Hon­nête­ment, à la récep­tion du livre que j’avais souhaité chroni­quer, ma pre­mière réac­tion fut  « Dans quelle galère me suis-je embar­qué ? » ; je n’avais fait mon choix qu’en fonc­tion du titre et de la pho­to de cou­ver­ture. Com­ment ren­dre compte en effet d’une antholo­gie ? Qui plus est, une antholo­gie thé­ma­tique : Forêt(s).

Puis, j’ai passé la lisière, je me suis engagé, décidé : prenons les choses autrement, com­mençons par l’intention du recueil : un hom­mage ren­du à Alain Boudet, poète et fon­da­teur de l’association devenu mai­son d’édition « Don­ner à voir » ; je ne con­nais­sais pas Alain Boudet, ni per­son­nelle­ment ni même comme poète et, après une pre­mière lec­ture du recueil, je me suis dit c’est bien dom­mage… un homme qui a lais­sé der­rière lui une mai­son d’édition, sus­cité tant d’amités, j’aurais bien aimé… il reste tou­jours ses poèmes…

Reprenons : Alain Bour­det fut donc le fon­da­teur, ou l’un des fon­da­teurs, dis­ons la cheville ouvrière, d’une petite (mais nous y revien­drons) mai­son d’édition qu’il avait appelée « Don­ner à Voir » en hom­mage à Paul Elu­ard ; effec­tive­ment DAV ne donne pas seule­ment à lire ou a enten­dre (la poésie, même lue en voix intérieure, est tou­jours orale n’est-ce pas), mais aus­si à voir ; en effet, sous ce titre, depuis 1984 un groupe de poètes, de graphistes mais aus­si de pein­tres, de sculp­teurs ou d’amis de la poésie se sont regroupés en asso­ci­a­tion pour pro­mou­voir la poésie sous toutes ses formes, en l’as­so­ciant au besoin à d’autres lan­gages artis­tiques. Les curieux iront avec prof­it con­sul­ter le site http://www.donner-a-voir.net/qui.html

Forêt(s) : Antholo­gie, juil­let 2022, 56 pages – 978–2‑9000–12-161. Prix : 9,00 €

Le recueil « Forêt(s) » est donc l’un de ces livres, pub­lié dans l’une des qua­tre col­lec­tions de la petite mai­son d’édition :  « les petits car­rés » qui pro­pose, pour un prix mod­ique, des petits livres imprimés sur des papiers rus­tiques recy­clés de 16 à 48 pages. Chaque livre au for­mat 14 x 14, fruit d’une col­lab­o­ra­tion entre un poète et un plas­ti­cien, se trou­ve être imprimé en autant d’ex­em­plaires que l’an­née compte de jours: 365 ou 366 – sym­bol­ique humoris­tique — et est accom­pa­g­né d’un mar­que-page et d’une enveloppe en papi­er rustique.

Jusque là, facile de décrire et ren­dre compte ! Sauf que « forêt(s) » est une antholo­gie : 54 pages con­tenant 40 poèmes et des illus­tra­tions gravures de 46 arboricul­tri­ces et arboricul­teurs, comme l’indique mali­cieuse­ment l’index de fin d’ouvrage ; dans cet index, les artistes sont classés non par ordre d’apparition mais par ordre alphabé­tique, embrous­saille­ment très cer­taine­ment volon­taire, très sain refus de la hiérar­chie. Autrement dit : « lisez les tous et votre goût recon­naî­tra les siens » ; pour com­pléter le tout, cherchez l’erreur, pour 13 œuvres graphiques dif­férentes, seule­ment 6 illus­tra­teurs… cer­tains poètes étant aus­si dessi­na­teurs ou graveurs. Tout ça fleure bon (lan­gage végé­tal encore pour arriv­er à la Forêt), tout ça fleure bon donc la com­plic­ité, l’amitié,  l’hybridation, la vie.

Cha­cun l’aura com­pris, c’est foi­son­nant, j’allais écrire buis­son­nant, à souhait ; var­ié et libre comme une vraie forêt (pas les plan­ta­tions de pins, uni­formes et monot­o­nes que l’on voit un peut partout en guise d’espace vert ou d’équivalent car­bone), avec des sentes, des sen­tiers, des chemins creux, des frondaisons plus régulières, presque au cordeau, d’autres clairsemées, des arbris­seaux, et des troncs et des pier­res mous­sues, tordues. 

