuvre de Cécile Guivarch est œuvre d’empathie, sensible, profondément humaine, apaisante et réconciliante. Écrire, c’est aimer même la part d’ombre qui habite toute vie, c’est rompre avec l’interdit, les non dits et la honte qui parfois habite les vies.
Écrire, c’est être capable de transformer les blessures en éclats de lumière quie sont les mots du poème, c’est parfois redonner un lieu aux apatrides, qu’ils soient apatrides d’une terre ou apatrides de leur histoire.
C’est tout cela écrire en poésie pour Cécile Guivarch , car de ses espaces intérieurs, elle ouvre la voix du poème.
Le poème dont Cécile Guivarch a dit dans un article de la revue N47 :
Il est celui qui me raconte une histoire, celui qui me pousse à réfléchir. Celui qui m’apprend à ne plus avoir peur. Celui qui puise dans les racines. Celui qui parle une autre langue, vient d’un autre pays. Le poème vient de l’étonnement d’être au monde. La poésie vient de l’effarement d’être au monde.
Chère Cécile continuez à nous raconter des histoires, à réfléchir et à nous faire réfléchir, à ne plus avoir peur et à puiser encore longtemps dans vos racines en notre langue et en cette autre langue venue d’ailleurs ( l’espagnol) afin que comme vous et avec vous en vous lisant, nous ne cessions de nous étonner d’être au monde, dans un monde que vous souhaitez plus fleuri et il le sera sûrement avec toutes ces graines que sont les poèmes que vous avez semés que vous sèmerez encore.
Je terminerai avec vos mots pleins d’espérance extraits de votre dernier recueil qui vient de sortir en ce mois de mai : Sans Abuelo petite (Éditions Les carnets du dessert de lune)
Des guerres pour un bout de terre. Rois d’Espagne, d’Angleterre et de Navarre et lesquels encore. Terre comme richesse. Les gens sont restés là, ne pouvaient pas partir. Ceux qui ont osé se sont déracinés et ont planté leurs racines ailleurs. D’autres villages, d’autres pays, traversées des mers et des océans, par-dessus les montagnes. Ceux-là qui sont partis et font courir les racines d’une terre à l’autre. Ceux-ci qui sont restés pour ne pas oublier d’où nous sommes. Les uns puis les autres sont nos origines, ce qui nous fondent, nous charpentent. D’ici ou de là nous sommes tout aussi bien. Nous prenons racine, nous semons des graines. Nous sommes des fleurs.
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