La ren­con­tre de Cécile Guiv­arch avec l’écriture du poète argentin Rober­to Juar­roz a été fon­da­men­tale, ce fut pour elle la décou­verte de la poésie con­tem­po­raine facil­itée ensuite grâce à des sites comme celui de Sil­vaine Arabo ou remue.net.

Remise du Prix Yves Cosson à Cécile Guivard en mai 2017 (© photo de C. Guivarch)

Remise du Prix Yves Cos­son à Cécile Guiv­ard en mai 2017 (© pho­to de C. Guiv­arch)

Cécile Guiv­arch con­tribue à son tour, depuis plusieurs années à faire con­naître la poésie française con­tem­po­raine et étrangère, puisqu’elle ani­me depuis 2008 le site Terre à Ciel, pour dit-elle : «  Per­me­t­tre à d’autres d’accéder à la lec­ture des poètes et don­ner des liens vers d’autres sites. » On y trou­ve de belles tra­duc­tions, la tra­duc­tion est pour Cécile qui est bilingue une créa­tion à part entière 
Ce qui car­ac­térise ce site, c’est une ouver­ture au monde : «  Je suis moi-même un petit mélange fran­co espag­nol, cubain, bre­ton, argentin, nor­mand, ce qui doit avoir un lien avec mon atti­rance pour les voix du monde. »
Avant Terre à Ciel,  elle a ani­mé un groupe Yahoo inti­t­ulé «  Voix du monde »

« Ecrire et surtout de la poésie me per­met d’exprimer ce que j’ai au plus pro­fond » dit-elle.

 Son  écri­t­ure est comme une pul­sa­tion, un bat­te­ment de cœur, les mots sou­vent au rythme du souf­fle et de l’oralité, une écri­t­ure mar­quée par toutes ces langues qui ont bercé son enfance : le français sa langue pater­nelle, l’espagnole la langue mater­nelle, sans oubli­er le gali­cien et le patois nor­mand ; toutes s’inscrivent dans sa fil­i­a­tion, comme son œuvre dont la sin­gu­lar­ité repose sur un tra­vail de mémoire qui ne cesse de puis­er dans les archives familiales.

En exer­gue de son dernier recueil Sans Abue­lo petite, Cécile Guiv­arch a choisi cette phrase de Jean Cocteau : «  Le poète ne chante juste que dans son arbre généalogique » une cita­tion qui illus­tre par­faite­ment son chant poé­tique qui se nour­rit de la mémoire famil­iale le plus sou­vent tran­scrite par la mère. Cécile Guiv­arch ne cesse de tiss­er toutes ces his­toires, de renouer avec les vies de ses ancêtres, comme ce grand père incon­nu, exilé à Cuba, cette tante qui a fui le fran­quisme et est par­tie en Argen­tine ou l’ancêtre pater­nelle Renée qui vivait en Bretagne.

Toutes ces vies qui l’habitent, la poète les réu­nit dans son œuvre au fil de ses recueils; parce qu’elle est de leurs sangs, elle revient vers eux, tend l’oreille, les écoute et écrit dans leur sillage :

J’accompagne l’écriture de vieilles pho­tos, vieux cour­ri­ers et aus­si recherch­es dans mon arbre.

Mes chantiers d’écriture sont de vastes fouilles sur la fil­i­a­tion et tous ces gens dans notre sang et qui nous habitent.

« Tu me coulais dans le corps avant même ma nais­sance » dit-elle lorsqu’elle par­le de ce grand-père par­ti à Cuba.
Elle les con­sole et par l’écriture entre en empathie avec toutes ces vies sim­ples qui n’ont lais­sé que peu de traces de leur pas­sage : un prénom, un acte de nais­sance, une adresse, une pho­togra­phie, un méti­er, une tombe ; des hommes et des femmes aux des­tins ordi­naires, par­fois au des­tin douloureux, la douleur  qui tra­verse les généra­tions, Cécile Guiv­arch la revit  comme  celle de Renée qui donne le titre éponyme au recueil pub­lié aux édi­tions Henry :

Cette nuit je l’ai prise dans mes bras, elle san­glotait comme un petit enfant, blot­tie con­tre moi. J’ai essuyé les larmes de ses joues et elle est restée longtemps, le regard dans le vide (..) Je ne sais tou­jours pas  ce qui la fait pleur­er autant Renée (…) elle me sem­ble si frag­ile et en même temps sa peau est si dure, ses yeux sont de pier­res. Des pier­res par lesquelles s’écoulent des larmes et du sang.

Dans l’œuvre de Cécile Guiv­arch, la mater­nité est un thème majeur, il y a beau­coup de mères qui ont lut­té pour la vie, la leur, mais surtout pour celle de leurs enfants, comme ces mères qui ont pleuré leurs fils morts en 14–18, ces dis­parus du très beau recueil S’il existe des fleurs paru aux édi­tions L’arbre à Paroles. En 50 poèmes brefs, dont Syvie Dubin dit dans une cri­tique : «  Au bout du chemin de croix, des hommes ressus­cités au sens pre­mier du mot, c’est-à-dire relevés, debout dans nos mémoires ». Car  en ce recueil Cécile nous emporte de sa mémoire famil­iale à notre mémoire collective.

Pour Cécile Guiv­arch le silence des dis­parus est assourdissant :

Je ressasse sans cesse l’histoire
qu’on avait crue enfouie
elle remonte et déborde

Il en est pour la poésie de  Cécile Guiv­arch,  où se mêlent sou­venirs réels et imag­i­naires, comme pour le roman et l’on pense à l’essai de Marthe Robert Roman des orig­ines et orig­ines du roman
On a envie de  repren­dre ce titre et pour la poésie de Cécile Guiv­arch , dire: Poésie des orig­ines et orig­ines de la poésie.