Bref, le titre – au pluriel — est dou­ble­ment pré­cis : thème et foi­son­nement ; toutes les essences, tous les styles y sont: trois pros­es poé­tiques, un son­net canon­ique, des vers libres (totale­ment et graphique­ment), des rimes, des vers mesurés ou non, asso­nances… et vers chan­tant (p9 Alain Boudet juste­ment : Ce n’est pas un arbre d’usage / Cet oranger des Osages / Un arbre de voy­age caché dans le bar­da / […]) , d’autres plus con­ceptuels, plus informels ou même poèmes écrits à deux mains (p32), des clins d’œil  (p17 Naître on ne pas naître ? / Un moment de grâce / Mes dés n’ont pas encore roulé ; ou p 39 Même si c’est un détail / « L’arbre qui cache la forêt »/ a de beaux jours devant lui), des jeux de lan­gage, genre comp­tine (p34 Loup y es-tu ? Qu’entends-tu ?/ Le hibou qui veille/ En son chêne /…), jouant par­fois de l’aphorisme, ton badin ou grave, des his­to­ri­ettes plus ou moins légères et chan­tantes à la Prévert (p 23 Un beau chêne isolé / En lisière de forêt / Rêva un jour / Qu’il était un pin / Mar­itime / En bord / De falaise / Et se mit / Une nuit / D’ivresse / A pencher / grisé par le vent ; ou encore p34 Dans les forêts/ Il y a tou­jours un loup qui s’habille / — Je mets ma chemise / pour cro­quer les petites files / Je mets mes chaus­settes /….) ou à la Desnos, aucun rap­proche­ment n’est ici com­para­i­son bien évidem­ment (p49 Sous la scie / L’arbre crie / Pleure / larmes de sci­ure / Larmes de sueur / […]) ; de sim­ples descrip­tions poé­tiques et des métaphores  imagées (p51 […] / Deux vieux hêtres / à bout touchant // Le temps aidant / se frô­lent se frot­tent / s’enlacent s’embrassent / et se soudent / pour le restant / de leurs jours.)

J’ai évo­qué plus haut les sen­teurs d’amitiés, les fra­grances de com­plic­ité qui éma­nent for­cé­ment d’une telle entre­prise mais on l’aura com­pris, ce n’est pas la com­plic­ité rance dont par­le Camus dis­ant de je ne sais plus qui « Ils ne sont pas amis, ils sont com­plices ! », car dans cette entre­prise rien n’est con­cédé : la qual­ité est partout à sa place. Comme dans une forêt cha­cun est libre de préfér­er une essence à une autre, plutôt chêne, hêtre, frêne ou boulot, mais ici nulle con­cur­rence ou hiérar­chie dans les frondaisons, tous sont beaux et néces­saires à l’ensemble Forêt, d’où le S entre par­en­thès­es du titre, venant soulign­er la diver­sité des gen­res, formes, fonc­tions…, aucun arbre ne cache l’autre, si ce n’est peut-être pour l’ombrager ou l’accompagner…

Pour finir, si « Les arbres coupés / Don­nent de temps en temps / De leurs nou­velles (p35) » je voudrais ici offrir et don­ner à enten­dre à cette belle équipe d’artistes, ce court poème, de Hen­ri Michaux, dont j’ai oublié les références : 

Debout un poteau à deux jambes donc un homme
près d’un autre qui n’en a qu’une
et ronde tout à fait : donc un arbre

Comme les arbres sont proches des hommes !
les hommes presque des arbres
à peu de choses près, comme tout est homme ! 

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Clément Riot

con­teur, com­pos­i­teur de musique élec­troa­cous­tique et auteur, se pro­duit, en français et aus­si en espag­nol, seul ou avec un ou plusieurs com­plices (flûtes, gui­tare, vio­le de gambe, flûtes à bec, orgue, accordéon…) ; notam­ment dans des spec­ta­cles (réc­its de tra­di­tion orale ou de créa­tion) bien accueil­lis par la presse (L’Education musi­cale, La Let­tre du Musi­cien, Les Let­tres Français­es / L’Humanité, Trad-Mag­a­zine, Croix du Midi, L’Indépendant, Midi Libre, La Dépêche, le Dauphiné libéré, Les Dernières Nou­velles D’Alsace …) Inter­vient égale­ment comme réc­i­tant, dans des œuvres clas­siques et écrites (« Pierre et le Loup », « Messe Wisig­oth­ique », « Con­cer­to pour vio­lon­celle et réc­i­tant », « Des mots et des orgues », « His­toire du sol­dat »…). Le réper­toire de Clé­ment Riot va de con­tes tra­di­tion­nels puisés aux sources les plus var­iées à des créa­tions per­son­nelles tou­jours inspirées du style oral et des divers­es formes de nar­ra­tion, sou­vent en fusion avec un univers musi­cal par­ti­c­uli­er (musiques con­tem­po­raines écrites ou impro­visées, élec­troa­cous­tique,…) A par­ticipé pen­dant 10 ans à la revue « Ecouter-voir » Bib­li­ogra­phie : — “Platero y yo : élégie andalouse pour nar­ra­teur et gui­tare”, livre audio bilingue, 2019, Ouï-dire éd. — Cétacé : légen­des et prophétie baleinières in memo­ri­am fukushi­ma”, ill. de Jeanne riot, 2016, rééd 2021. — Le grand par­ler Aurochs ou L’E­popée de la Con­stel­la­tion du Tau­reau = La pal­abra mar­avil­losa del pueblo Uro o la epopeya del Con­stelación del Tau­ro, bilingue français/espagnol, ill. du pein­tre Bal­bi­no Gin­er, 2015 (épuisé) — Les con­tes de 14–18 de mémère Ger­maine, ill. Lau­rence Godon-Pirof, 2014 (épuisé). Discogra­phie : Com­pos­i­teur : Daou­mi : épopée acous­ma­tique en 4 épisodes in memo­ri­am Louise Michel, CD Motus/in Tex­to Inter­prète : “Platero y yo : élégie andalouse pour nar­ra­teur et gui­tare”, (1° enreg­istrement) op 190 de Mario Castel­n­uo­vo-Tedesco et Juan Ramón Jiménez ; nar­ra­teur Clé­ment Riot, gui­tare Miguel Angel Romero. Ouï-dire édi­tions : CD ODL667-668 espag­nol / CD ODL 665–666 Français www.clement-riot.com