Pour elle, écrire c’est  aus­si être respon­s­able et de soi et des autres, ces aïeux dont elle pour­suit le chemin en chair et en esprit.

vous durez
sous terre ou au ciel
vous vous poursuivez
à tra­vers nous.

dit-elle dans le recueil Vous êtes mes aïeux  (Édi­tions Henry).

Tous sont présence au monde, ils sont  la vie qui tra­verse les mots du poète, qui tra­verse les siè­cles , comme dans Le cri des mères ed La Porte où à deux ou trois siè­cles l’une de l’autre, les petites filles se rejoignent ; ce recueil offre  à la petite Zélie du XXIe siè­cle, comme le dit Françoise Urban Meninge : «  Le cadeau incom­men­su­rable d’une lignée de femmes dont le cri de lumière irradie au cœur des ses très beaux poèmes de chair, de sang et d’âmes mêlées. »

L’œuvre de Cécile Guiv­arch est œuvre d’empathie, sen­si­ble, pro­fondé­ment humaine, apaisante et réc­on­ciliante. Écrire, c’est aimer même la part d’ombre qui habite toute vie, c’est rompre avec l’interdit, les non dits et la honte qui par­fois habite les vies.
Écrire, c’est être capa­ble de  trans­former les blessures en  éclats de lumière quie sont les mots du poème, c’est par­fois redonner un lieu aux apa­trides, qu’ils soient apa­trides d’une terre ou apa­trides de leur histoire.

C’est tout cela écrire en poésie pour Cécile Guiv­arch , car de ses espaces intérieurs, elle ouvre la voix du poème.
Le poème dont Cécile Guiv­arch a dit dans un arti­cle de la revue N47 :

Il est celui qui me racon­te une his­toire, celui qui me pousse à réfléchir. Celui qui m’apprend à ne plus avoir peur. Celui qui puise dans les racines. Celui qui par­le une autre langue, vient d’un autre pays. Le poème vient de l’étonnement d’être au monde. La poésie vient de l’effarement d’être au monde.

Chère Cécile con­tin­uez à nous racon­ter des his­toires, à réfléchir et à nous faire réfléchir, à ne plus avoir peur et à puis­er encore longtemps dans vos racines en notre langue et en cette autre langue venue d’ailleurs ( l’espagnol) afin que comme vous et avec vous en vous lisant, nous ne ces­sions de nous éton­ner d’être au monde, dans un monde que vous souhaitez plus fleuri et il le sera sûre­ment avec toutes ces  graines que sont les poèmes que vous avez semés que vous sèmerez encore.
Je ter­min­erai avec vos mots pleins d’espérance extraits de votre dernier recueil qui vient de sor­tir en ce mois de mai : Sans Abue­lo petite (Édi­tions Les car­nets du dessert de lune)

Des guer­res pour un bout de terre. Rois d’Espagne, d’Angleterre et de Navarre et lesquels encore. Terre comme richesse. Les gens sont restés là, ne pou­vaient pas par­tir. Ceux qui ont osé se sont dérac­inés et ont plan­té leurs racines ailleurs. D’autres vil­lages, d’autres pays, tra­ver­sées des mers et des océans, par-dessus les mon­tagnes. Ceux-là qui sont par­tis et font courir les racines d’une terre à l’autre. Ceux-ci qui sont restés pour ne pas oubli­er d’où nous sommes. Les uns puis les autres sont nos orig­ines, ce qui nous fondent, nous  char­p­en­tent. D’ici ou de là nous sommes tout aus­si bien. Nous prenons racine, nous semons des graines. Nous sommes des fleurs.

Présentation de l’auteur

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Ghislaine Lejard

Ghis­laine Lejard a pub­lié plusieurs recueils de poésie, dernières paru­tions en 2015 : Si brève l’éclaircie (ed Hen­ry), en 2016 : Un mille à pas lents (ed La Porte), 2018 a col­laboré avec 25 textes au livre de Bruno Roti­val Silence et Partage (ed Medi­as­paul, 2019 Lam­beaux d’humanité en col­lab­o­ra­tion avec Pierre Rosin ( ed Zin­zo­line). . Ses poèmes sont présents dans des antholo­gies, dans de nom­breuses revues et sur des sites. Elle col­la­bore régulière­ment pour des notes de lec­ture ou des arti­cles à des revues papi­er et des revues numériques. Des plas­ti­ciens ont illus­tré de ses poèmes, des comé­di­ens les ont lus. Elle organ­ise des ren­con­tres poé­tiques. Elle a été élue mem­bre de l’Académie lit­téraire de Bre­tagne et des Pays de la Loire, en 2011. Elle est mem­bre de l’association des écrivains bre­tons ( AEB). Elle est aus­si plas­ti­ci­enne, elle réalise des col­lages. Elle a par­ticipé à des expo­si­tions col­lec­tives en France et à l’étranger et a réal­isé des expo­si­tions per­son­nelles. Ses col­lages illus­trent des recueils de poésie. Elle col­la­bore avec des poètes à la réal­i­sa­tion de livres d’artiste http://ghislainelejard.com/ https://fr.wikipedia.org/wiki/Ghislaine_Lejard Elle ani­me des ate­liers de col­lage. Elle pra­tique l’art postal, a réal­isé à Nantes et en région nan­taise des expo­si­tions d’art postal ; elle a ini­tié le con­cept de « rich­es enveloppes », asso­ciant col­lage et poésie, de nom­breux poètes y ont déjà participé.